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Soirée Maurice Ravel – Les Ballets de Monte-Carlo

Les Ballets de Monte-Carlo proposent en ce mois d’avril un programme To The Point(e). Soit une belle vitrine de la création par le langage académique menée par Christopher Wheeldon, Sharon Eyal et Jean-Christophe Maillot. Un peu plus tôt dans la saison, la compagnie s’était plongée dans une autre facette de la danse classique : celle de George Balanchine, un retour aux sources pour une troupe qui, du temps d’une autre génération, dansait beaucoup le maître américain. La soirée comprenait également la (re)création L’Enfant et les Sortilèges de Jean-Christophe Maillot, qui toujours avec son compère Jérôme Kaplan, créait un univers fantasmagorique aux multiples émerveillements. Un programme qui avait comme fil conducteur la musique de Ravel, menée par plus de 240 artistes en scène. Et toujours portée par l’excellence des interprètes monégasques, qui continuent d’épater et de séduire au fil des saisons.

 

L’Enfant et les Sortilèges de Jean-Christophe Maillot – Ballets de Monte-Carlo

 

Voici plus de 30 ans que Jean-Christophe Maillot dirige avec talent les Ballets de Monte-Carlo. La ligne artistique se divisait souvent ainsi : la création par le langage académique avec directeur de la compagnie, des expériences plus contemporaines avec la fine fleur des chorégraphes d’aujourd’hui. Sidi Larbi Cherkaoui ou Mats Ek ont ainsi été des habitués de la troupe monégasque. Mais depuis quelques années, la pointe revient au centre. La troupe présente ainsi du 24 au 28 avril au Grimaldi Forum une soirée au titre évocateur : To the Point(e). On y retrouve Christopher Wheeldon, l’incontournable des compagnies classiques anglo-saxonnes, qui vient pour la première fois aux Ballets de Monte-Carlo avec l’une de ses pièces emblématiques Within the Golden Hour. La tout aussi incontournable Sharon Eyal travaillera la pointe pour la première fois avec AutoDance. Le tout est entouré du poétique Vers un pays sage de Jean-Christophe Maillot. Et l’on murmure qu’Alexeï Ratmansky, le maître du langage académique de ce début du XXIe siècle, serait présent la saison prochaine. Un tournant assumé et porté avec brio avec une compagnie qui ne cesse de bluffer par son niveau tant technique qu’artistique, portée par une nouvelle génération d’interprètes arrivés autour des années 2020.

En décembre dernier, déjà, la troupe monégasque avait mis en avant ce langage académique avec une soirée autour de Maurice Ravel, hommage au Prince Rainier III dont le Rocher fêtait le centenaire de naissance, et qui admirait profondément l’œuvre du compositeur français. La Valse de George Balanchine ouvrait le programme, un choix tout sauf anodin. L’histoire entre le chorégraphe américain et les Ballets de Monte-Carlo est faite d’allers et retours. Pendant longtemps, le répertoire balanchinien était au cœur de la troupe. Puis il fut moins présent au tournant des années 2000, le Ballet se concentrant sur la création contemporaine et les pièces de George Balanchine ne pouvant souffrir d’approximations techniques. Il y eut finalement le retour de Violon Concerto en 2018, puis la reprise avortée par le Covid des Quatre tempéraments. C’est finalement par La Valse, ballet monté en 1951 et arrivé à Monaco en 1994, que la troupe renoue avec le maître américain.

 

La Valse de George Balanchine – Ballets de Monte-Carlo

 

La Valse est dans la lignée des ballets académiques de George Balanchine. Non pas les “black and white” en tenue de cours et aux poignets cassés, souvent ceux que l’on connaît le mieux en France, mais des œuvres plus classiques sur la forme. Pas de tutu cependant, mais des robes longues et bijoux clinquants, comme un clin d’œil au prom-ball américain. Et une narration sous-jacente et assumée, pour le coup pas si fréquente, apportant tout le sel à ce ballet. La Valse démarre ainsi comme une grande œuvre abstraite, où le génie chorégraphique de George Balanchine s’allie à son exigence absolue de la musicalité. Mais la Mort rôde. Le bal idéal prend un ton grinçant, inquiétant, jusqu’au drame final.

L’on ne retrouve pas George Balanchine comme de rien après des années d’absence. Si la compagnie s’en sort avec les honneurs, l’on sent que tout, même s’il n’y a pas d’erreur, reste encore assez frais. Il y manque comme ce laisser-aller ultime, cette façon d’aborder ces ballets sans peur malgré les immenses difficultés, de ne se laisser porter que par la profonde musicalité de l’ensemble (souvenez-vous : “Voyez la musique, écoutez la danse“, comme disait le chorégraphe). Il ne faudrait cependant pas grand-chose pour y avoir un vrai aboutissement et rejoindre le duo principal, Lou Beyne et Jérôme Tisserand, l’un des couples scéniques emblématiques de la nouvelle génération monégasque, rayonnants et puissants tout au long du ballet. Alors, que la troupe continue à danser et reprendre du Balanchine ! Cela lui va si bien et ce travail sur La Valse, s’il n’apparaît pas complètement abouti, est fortement prometteur.

 

La Valse de George Balanchine – Ballets de Monte-Carlo – Lou Beyne

 

La soirée était complétée par L’Enfant et les sortilèges. Un choix qui n’a rien d’anodin là encore, cette fantaisie lyrique au livret signé de Colette étant née il y a presque 100 ans dans cette même Principauté, sur une chorégraphie d’un certain… George Balanchine. Jean-Christophe Maillot avait créé ce ballet en 1992, toujours avec Jérôme Kaplan pour les décors et costumes. Quelques mois plus tard, il prenait les rênes de la compagnie. Mais cette reprise de 2024, qui se voit d’ailleurs plutôt comme une création, est d’une autre ampleur : une pièce revue et corrigée, une production somptueuse, plus de 240 artistes en scène entre les danseurs et danseuses, chanteurs et chanteuses, artistes de chœur et d’orchestre. C’est un peu toutes les forces vives artistiques monégasques qui étaient ainsi en scène, ce qui n’est pas si fréquent.

Le chorégraphe raconte à sa manière ce conte musical, où l’Enfant voit ses objets et animaux du quotidien s’animer, devenir effrayants ou drôles, alors qu’il est puni dans sa chambre après des devoirs non faits. Un divertissement pour enfants qui peut tout aussi bien se voir comme un cheminement psychanalytique ou conte initiatique. Le chorégraphe associé au designer s’amusent pour créer un univers d’un imaginaire débordant. Les tasses de thé deviennent comme des danseuses du Crazy Horse, les grenouilles abordent un look d’enfer, les papillons s’envolent dans un déluge de couleurs… À vrai dire, c’est bien plus par cette merveilleuse production que la pièce prend vie, que par la chorégraphie en elle-même. La danse est presque au second plan, supplantée par la théâtralité du geste, d’ailleurs superbement portée par la puissance d’interprète des danseuses et danseurs. Cela pourrait presque être un tantinet frustrant. Mais qu’importe finalement : l’ensemble fonctionne. Main dans la main Jean-Christopĥe maillot et Jérôme Kaplan nous emmène dans un univers féérique et burlesque, parfois étrange, franchement inquiétant, toujours d’une poésie débordante. C’est bien le principal.

 

L’Enfant et les Sortilèges de Jean-Christophe Maillot – Ballets de Monte-Carlo

 

Soirée Maurice Ravel par les Ballets de Monte-Carlo, avec l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, direction musicale David Molard Soriano. La Valse de George Balanchine, avec Lou Beyne et Jérôme Tisserand, et Katrin Schrader, Juliette Klein, Chelsea Adomatis, Lydia Willington, Cristian Oliveri, Victoria Ananyan, Alessio Scognamiglio, Laura Tisserand, Ige Cornelis, Jaat Benoot et Alvaro Prieto ; L’Enfant et les Sortilèges de Jean-Christophe Maillot, avec Ashley Krauhaus (l’Enfant), les artistes des Ballets de Monte-Carlo, les artistes lyriques des Académies lyriques, le Choeur de l’Opéra de Monte-Carlo et le Choeur d’enfants de l’Académie de Musique et Théâtre Rainier III. Mercredi 20 décembre 2023 au Grimaldi Forum.

Soirée To The Point(e) Christopher Wheeldon / Jean-Christophe Maillot / Sharon Eyal du 24 au 28 avril au Grimaldi Forum.

 

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