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Soirée To The Point(e) – Ballets de Monte-Carlo

Pour leur programme de printemps, les Ballets de Monte-Carlo ont présenté une soirée en trois temps baptisée To the Point(e) par leur directeur Jean-Christophe Maillot. Une manière de jouer avec les mots sous cette formule anglaise qui définit le but, la destination, mais qui fait évidemment référence au chausson de pointe, objet archétypal de la danse académique. Pour ce programme, Jean-Christophe Maillot a sollicité le britannique Christopher Wheeldon avec Within the Golden Hour, remarquable exercice de style classique et l’israélienne Sharon Eyal, nouvelle superstar de la danse contemporaine qui a adapté Autodance pour le ballet monégasque. Jean-Christophe Maillot concluait le trio avec la reprise de Vers un Pays Sage, un hymne virtuose et incandescent à la vie en hommage à son père. Les Ballets de Monte-Carlo, l’une des toutes meilleures troupes européennes, ont démontré à l’occasion de ce programme sa capacité à s’emparer avec talent de trois univers chorégraphiques influents dans le paysage de la danse actuelle.

 

Within the Golden Hour de Christopher Wheeldon – Ballets de Monte-Carlo

 

Jean-Christophe Maillot a un amour obsessionnel de la danse académique. Depuis ses débuts, il ne cesse de démontrer au fil de ses créations que la grammaire classique est dotée d’une puissance qui lui est propre et qui n’a pas épuisé ses champs d’action, contrairement à ce qu’un certain discours réducteur voudrait faire croire en ne jurant que par la danse contemporaine devenue en France l’alpha et l’oméga de la vision institutionnelle depuis 40 ans. Les compagnies qui défendent le langage académique se comptent avec grand peine sur les doigts d’une main. Elles se sont encore réduites depuis que le Ballet de Marseille, la compagnie historique de Roland Petit est devenue un laboratoire très éloigné de sa mission initiale. C’est pourquoi il est toujours réjouissant de se rendre sur le rocher princier où, programme après programme, Jean-Christophe Maillot défend avec talent et panache cet art menacé.

Étrange bataille des anciens et des modernes quelque peu hors du temps. Les Ballets de Monte-Carlo prouvent à longueur de saisons leur irrésistible attrait en menant des tournées qui les mènent autour du monde. Et c’est par méconnaissance que l’on tente trop souvent de ringardiser la danse classique. Jean-Christophe Maillot s’est constamment nourri de la diversité des styles pour imaginer ses programmes et créer son répertoire. Cette soirée To The Point(e)en fut une superbe démonstration. Elle fut ouverte brillamment par Christopher Wheeldon avec Within the Golden Hour crée en 2008 pour le San Francisco Ballet. Sur les musiques d’Ezio Bosso et Antonio Vivaldi, le chorégraphe fait preuve d’un savoir-faire exquis, déclinant en trente minutes les figures de la danse classique, avec trois couples principaux appuyés par quatre danseuses et quatre danseurs. Christopher Wheeldon a puisé son inspiration chez le peintre Gustave Klimt. Le chorégraphe revendique cette ode à la beauté en contrepoint d’un monde complexe. Il y développe un art subtil et délicat, utilisant toute la palette académique : pirouettes, arabesques, attitudes, portés somptueux organisés dans une succession de pas de deux, de solos, d’ensembles à la géométrie parfaite. Après avoir fait ses classes au Royal Ballet puis au New York City Ballet, Christopher Wheeldon est un maître dans l’organisation dans l’espace et la gestion des entrées et des sorties de scène. Il n’y a rien de révolutionnaire dans Within the Golden Hour car ce n’est ni le sujet, ni l’objet. Le chorégraphe offre une pièce solaire mettant en valeur la virtuosité de la troupe. Christopher Wheeldon qui triomphe de Londres à Broadway n’a pas été vu dans la capitale française depuis son mémorable Un Américain à Paris. Il devrait prochainement y faire son retour et c’est une excellente nouvelle.

 

Within the Golden Hour de Christopher Wheeldon – Ballets de Monte-Carlo

 

Sharon Eyal est aujourd’hui une chorégraphe globe-trotter. L’israélienne a su créer une esthétique singulière, irrésistible, qui se retrouve d’une pièce à l’autre sans pourtant se répéter. À partir des éléments fondamentaux qui structurent son univers stylistique, elle parvient à construire des pièces qui conservent une forte identité. À dire vrai, Sharon Eyal n’a pas vraiment respecté le contrat de base proposé par Jean-Christophe Maillot, qui souhaitait qu’elle adapte une de ses pièces sur pointe. À défaut, Sharon Eyal a encore accentué son art de la demi-pointe pour le mener jusqu’à son extrême, à tel point que l‘on pouvait parfois avoir l’illusion que ses danseuses grimpaient sur leur chausson.

C’est le talent de Sharon Eyal qui sait utiliser au mieux les spécificités techniques des compagnies qui l’invitent. Autodance, créée en 2018 pour le Göteborg Operan Danskompani, débute par une marche mécanique en solo sur la partition hypnotique d’Ori Lichtik. Avec son collaborateur Gai Behar, Sharon Eyal imagine cette danse mécanique et envoûtante, portée par quatorze danseuses et danseurs qui marchent, se tordent en cadence et à l’unisson, développent leur corps avec une élasticité confondante en s’appuyant quasi constamment sur les demi-pointes. Pièce collective qui privilégie l’ensemble comme aime le faire Sharon Eyal, elle offre malgré tout à Ekaterina Mamrenko un long solo exécuté avec grâce et brio. On écarquille encore les yeux quand on retrouve sur scène des danseuses et des danseurs que l’on vient de voir dans la pièce de Christopher Wheeldon. Cela dit beaucoup sur l’excellence et l’incroyable versatilité des Ballets de Monte-Carlo. Pour tout dire, aucune compagnie ne pourrait rivaliser.

 

Autodance de Sharon Eyal – Ballets de Monte-Carlo 

 

Puis vint Vers un Pays Sage de Jean-Christophe Maillot, une pièce qui a presque trente ans et demeure un pilier du répertoire de la compagnie. Créée en hommage à son père, le peintre Jean Maillot, disparu prématurément, cette œuvre est tout sauf un hymne funéraire. C’est à l’inverse une invitation à la vie, celle aussi des êtres chers disparus qui se prolongent à travers celles et ceux qui les ont côtoyés. Ils sont douze interprètes et on a l’illusion qu’ils sont le double ou le triple tant le tempo de la musique de John Adams, merveilleusement interprétée par l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo sous la direction de Kazuki Yamada, impose une danse effrénée. Latéralement ou en diagonale, ça déboule des coulisses à toute allure. Hyper-extensions, sophistication du travail des bras jusqu’au bout des doigts, élégantes torsions du dos, le vocabulaire de Jean-Christophe Maillot est d’une richesse infinie. Le couple constitué de Juliette Klein et Jaeyong An interprète un pas de deux qui émerveille. Il se prolonge jusqu’à la coda où apparaît une toile de Jean Maillot faisant partie de son ultime exposition intitulée… Un pays sage.

Trois chorégraphes, trois univers qui ont en commun de montrer d’assumer un style, une parole singulière loin des modes et des clichés défendus par une compagnie virtuose. Bien sûr, on regrette que Jean-Christophe Maillot n’ait toujours pas franchi les portes de l’Opéra de Paris. Il serait temps de réparer cette erreur avant qu’elle ne devienne une faute. Il est aujourd’hui le meilleur chorégraphe français défendant le vocabulaire académique. On peut imaginer que la nouvelle direction parisienne l’accueille enfin. On y verrait volontiers l’irrésistible Mégère Apprivoisée créée pour le Bolchoï et reprise par les Ballets de Monte-Carlo. La compagnie parisienne a tout ce qui lui faut pour briller dans cette pièce comique. Et puis rêvons un peu : on pourrait y inviter Olga Smirnova qui créa le rôle et qui rêve de danser un jour à Paris. Mais c’est une autre histoire ! 

 

Vers un pays sage de Jean-Christophe Maillot

 

To The Point(e) des Ballets de Monte-Carlo. Within the Golden Hour de Christopher Wheeldon, avec Lydia Wellington, Alessio Scognamiglio, Laura Tisserand, Ige Cornelis, Lou Beyne et Jérôme Tisserand ; Autodance de Sharon Eyal et Gai Behar, avec Jaat Benoot, Lou Beyne, Anna Blackwell, Anissa Bruley, Ige Cornelis, Michele Esposito, Alexandre Joaquim, Emma Knowlson, Mimoza Kaike, Isabel Maia, Riccardo Mambelli, Ekaterina Mamreko, Lennart Radtke et Christian Tworzyanski ; Vers un Pays Sage de Jean-Christophe Maillot, remonté par Bernice Coppieters, avec Juliette Klein, Jaeyong An, Katrin Schrader, Francesco Resch, Lydia Wellington, Jaat Benoot, Anissa Bruley, Lukas Simonetto, Kathryn Mcdonald, Simone Tribuna, Ekaterina Mamrenko et Cristian Oliveri. Mercredi 24 avril 2024 au Forum Grimaldi Monaco. À voir au Théâtre de la Ville à Paris du 28 février au 5 mars 2025 (sans la pièce de Christopher Wheeldon). 

 

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