Don Quichotte de Rudolf Noureev d’après Marius Petipa par le Ballet de l’Opéra de Paris – Hugo Marchand et Hannah O’Neill
Le Ballet de l’Opéra de Paris a proposé en ce printemps une reprise de Don Quichotte de Rudolf Noureev. Un ballet que la compagnie reprend souvent, mais qui n’a pas complètement emporté. Production qui vieillit, compagnie qui n’est pas forcément le plus à l’aise dans ce ballet, la grande de Bastille qui ne convient pas forcément à ce ballet ? Difficile à dire, mais il manquait comme un coup de tornade dans une soirée très bien en place, mais un peu sage. Les deux Étoiles du soir, Hannah O’Neill et Hugo Marchand, ont brillé dans leur virtuosité. Mais plus que dans le grand pas de deux emblématique, c’est dans l’acte II plus romantique qu’ils ont pu montrer toute leur complicité.
Cela fait maintenant plusieurs saisons que, au moment de commencer la chronique d’une reprise d’un ballet de Rudolf Noureev par le Ballet de l’Opéra de Paris, j’essaye désespérément de trouver une autre introduction que “Production à bout de souffle“. Je ne serai pas plus originale pour cette reprise de Don Quichotte, qui a occupé une bonne partie du mois d’avril pour la compagnie. Même si, contrairement par exemple au Casse-Noisette du même Rudolf Noureev repris il y a quelques mois, j’ai eu du mal à mettre le doigt sur précisément ce qui n’allait pas. La production est belle, refaite à neuf et du plus bel effet (notamment des merveilles de tutus pour les Dryades). Les distributions sont brillantes et font place à beaucoup de talents. Le corps de ballet est investi dans le jeu et bien en place. On est loin ainsi des précédentes reprises aux qualités aléatoires. Celle de 2012 ainsi, à la fin du règne de Brigitte Lefèvre, montrait une compagnie sans gouvernail, avec quelques fulgurances (ah, cette matinée François Alu/Mathilde Froustey ! Une autre époque) au milieu d’un grand chaos des distributions. Celle de 2017 avait laissé perplexe quant au casting – on y trouvait aussi bien la Reine Dorothée Gilbert en Cupidon que de jeunes Sujets sans expérience en Basilio. Celle de 2021 enfin a trop souffert du Covid pour pouvoir rester dans les mémoires. Cette reprise de 2024 semble ainsi, à bien des égards, bien mieux préparée et débarrassée de toute polémique extérieure aux considération artistique. De ce point de vue, il est indéniable que la nouvelle ère sous José Martinez s’annonce sous de jolis auspices.
Alors, qu’est-ce qui n’allait pas pour ce Don Quichotte ? Il manquait comme un peu de feu. Il n’y a vraiment rien à reprocher aux artistes quant au travail fourni. Tout était propre, en place, sincère, engagé et joli. Mais un peu trop joli pour vraiment se prendre au jeu. Le ballet Don Quichotte a quelque chose comme une tornade qui doit tout emporter sur son passage et l’on avait juste une petite brise, fort sympathique, mais qui manquait de souffle. Dans le premier acte notamment, les jeux entre les différents groupes semblaient un peu trop calculés pour véritablement faire rire. La production est rutilante mais on sent cependant que le temps a passé. Le prologue n’en finit pas et n’est franchement pas clair. La scène du cauchemar ne fait que nous rappeler celle de Casse-Noisette que l’on ne veut définitivement plus voir. Les danses de caractère accusent aussi les années qui passent. Plusieurs nouvelles productions de Don Quichotte qui ont vu le jour récemment ont en effet laissé le soin à des spécialistes de remonter les danses espagnoles – José Martinez en tête pour sa très jolie production montée en 2015. Cela donne un caractère bien plus fort au troisième acte, bien plus authentique. Il est difficile, après avoir goûté à ce travail, de revoir les danses de caractère tarabiscotées des productions Noureev, semblant d’un coup bien factices. Le deuxième acte souffre aussi d’un singulier problème de lumière, qui installe l’action dans une pénombre telle qu’il est difficile, pour peu que l’on soit un peu loin, de vraiment distinguer l’action. Ce qui pose la question de la salle de l’Opéra Bastille, qui décidément ne sied pas à la danse : à quel point cela éteint un Don Quichotte ? C’est sans doute ce mélange de toutes ces raisons qui ont donné une soirée belle et charmante, mais qui distillait parfois un gentil ennui quand le duo principal n’était pas en scène.
Un duo qui était ce soir-là composé de Hugo Marchand et de Hannah O’Neill, deux Étoiles dansant maintenant régulièrement ensemble. Leur complicité est évidente en scène, leur technique affûtée et brillante – les Noureeveries n’ont pas de secret pour eux. Même si le premier acte démarre doucement, un peu à l’image de cette soirée. Elle est une Kitri pleine de charme, piquante et espiègle, charmeuse et charmante. Très “école française” dans l’âme, ne se départissant jamais d’un certain chic et d’un glamour naturel qui vont plutôt bien au personnage. Lui met plein d’entrain dans le jeu et sa danse est brillante (et pourtant, sa grande taille ne facilite pas les choses pour la chorégraphie de Rudolf Noureev). Mais l’on sent qu’il force un peu trop les choses : dans le grand sourire, dans le jeu comique, dans le personnage de séducteur. Comme s’il faisait vraiment tout son possible, mais que vraiment, le costume de Basilio ne lui allait pas. Et si tout simplement ce rôle n’était pas pour lui ? Aucune Étoile ne peut se targuer de tout excellemment danser, ce n’est pas un problème. Les seconds rôles sont quant à eux un peu trop sages pour donner le peps manquant à ce premier acte, à l’image des deux amies de Kitri Célia Drouy et Katherine Higgins, qui en soi n’ont rien à se reprocher et ont proposé un beau duo, mais manquaient de feu et de présence. Et si Ida Viikinkoski a le caractère impétueux de Mercedes, son partenaire Mathieu Contat, même s’il porte bien le rôle de mâle dominant qu’est Espada, s’empêtre un peu trop dans sa cape de toréador.
Le troisième acte n’est cependant pas du même acabit. Hugo Marchand évolue tout au long du ballet et montre un autre visage. Drôle et espiègle dans la scène de la taverne, il développe cette fois-ci un vrai sens du comique et s’amuse comme un petit fou avec Hannah O’Neill qui n’est pas en reste. Les seconds rôles se mettent au diapason et l’on retrouve sur scène tout ce qui fait le charme de Don Quichotte, une farce pleine d’énergie et d’humour. Mais le grand pas de deux, s’il est impeccable et d’un grand brio, garde cependant une certaine légère réserve, comme une forme de distance. Je me redemande encore une fois si, tout simplement, ce ballet n’est pas vraiment fait pour ce partenariat. Car entre l’acte I et l’acte III, il y eut… l’acte II. Qui fut, par Hannah O’Neill et Hugo Marchand, le plus bel acte II que j’ai pu voir de toute cette série (et depuis longtemps). Leur complicité est évidente au premier acte. Elle prend vraiment corps au deuxième, avec un pas de deux d’ouverture vraiment romantique et emporté. Ce moment peut vite virer à une petite bluette sans grand intérêt. Les deux artistes en ont fait un vrai moment passionné, de séduction d’abord, puis d’amour, de désir, charnel parfois. Et l’on sent tout le potentiel de ce duo dans les grands ballets narratifs néo-classiques.
Lors de la scène de la Vision, Hannah O’Neill propose un somptueux travail en Dulcinée, sachant délicieusement être à la fois Kitri et un être rêvé, portée par une danse comme un bijou de technique académique. Si Aubane Philbert est un Cupidon un peu timide, Camille Bon est une superbe Reine des Dryades, à l’autorité naturelle et à la musicalité ciselée. Les trois ballerines forment de plus un véritable trio – ce qui semble une évidence mais reste loin d’être toujours le cas – entre un Cupidon vif amenant l’Amour, une Reine des Dryades altière et une Kitri mystérieuse et charmeuse. Le corps de ballet les accompagne à leur juste valeur dans un magnifique ensemble : les danseuses de l’Opéra de Paris ne sont pas naturellement des Tziganes, mais les Dryades, elles ont ça dans le sang. Un peu perdu et à l’allure dégingandée, à l’âme enflammée par l’amour et l’aventure, le Don Quichotte de Yann Chailloux bien trouvé finit d’emporter ce deuxième acte, contrepoint mystérieux et si poétique entre deux actes plus terriens. Et qui resta le grand moment de cette soirée.
Don Quichotte de Rudolf Noureev d’après Marius Petipa par le Ballet de l’Opéra de Paris. Avec Hannah O’Neill (Kitri/Dulcinée), Hugo Marchand (Basilio), Mathieu Contat (espada), Ida Vikiinkoski (Mercedes), Yann Chailloux (Don Quichotte), Sancho Pança (Fabien Révillion), Gamache (Daniel Stokes), Lorenzo (Sébastien Bertaud), Célia Drouy et Katherine Higgins (deux amies de Kitri), Antoine Kirscher (le Gitan), Camille Bon (la Reine des Dryades) et Aubane Philbert (Cupidon). Mardi 16 avril 2024 à l’Opéra Bastille.
Carre Philippe
Je n ‘ai pas vu ce spéctacle,mais ,sur la base de deux precedentes series,et de nombreuses representations du Maryinsky,ABT,Viene sous Legris,et des videos de Ossipova,je propose une suggestion concernant la raison du manque d’esprit suggere par l’auteur:
Outre peut etre le fait que les danseurs sont un peu embarasses de danser une oeuvre populaire et fun,presque vulgaire si on ne la prend pas comme une fête de virtuosité bon enfant,il y a le choix de jouer la partition…a mi-vitesse.On n’ose dire que ceci relève d’un souci de précaution,afin de s’assurer que la compagnie soit en mesure de tenir le rythme sans trebucher,mais…on y pense.Si l’on compare le tempo de l’orchestre avec celui de plusieurs autres productions,c’est manifeste,en vidéo ABT avec Cynthia Harvey,je ne parle meme pas d’Ossipova..La compagnie n’a pas le niveau technique et physique,(ou l’entrainement venant de representations fréquentes ) pour suivre le rythme d’une partition qui doit être brillante et enlevée.Triste mais vrai je crains.