[Les Nuits de Fourvière 2024] The Pulse – Gravity & Other Myths
La saison des festivals d’été s’est ouverte fin mai avec les Nuits de Fourvière à Lyon, certes dans une ambiance humide et froide, mais par un spectacle enthousiasmant. La compagnie de cirque australienne Gravity & Other Myths y présentait en ouverture The Pulse, son spectacle créé en 2021 et encore jamais mené en France. Sur scène, une trentaine d’acrobates et tout autant de choristes se mêlent dans une danse acrobatique et aérienne à couper le souffle de virtuosité et d’intensité, portée par une écriture chorégraphique percutante et un sens du spectacle ravageur. Un moment puissant où le sens du collectif prend tout son sens.
L’ouverture des Nuits de Fourvière, qui marque le début de la saison des festivals d’été, ne s’est pas franchement faite dans la douceur d’une nuit prémices de l’été qui arrive. Pour cette année 2024, place plutôt aux parkas, bonnets pour les plus judicieux et une certaine humidité dans l’air (les trombes d’eau ont toutefois eu la gentillesse de s’arrêter dans le courant de l’après-midi). Sur scène toutefois, le festival s’est ouvert sous les meilleurs auspices par le très réussi spectacle The Pulse par la compagnie de cirque australienne Gravity & Other Myths. La troupe est déjà venue en France il y a quelques années et on connaît sa virtuosité époustouflante des portés, son jeu vertigineux de l’acrobatie aérienne qui cherche toujours à pousser plus loin cette technique. The Pulse, leur nouveau spectacle monté en 2021, ne faillit pas à la règle, mais sa dimension artistique et chorégraphique franchit un cap. Voilà un spectacle qui mêle la poésie au grand frisson du danger, propose un voyage onirique qui nous porte dans une tornade d’images et de sensations. Le tout porté par un travail musical passionnant sur la musique vocale a capella du compositeur actuel Ekrem Eli Phoenix, proposant une partition gentiment répétitive aux notes pop diablement efficaces.
The Pulse, c’est tout d’abord une magistrale écriture chorégraphique. Un peu comme pour Möbus de Rachid Ouramdane et la compagnie XY, qui vient aux Nuits de Fourvière début juillet, le langage employé est ici l’acrobatie aérienne. Le spectacle s’empare de ce formidable vocabulaire pour l’amener encore plus loin, jouer avec, le triturer, revenir à sa base et imaginer encore d’autres choses, dans un jeu qui semble infini tant l’imagination chorégraphique ne cesse de se déployer pendant plus d’une heure. Un porteur, une femme monte sur ses épaules. Puis une autre. Peut-être encore une autre, oui, tandis que les autres assurent les atterrissages. À partir de cette base, si connue pourtant, tant de choses sont possibles et peuvent encore être inventées. C’est ce que semblent se dire les artistes de la troupe, cherchant en permanence une nouvelle façon d’écrire le corps en envol. À cette passionnante écriture se joignent un jeu de lumières qui sait créer des espaces et prolonger les émotions, ainsi qu’une mise en scène efficace. Les circassiens et circassiennes ne résistant pas d’ailleurs à se servir du Grand théâtre antique en grimpant dans les escaliers de pierre pour se saisir de cordes tendues dans le ciel lyonnais. Un système qui sert plus à vrai dire à structurer l’espace que véritablement utile dans l’écriture du mouvement, mais cela fonctionne, à l’image du très réussi jeu de lumières sur les cordes tendues en fond de scène.
Il y a aussi l’alchimie particulière qui lie les artistes de Gravity & Other Myths. Chacun et chacune semble faire partie de la même famille, se connaître depuis toujours. Plus que la volonté de virtuosité, c’est d’abord l’amitié qui porte le spectacle The Pulse, la cohésion, le plaisir d’être ensemble et de se soutenir. L’acrobatie aérienne en est la métaphore même et on ne peut faire ce genre de spectacle sans un véritable esprit collectif. Mais ici, c’est d’abord cette cohésion qui est à la base de l’écriture. Une grande force collective émerge ainsi continuellement du plateau et porte ces moments suspendus. Ces quelques secondes avant que la circassienne, perchée sur trois camarades, ne se laisse tomber dans le vide. Ou celles entre le “Ready” lancé haut et fort et l’appel du mouvement. La troupe aime d’ailleurs se servir de ce tempo pour créer comme une sorte de petit suspens et jouent malicieusement avec le public. C’est aussi cet état d’esprit profondément collectif et aimant qui transforme The Pulse en bien autre chose qu’une démonstration époustouflante de virtuosité, qui ne peut d’ailleurs jamais suffire pour créer un véritable temps artistique.
Et sur scène, il n’y a pas que la trentaine d’acrobates. La musique, signée Ekrem Eli Phoenix, est chantée sur le plateau par une trentaine de chanteuses et chanteurs du Young Adelaide Voices, a capella et sans partition pendant plus d’une heure, une autre forme de virtuosité. Au début du spectacle, le chœur reste en fond de scène tandis que la cheffe est à peine à vue, dans un coin à cour. Puis petit à petit, choriste et acrobates prennent possession à part égal du plateau, se répondent, jouent, avant de se mélanger. Le groupe devient comme une grande masse mouvante, vibrant par le corps et les voix. En fin de spectacle, la cheffe de chœur Buia Reixach se fait soliste tandis que deux acrobates femmes se livrent à un magnifique duo au son de sa voix, dans un halo de lumière. Ce spectacle grand format se transforme alors en un moment personnel et intimiste, même au cœur de cet immense Théâtre antique, aux accents de sororité puissants. Après avoir fait corps, chacun et chacune montre un petit bout de soi qui restait caché par les autres. Avant une dernière pyramide géante qui ne semble jamais vouloir s’arrêter de tomber, comme si le groupe n’en avait pas encore fini avec la gravité. Tout au long du spectacle, on en prend plein les yeux et plein le cœur, petit miracle d’équilibre entre une puissante virtuosité assumée et une poésie omniprésente. À moins que ce ne soit cet immense plaisir des artistes d’être ensemble, et de faire ensemble des choses extra-ordinaires. Malgré les parkas et les pierres humides, voilà qui ne pouvait mieux ouvrir la saison des festivals.
The Pulse de la compagnie Gravity & Other Myths, direction artistique Darcy Grant, dans le cadre des Nuits de Fourvière. Avec les acrobates Alyssa Moore, Andre Augustus, Annalise Moore, Axel Osborne, Dylan Phillips, Emily Gare, Isabel Estrella, Jacob Randell, Joanne Curry, Jordan Hart, Joshua Strachan, Kevin Beverley, Lachlan Binns, Lachlan Harper, Lewis Rankin, Louis Gift, Lyndon Johnson, Maya Tregonning, Megan Giesbrecht et Shani Stephens. Musique de Ekrem Eli Phoenix interprété par l’ensemble Young Adelaide Voices, cheffe de chœur et soliste Buia Reixach. Jeudi 30 mai 2024 dans le Grand Théâtre antique de Fourvière.
Le festival Les Nuits de Fourvière continue jusqu’au 25 juillet.