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Rencontre avec le chorégraphe François Mauduit pour son ballet “Dans les yeux d’Audrey”

Ballet librement inspiré de la vie d’Audrey Hepburn, Dans les yeux d’Audrey de François Mauduit est présenté lors d’une représentation unique parisienne au Théâtre des Champs-Élysées de Paris avant de continuer sa tournée. Chorégraphe très prolifique, cet ex-soliste de Maurice Béjart, à la tête de sa compagnie depuis 2006, a choisi de retracer les moments-clés de la vie de cette comédienne iconique dans un ballet-biopic ambitieux. Derrière les paillettes et le glamour, il s’agit de montrer “une vie qui oscille entre hypersensibilité, amours déçues, et paix intérieure”. François Mauduit raconte à DALP le processus de création de ce ballet pour vingt interprètes et évoque aussi le quotidien d’une compagnie qui entend bien montrer la vitalité du vocabulaire classique.

 

François Mauduit

 

Vous souvenez-vous d’un événement précis qui vous a conduit à imaginer ce ballet autour d’Audrey Hepburn ?

J’avais fait un solo sur le thème de Madame Bovary pour l’une de mes danseuses. Et quelqu’un de mon entourage a souligné sa ressemblance frappante avec Audrey Hepburn. On me l’avait déjà plus ou moins dit de cette danseuse, mais je n’avais pas forcément rebondi. Et puis, j’ai découvert qu’Audrey Hepburn rêvait de devenir ballerine. Et là, les choses se sont connectées entre elles.

 

Vous connaissiez son histoire, sa filmographie ?

Un peu comme tout le monde, mais je suis surtout un grand fan de cette époque, du cinéma américain de ces années-là, de l’âge d’or de la comédie musicale. En m’intéressant à sa vie, je me suis dit qu’il y avait suffisamment de matière pour concevoir un ballet biopic. Il a fallu faire des choix en lisant des interviews, mais aussi des récits plus personnels. Se demander ce qui était racontable avec la danse. Le petit challenge que je m’étais lancé était de donner un aspect très cinématographique au ballet, d’où l’idée des flashbacks. Le ballet n’est pas chronologique. J’ai tout de suite voulu mélanger les époques,

 

Qui avez-vous choisi pour incarner votre héroïne ?

Il y a trois danseuses qui interprètent Audrey. Ça permet de remonter dans le temps et de faire se rencontrer les époques entre elles. Ainsi à certains moments, les trois Audrey sont sur scène. C’est très émouvant de les faire cohabiter.

 

Qu’avez-vous eu envie de raconter ?

D’abord ce qu’Audrey Hepburn représente : l’élégance, la classe, l’humilité, le dévouement aux autres dans son engagement pour l’Unicef. Son allure et sa silhouette de ballerine, quelles que soient les étapes de sa vie, ont été très inspirantes. Y compris dans ses dernières interviews où j’ai l’impression de voir une ancienne Danseuse Étoile.

Ensuite, j’ai voulu évoquer les fêlures de sa vie, ce qui n’a pas été le plus facile à mettre en scène. Des douleurs très muettes, très secrètes. L’absence de son père, le rapport au masculin, cette envie de devenir ballerine contrecarrée par le contexte historique, ce sentiment de solitude alors qu’elle était entourée d’admirateurs du monde entier. Il y a une scène dans sa loge juste après la cérémonie des Oscar qui résume bien cette immense solitude de la star adulée. Et bien sûr j’ai également choisi de parler de son rapport à la mode en mettant en scène son amitié avec Hubert de Givenchy.

 

Comment avez-vous fait vos choix musicaux ?

Mon souci était de trouver des musiques qui correspondent à l’époque et aussi qui correspondent à Audrey Hepburn. Certains choix étaient évidents, comme Bernstein ou des chansons de film comme Moon River (NDLR : chantée par Audrey Hepburn dans Diamants sur canapé – titre original : Breakfast at Tiffany’s). Et ensuite il y a des musiques comme La valse triste de Sibelius ou La jeune fille et la mort de Schubert qui conviennent parfaitement à certains moments de son histoire. J’avais besoin de sentir une cohérence. Comme lorsque j’utilise Piaf ou Ferré pour évoquer le Paris où elle s’est promenée.

 

Dans les yeux d’Audrey de François Mauduit

 

Quand vous créez des ballets, vous puisez dans les qualités de vos danseurs et danseuses, voire dans leur propre vécu ?

J’ai grandi dans une compagnie où le personnage central, c’était l’interprète. Maurice Béjart créait pour les danseurs et danseuses. Je m’inscris dans cette démarque où je cherche à mettre en valeur les interprètes de ma compagnie. La danseuse qui interprète le personnage principal d’Audrey avait pour moi tout ce qu’il fallait pour nourrir l’imaginaire du public : grande, fine, le même port de tête, le même côté mutin. Comme un couturier, je façonne des pas sans céder à la facilité, mais en proposant à chacun et chacune une chorégraphie qui les mettra en valeur.

 

Vous connaissez bien les interprètes de votre compagnie. Pour certain.es, vous entretenez un compagnonnage depuis de nombreuses années. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?

Avant même de vouloir devenir chorégraphe, ce qui m’attirait était d’avoir ma propre compagnie. Il y a un rapport profond qui s’est créé entre nous au fil des années. Au studio, nos relations sont empreintes de cette longévité. C’est beau de voir les interprètes grandir souvent comme on l’avait projeté ou au contraire, de les laisser nous surprendre.

 

Dans votre répertoire, il y a un mélange de relectures de grands ballets et de créations. Vous aimez cet équilibre ?

Quand je fais des relectures, comme Le Lac des cygnes, je n’ai pas la prétention de mettre mes pas dans ceux de Marius Petita. Je n’en ai pas les moyens. Mais ce travail me passionne. Alors je propose une relecture où je mets ma patte de chorégraphe tout en respectant une partie du patrimoine. Faire des choses abordables en maintenant une grande exigence. Faire perdurer le vocabulaire classique, voilà ce qui me guide. La création n’est pas réservée à la danse contemporaine.

 

Avez-vous encore envie de danser ?

J’ai eu une vie bien remplie à ce sujet-là ! J’ai adoré être sur scène. Mais il y a un temps pour tout. Je continue un peu car mon corps répond encore, mais j’ai vécu beaucoup de choses que j’avais envie de vivre. Et donc passer vraiment du côté du chorégraphe, je l’assume pleinement. Je fais cela depuis l’âge de 22 ans ! Au début, je dansais davantage dans les spectacles, mais c’était aussi parce que je n’avais pas beaucoup de danseurs.

 

En 2024, est-ce difficile de défendre le ballet classique ?

C’est très facile aux yeux du public. Il est là et il est en demande parce qu’il manque de propositions. Alors qu’aux yeux de certains, le ballet est considéré comme désuet, comme appartenant à une autre époque. Je pense que l’exigence derrière la danse classique ou néo-classique fait peur à certaines personnes. Longtemps, elle n’est pas vraiment sortie de certains murs et après, elle a loupé le coche de la décentralisation. Mais on peut faire des spectacles populaires avec le vocabulaire classique.

 

Dans les yeux d’Audrey de François Mauduit

 

En tant que compagnie indépendante qui ne reçoit aucune subvention publique et vit de mécénats privés, vous en avez pris votre parti ?

Je ne m’en plains pas. Et ça fait des années que je ne demande plus rien. La compagnie occupe une place très importante dans ma vie. C’est un projet de groupe. C’est une vie où l’on est beaucoup sur la route, une vie où il faut accepter de jouer un soir au Théâtre des Champs-Élysées et le lendemain dans une salle plus modeste. Il faut faire preuve d’adaptabilité. Mais c’est aussi comme ça que la compagnie est née. Nous jouions dans des salles des fêtes un peu catastrophiques mais nous nous amusions. Nous dansions, les gens étaient heureux. Cette humilité, on ne devrait jamais la perdre. Toujours se souvenir pourquoi et pour qui nous faisons ce métier l

 

En 2014, vous avez créé le Prix Nijinski à Deauville, un concours international pour jeunes danseurs et danseuses. Que représente-t-il à vos yeux ?

Il s’agit de jeunes artistes animé.e.s par l’envie de défendre un art, de se confronter à un regard professionnel, de travailler sur du long terme, de se dépasser. Le jury est composé de cinq noms de la danse (NDLR : cette année, le prix a eu lieu les 9 et 10 mars 2024. Le jury était composé de Laurent Hilaire, Amandine Albisson, Sylviane Bayard Phillips, Yann Saiz et Muriel Maffre). Ce sont soit des directeur.rice.s de compagnie ou de conservatoire, ou des danseurs ou danseuses, souvent des personnes que j’admire. Tous et toutes répondent chaque année présent.e.s ce qui me remplit de fierté.

 

Savez-vous quel sera votre prochain ballet ?

Oui, il parlera de Cléopâtre. J’aime les destins. Une forte personnalité au double visage. Croiser ce qu’on croit percevoir du personnage et la réalité.

 

Dans les yeux d’Audrey de François Mauduit. Avec en solistes, Haruga Ariga, Lorenzo Bernardi, Francesco Cafforio, Paul Delanoë, Louise Djabri, Nicola Lazzaro, Géraldine Lucas, Shiori Matsushima, Capucine Ogonowski, Vittoria Pellegrino, Nelly Soulages. Le 23 avril au Théâtre des Champs-Élysées de Paris, le 27 avril à Châtel-Saint-Denis (Suisse), le 22 juin à Sens, le 28 septembre à Saint-Malo puis en tournée en 2025. Prochaine création Cléopâtre le 4 juin au théâtre de Caen.

 

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