TOP

[Photos] Don Quichotte de Rudolf Noureev d’après Marius Petipa par le Ballet de l’Opéra de Paris – Printemps 2024

Le Ballet de l’Opéra de Paris a présenté au printemps une longue série de Don Quichotte de Rudolf Noureev d’après Marius Petipa. Une reprise qui a permis à différents duos d’être en scène, Étoiles chevronnés comme jeunes talents, ainsi qu’à de nombreux artistes du corps de ballet d’avoir un petit rôle. Après la chronique détaillée, retour en images sur les différentes distributions, et en texte sur cinq d’entre-elles. 

 

Retour en images sur les différentes distributions de Don Quichotte de Rudolf Noureev : 

 

Sur les trois Don Quichotte que j’ai vus de cette série, mon impression générale fut la même que celle détaillée lors de ma chronique autour du duo Hannah O’Neill et Hugo Marchand. Tout le monde est impeccable, en place et investi. Mais il a manqué de façon générale une flamme propre à ce ballet normalement si plein de panache. Reste donc aux solistes d’y amener ce quelque chose en plus.

Et ce fut tellement le cas pour le duo Sae Eun Park et Paul Marque ! On peut croire que la première est un peu timide ? Elle fait preuve ici d’une drôlerie, d’un fort tempérament et d’une explosivité qu’on ne lui soupçonnait pas forcément. Que cette danseuse est brillante et surprenante ! Kitri est un personnage auquel personne ne résiste. Sae Eun Park met sa formidable technique au cœur de ce rôle : rien ne lui résiste. La formidable virtuosité n’est pas là pour nous en mettre plein les yeux, mais véritablement pour donner corps à l’histoire et au personnage. C’est ainsi que la technique prend tout son sens. Paul Marque se révèle un Basilio très investi, drôle et alerte (que de progrès dans le jeu pour ce danseur depuis sa nomination). Peut-être était-il un peu en dessous de sa partenaire lors des deux premiers actes – plutôt que sa partenaire nous a offert une danse si superlative qu’on ne voyait qu’elle. Mais il fallait le voir au troisième acte, toisant le public au début de sa variation, montant son arabesque dans un silence qui semblait durer une éternité. Le danseur propose aussi de magnifiques qualités de partenaires – ces portés à une main vertigineux, qui semblent là encore pouvoir durer des heures, cela faisait longtemps que l’on n’en avait pas vus des comme ça.

Et puis il y a quelque chose qui fonctionne entre ces deux artistes. Une certaine homogénéité dans leur danse, une entente, une façon de se défier aussi au troisième acte. Cela faisait longtemps également que l’on n’avait vu deux Étoiles rendre si faciles les Noureeveries tarabiscotées de ce Don Quichotte, si naturelles pour eux, presque organiques. Un seul petit regret ? Le début du deuxième acte, que le duo ne sait pas encore forcément comment aborder. Difficile de croire que cette Kitri si charmeuse du début devienne aussi timide et presque effarouchée la nuit tombée. ll a manqué une pointe de romantisme, qu’à inverse Hannah O’Neill et Hugo Marchand avait si bien su aborder. On regarde souvent avec envie du côté du Royal Ballet et sa pléiade d’Étoiles formidables. Mais avec Sae Eun Park et Paul Marque, l’Opéra de Paris tient là un couple d’une très grande classe internationale.

Autre ambiance pour Héloïse Bourdon et Thomas Docquir, dans une salle remplie d’habitué-e-s plutôt que de touristes. Voilà longtemps que je n’avais vu Héloïse Bourdon dans un premier rôle. Elle montre d’emblée qu’elle n’a rien perdu de son tempérament de soliste, embarquant toute la salle dès sa première entrée, avec sa Kitri séductrice et au tempérament explosif. Thomas Docquir n’hésite pas lui non plus à endosser sa position de soliste, avec un Basilio séducteur là encore, un peu crâneur. Ces deux-là jouent à “Je t’aime moi non plus” et c’est un vrai régal. Suite à diverses blessures, le duo n’a été formé que quelques heures avant la représentation. Il n’en est rien paru en scène, avec beaucoup d’assurance dans les pas de deux et une sincère complicité. Les portés à une main ont été remplacés (ce qui est compréhensible) par des portés-jetés qui ont fait leur petit effet (il vaut toujours mieux une solution moins brillante mais très bien menée qu’un essai bancal pour ce genre de chose). L’une a montré qu’elle méritait plus qu’une date par-ci par là. L’autre qu’il savait et pouvait endosser un rôle d’Étoile en trois actes. Je ne sais pas si cela changera grand-chose pour la première, mais le deuxième semble avoir gagné ce soir-là un futur grade de Premier danseur.

Du côté des seconds rôles, si les Espada ont toujours été un peu en-dessous, les Mercedes ont été brillantes, notamment Roxane Stojanov pétulante et donnant tout le tempo du premier acte. Camille Bon fut la plus belle des Reines de Dryades, altières, mêlant avec justesse poésie et autorité. Héloïse Bourdon était apparue plus renfermée dans ce même rôle, peut-être déjà concentrée sur Kitri, Seohoo Yun était encore un peu scolaire, mais sa technique académique acquise en Corée du Sud a fait des merveilles dans ce rôle et a montré tout son potentiel. Idem pour Hortense Pajtler, qui tenait avec Cupidon l’un de ses premiers rôles, et qui y a mis beaucoup de charme et de présence. Que ce soit Antoine Kirscher ou Francesco Mura, il n’y eut rien à redire sur les Chefs des Gitans, tous deux très investis et brillants.

Quelques mots enfin sur les rôles de caractère, qui ne sont pas forcément le point fort de l’Opéra de Paris. Entre Don Quichotte, Sancho Pança, Lorenzo et Gamache, il y a de quoi faire et ils sont importants. Mais ils sont un peu trop donnés par défaut aux membres du corps de ballet en fin de carrière. Quel souvenir, pourtant, du Gamache du Premier danseur Stéphane Phavorin ! Sur ces trois distributions, j’aurais vu le même quatuor, composé respectivement de Yann Chailloux, Fabien Révillion, Sébastien Bertaud et Daniel Stokes. Tout était un peu timide en début de série. Mais porté par le premier qui connaît bien le personnage, les quatre danseurs ont su petit à petit trouver le rythme comique et le bon ton pour apporter, au fur et à mesure des dates, tout le sel qui sied à ce ballet.

Représentations du 2, 16 et 18 avril 2024 à l’Opéra Bastille.

Amélie Bertrand

 

 

Inès McIntosh multiplie les prises de rôle avec le même succès. Après Casse-Noisette et avant Giselle, elle a offert une Kitri de haut-vol pour son unique représentation. Une entrée dynamique, le pied long et la course belle. Cette première variation qui installe le personnage est toujours un test pour la ballerine car il faut simultanément interpréter des pas complexes, montrer un travail de pointes acéré et multiplier des grands jetés. Exténuant ! Mais Inès McIntosh a aujourd’hui la technique d’une Étoile. Elle maîtrise sa danse impeccablement et dans ce premier acte, il n’y a rien à jeter : magnifique variation dite des castagnettes menée au rythme idoine et très joli pas de deux avec son partenaire Francesco Mura. Le Premier Danseur fut peut-être le Basilio le plus crédible de cette série. Plus terrien, il forme avec Inès McIntosh un partenariat qui fonctionne du début à la fin. Ses deux variations du premier acte sont sans bavure. En revanche, Francesco Mura est moins à l’aise dans ces portés acrobatiques à une main qui seront escamotés. C’est sans grande incidence : la prudence est de mise et préférable à un risque que l’on ne maîtrise pas.

Inès McIntosh brille tout autant en Dulcinée avec de magnifiques arabesques et un tour final mené à un train d’enfer. Elle était entourée de Hohyun Kang, une danseuse que l’on a repéré depuis plusieurs mois et qui promet de faire de très belles choses. Elle trébucha sans gravité dans ses premiers pas en Reine des Dryades sans parvenir ensuite à surmonter cet accroc. Hohyun Kang a une jolie danse, délicate mais affirmée : ne doutons pas qu’elle saura nous surprendre. Le Grand Pas, climax absolu de Don Quichotte fut une merveille. Inès McIntosh comme dopée par l’enthousiasme du public, conclut le ballet par des fouettés qu’on n’arrête de compter au-delà des 32 requis. Sur sa lancée, elle fouette ad libitum sur la musique et finit par laisser retomber sa pointe ! Inès McIntosh est déjà une grande Kitri.

C’était la distribution inattendue de la série. Léonore Baulac ayant dû déclarer forfait, c’est Valentine Colasante qui la remplaça. On sait qu’elle fut nommée Étoile sur ce rôle et elle reste à ce jour l’une des toutes meilleures Kitri de la compagnie. Dans ce ballet qui est un pur divertissement, il faut savoir nourrir son personnage et Valentine Colasante excelle dans ce registre. Elle impose dès son entrée une Kitri rebelle, drôle et qui montre qu’elle mène la danse. Ça va à toute allure dans ce premier acte. Son partenaire Guillaume Diop est tout aussi fulgurant. On ne peut qu’abdiquer devant la beauté des lignes du Danseur Étoile, la hauteur de ses sauts, la maîtrise absolue de ses réceptions. Guillaume Diop est dans une forme éblouissante et le coup de projecteur médiatique porté sur lui par sa nomination n’a en rien émoussé son talent, bien au contraire. Malgré un nombre de répétitions limitées, il n’a peur de rien. Les portés à une main sont stupéfiants. N’ayant pas tout à fait réussi à se stabiliser sur le premier, il mit un point d’honneur à garder l’équilibre plusieurs secondes dans le second. C’est aussi pour cette pyrotechnie que l’on vient voir Don Quichotte et nous fûmes servis.

Valentine Colasante fut tout aussi retentissante en Dulcinée : propre, souveraine, sans bavure. On peut en dire tout autant de Roxane Stojanov impériale en Reine des Dryades. Avec Silvia Saint-Martin en Cupidon, c’est un trio de grande volée qui démontre les immenses ressources de cette compagnie. Guillaume Diop et Valentine Colasante ont ensuite rivalisé de virtuosité dans le Grand pas. Cette séquence a toujours la forme d’un challenge entre Basilio et Kitri et c’est ainsi qu’il faut l’interpréter : toujours plus haut et plus vite ! C’est un registre dans lequel les deux Étoiles du jour ont excellé, faisant de ce Don Quichotte un plaisir coupable de balletomanes.

Représentations des 22 et 23 avril 2024 à l’Opéra Bastille 

Jean-Frédéric Saumont 

 

J’ai vu (de fin fond du parterre) le Don Quichotte réunissant Hannah O’Neill et Germain Louvet en Kitri et Basilio. Un couple complice avec beaucoup de chic naturel, qui arrive à donner une touche bienvenue d’intemporalité au ballet, tout en restant fidèle au style. En effet, le duo maîtrise sa partition jusqu’au bout des doigts et équilibres du troisième acte (bravo spécial à Germain Louvet, qui excelle dans ces variations noureeviennes) sans pour autant choisir une interprétation tout feu tout flammes aux multiples acrobaties. Le brio est là, mais sans overdose d’explosivité. Et ça me plaît justement, leur dosage équilibré d’élégance et danse soignée, et de présence scénique libre de surcaractérisations mais toute aussi joyeuse, instinctive et soudée. Âmes soeurs, ces Kitri et Basilio, oui ! Y a-t-il de la romance chaude, je ne saurais trop dire depuis ma place du dernier rang, mais cela fonctionne très bien ainsi. On n’a ni besoin de six o’clocks ni de chaleurs extrêmes pour s’imaginer dans cette comédie romantique aux accents espagnols. Le style et l’humour sont là !

Cela faisait bien une décennie que je n’avais pas vu le Don Quichotte en live. Un classique fun avec lequel, j’ai pourtant pris du plaisir, et que j’ai même dansé en tant que corps de ballet dans une autre vie (dans la version de Patrice Bart dont je garde de très bons souvenirs, au son des castagnettes que nous jouions tous). Pour ce soir, le prologue de la version de Rudolf Noureev me semble long, par certaines actions comiques à l’aspect suranné ou accessoire, tout comme les marionnettes du deuxième acte pas forcément nécessaires. Tout cela me ramène à voir Kitri et Basilio du premier acte telles des marionnettes se moquant gentiment de ce drôle de théâtre autour d’eux, puis prenant possession du cours des choses et de leur histoire dans l’acte trois. L’acte deux reste un entre-deux qui me laisse un peu songeuse, à l’image du synopsis, et surtout par manque d’éclairage. C’est Alexandre Gasse en Gitan qui me réveille avec panache quand l’éclairage tend à me sombrer dans des rêves de Don Quichotte. Tout au long de la représentation, les divers seconds rôles, ainsi que le corps de ballet, complètent le duo principal avec bon feeling et dans le ton de l’élégance. Naïs Duboscq campe ainsi une danseuse de rue très glamour face à son toreador de classe Pablo Legasa. La reine du deuxième acte Hohyun Kang apparaît souveraine et éthérée et le Cupidon d’Inès McIntosh fait des merveilles avec sa précision extraordinaire.

Représentation du 1er avril 2024 à l’Opéra Bastille

Katariina Karlsson

 

 

VOUS AVEZ AIMÉ CET ARTICLE ? SOUTENEZ LA RÉDACTION PAR VOTRE DON. UN GRAND MERCI À CEUX ET CELLES QUI NOUS SOUTIENNENT. 

 





 

Poster un commentaire