Sweet Mambo de Pina Bausch – Tanztheater Wuppertal
Le Tanztheater Wuppertal est revenu dans son antre parisien du Théâtre de la Ville pour la reprise deSweet Mambo. Une pièce particulière : elle fut l’avant-dernière création de Pina Bausch montée en janvier 2009, quelques mois avant sa mort aussi soudaine que prématurée. Dans une série de saynètes drôles et grinçantes, Sweet Mambo se déroule sur un tempo dirigé par les femmes. Pour cette recréation, on retrouve sept danseuses historiques de la compagnie qui avaient participé à la conception de la pièce, accompagnées de trois nouvelles recrues. Quinze ans après sa création, Sweet Mambo a le goût de la nostalgie mais conserve la puissance et la radicalité de Pina Bausch.
Ces représentations parisiennes deSweet Mambo du Tanztheater Wuppertal Pina Bausch étaient comme un voyage Back to the future. Les plus anciens d’entre nous ont retrouvé ces spectatrices et spectateurs, carton en main, recherchant place désespérément sur le parvis du Théâtre de la Ville. C’était l’époque où l’on voyait annuellement les colonnes Morris ornées de l’affiche fringante du dernier spectacle de Pina Bausch barré d’un large bandeau rouge “Complet “. Comme un pied de nez à toutes celles et ceux qui n’avaient pas pu se procurer une place. À moins d’être abonné, il était quasiment impossible de trouver un billet pour un spectacle de Pina Bausch, sauf à faire le pied de grue devant le Théâtre de la Ville. Voyage dans le passé aussi car Sweet Mambo est le dernier spectacle présenté au Théâtre de la Ville du vivant de la chorégraphe. C’était au tout début de l’année 2009. Déjà, Pina Bausch imaginait ce qui serait son ultime création “…como el musguito en la piedra, ay si, si, si… “, présentée à Wuppertal le 12 juin 2009. La chorégraphe mourra d’un cancer foudroyant le 28 juin, laissant une troupe abasourdie et orpheline.
Depuis la disparition de Pina Bausch se pose une question récurrente et complexe de la préservation et de la transmission de son répertoire. De son vivant, la chorégraphe était très réticente et parcimonieuse dans la cession des droits de ses œuvres. Cela tenait beaucoup au processus de création qu’elle avait élaboré, fondé sur une longue série d’improvisations qu’elle construisait avec ses interprètes et dont elle ne conservait que les meilleures ou les plus signifiantes. Pina Bausch n’aura consenti à transmettre que Le Sacre du Printemps de Stravinsky et Orphée etEurydice de Gluck, parce que ces deux œuvres étaient construites sur des partitions qui constituaient déjà un ballet et un opéra dont la chorégraphe a livré une vision géniale. L’Opéra de Paris, grâce à l’amitié qui liait Brigitte Lefèvre et Pina Bausch, fut très longtemps l’unique théâtre ayant ces pièces à son répertoire. La succession compliquée de l’œuvre de Pina Bausch n’a pas facilité cette réflexion sur l’avenir de son oeuvre. Et comment retrouver l’énergie d’un processus créatif si singulier qui ne se fonde pas sur une simple répétition de gestes ? Les pièces remontées depuis la mort de Pina Bausch ont produit des résultats divers. Sweet Mambo rompt avec cette histoire en remettant sur scène les interprètes historiques : Julie Shanahan, Héléna Pikon, Julie Anne Stanzak, Nazareth Panadero, Aida Vainieri, Daphnis Kokkinos et Andrey Berezin. Flanquées de trois nouvelles venues, elles ont travaillé sous la direction du chorégraphe norvégien Alan Lucien Øyen pour retrouver l’impulsion d’origine.
Le résultat est troublant. Il y a pour celles et ceux qui ont vu le spectacle à sa création un plaisir étrange à retrouver la troupe de Wuppertal et ses personnalités fortes et singulières. Mais c’est aussi prendre immédiatement conscience du temps qui passe : leurs corps, le nôtre ont vieilli en 15 ans, se sont inexorablement transformés. Passé ce choc initial, le plaisir est intact. La scénographie de Peter Pabst nous enveloppe dans ses rideaux blancs qui ondulent et s’agitent. Sweet Mambo se construit avec une déferlante de saynètes – une forme récurrente chez Pina Bausch – comme une série de brefs contes cruels à l’humour décapant. Ce sont les femmes ici qui mènent la danse : orgasme simulé comme si on était au spectacle et que l’on regarde en même temps ce qui se passe sur scène. Héléna Pikon y est irrésistible. Nazareth Panadero est tout aussi drôle dans sa revendication d’identité en jouant sur la signification de son nom de famille : “Panadero, c’est simple, ça veut dire boulanger”. Julie Shanahan tente désespérément de s’élancer en diagonale vers la coulisse côté cour en criant “Let me go“, retenue par deux danseurs. Comme toujours, Pina Bausch parvient à construire son récit en partant d’un chaos qui à première vue défie toute logique. Que nous dit-elle ? Que ces femmes veulent à la fois revendiquer leur pouvoir de séduction et ne rien abdiquer de leur liberté. Ce postulat résolument féministe se décline avec bonheur sur les musiques jazzy de Matthias Burkert et Andreas Eisenschneider.
Tout un nouveau public découvre aujourd’hui Pina Bausch et on attend avec gourmandise les prochaines reprises. Boris Charmatz, qui désormais dirige le Tanztheater Wuppertal, va devoir piocher dans le large répertoire de la chorégraphe. Déjà dans les studios du Palais Garnier, on répète l’entrée au répertoire de Barbe-Bleuecréée en 1979, l’une des premières pièces de Pina Bausch. Il sera passionnant de voir comment les danseuses et les danseurs de l’Opéra de Paris prennent possession de cette œuvre mythique.
Sweet Mambo de Pina Bausch par le Tanztheater Wuppertal, avec Andrey Berezin, Naomi Brito, Nayoung Kim,Daphnis Kokkinos, Alexander López Guerra, Reginald Lefebvre, Nazareth Panadero, Héléna Pikon, Julie Shanahan, Julie Anne Stanzak et Aida Vainieri. Samedi 27 avril 2024 au Théâtre de la Ville de Paris.