Requiem(s) d’Angelin Preljocaj – Ballet Preljocaj
La dernière pièce d’Angelin Preljocaj, oeuvre ample, conçue pour dix-neuf danseuses et danseurs, dévoile son objet dès le titre : Requiem(s). Le chorégraphe s’attarde sur la mort, le deuil, les rites funéraires dans un ballet savamment construit qui regorge de références, telle une tentative de typologie dansée de ce qui unit tout à chacun : la finitude inexorable de l’existence. Angelin Preljocaj déploie un large arsenal chorégraphique pour élaborer sans pathos un récit palpitant servi par des interprètes exceptionnels.
C’est par celle des autres, de nos proches, des êtres qui nous sont chers, que l’on commence à expérimenter la mort. Le temps qui passe nous déleste cruellement de nos parents ou de nos amis. C’est un lot commun que partage l’humanité. Angelin Preljocaj a perdu coup sur coup son père, sa mère et des proches. On est orphelin à tout âge et ce vertige a suscité chez lui l’envie d’en faire une œuvre, de s’arrêter sur ce moment bref et spécifique de la vie, ce passage vers un ailleurs dont on ne sait s’il est autre ou synonyme de néant. “Requiem”, c’est le repos en latin. En utilisant le pluriel “Requiem(s), Angelin Preljocaj nous donne d’emblée avec sa récente création quelques clefs pour entrer dans ce voyage. Il ne s’agit pas d’un récit diachronique, de narration, mais d’une large typologie des mythes et légendes qui hantent nos visions de la mort.
C’est en douceur, mezza-voce, que débute Requiem(s) alors que l’on entend une musique rock qui va crescendo. Et puis le rideau s’ouvre sur une image foudroyante, incipit quasi tautologique du propos d’Angelin Preljocaj. Trois quatuors de danseuses et danseurs sont resserrés en rond, surplombés par de larges nacelles dont on peine à deviner ce qu’elles sont. Peut-être des tombeaux dans lesquels gisent des corps inanimés. Mais très vite, on les voit qui bougent et respirent. Ces écrins deviennent alors des chrysalides et les quatuors se font quintettes, rejoints par ces êtres que l’on croyait morts. Les images sont puissantes, amplifiées par la musique de György Ligeti. Puis, sans même nous laisser le temps de souffler, les dix-neuf danseuses et danseurs envahissent la scène, déferlent dans un ballet où Angelin Preljocaj construit l’unisson pour mieux s’en échapper. Ces ensembles fiévreux sont la colonne vertébrale de Requiem(s). Nimbés dans les sublimes lumières d’Éric Soyer, ils scandent le récit avec une virtuosité constante : ça claque, ça percute, ça tremble jusqu’à devenir une transe hypnotique d’une vitalité inouïe qui semble paradoxalement à contre-courant du sujet. Ces superbes danses de groupes sont constamment entrecoupées de scènes plus intimes qui nous ramènent inexorablement vers la mort vue dans tous ses états On croise dans ce voyage une descente de la croix, une piéta douloureuse, le passage du Styx.
Angelin Preljocaj amoncelle tout ce qui lui semble faire sens et nourrit son propos. C’est ainsi qu’il nous fait entendre à nouveau la voix de Gilles Deleuze analysant la phrase de Primo Levi, rescapé d’Auschwitz lorsque l’écrivain italien parlait de “La honte d’être un homme“. Cette incursion littéraire et savante nous met aux prises avec une autre facette funèbre, celle de la mort infligée à l’homme par l’homme avec cette évocation de la Shoah, cette organisation industrielle et monstrueuse de la mort catastrophe absolue de l’humanité. Le chorégraphe joue par petites touches et refuse tout pathos dans ces évocations, au risque parfois de ne pas laisser le temps de l’émotion tant le ballet traverse à toute allure les territoires de la mort, en les alimentant d’images empruntées à Goya ou à Francis Bacon. De la même manière, le chorégraphe va puiser dans une multitude de sources musicales qui vont de Mozart, inévitable, Bach, Ligeti et ose le rock metal rugueux du groupe américain System of a Down. Nicolas Clauss a conçu des vidéos qui captent les couleurs et l’atmosphère de la chorégraphie alors que le noir et blanc domine les costumes somptueux de l’italienne Eleonora Peronetti.
On ressort bousculé par cette immersion haletante au royaume des morts. Angelin Preljocaj nous aura rappelé dans ce Requiem(s) ce paradoxe fondamental de la mort : une expérience d’une totale solitude mais une destinée que nous partageons toutes et tous car tel est notre sort. C’est ainsi qu’Angelin Preljocaj a bâti une œuvre qui percute et questionne sans être jamais macabre.
Requiem(s) d’Angelin Preljocaj, avec Lucile Boulay, Elliot Bussinet, Araceli Caro Regalon, Leonardo Cremaschi, LuciaDeville, Isabel García López, Mar Gómez Ballester, Paul-David Gonto, Béatrice La Fata, Tommaso Marchignoli, Théa Martin, Víctor Martínez Cáliz, Ygraine Miller-Zahnke, Max Pelillo, Agathe Peluso, Romain Renaud, Mireia Reyes Valenciano, Redi Shtylla, Micol Taiana. Vendredi 31 mai 2014 à la Grande Halle de la Villette.
À voir en tournée dès cet été et toute la saison prochaine : les 4, 5 et 6 juillet à Montpellier Danse, du 16 au 19 octobre au Grand Théâtre de Provence, du 12 au 19 mars 2025 à l’Opéra Royal du Château de Versailles…
Clamens
Je surveille continuellement ces passages sur Nice ou Cannes…
Vivia
C’est un chorégraphe merveilleux, je vais à Montpellier le voir.
Marie Gonnard
Moi aussi, je surveille…..
Muriel
J’ai compté 11 filles et 7 garçons, soit 27 danseurs .
On en a perdu depuis les répétitions.
C’est sublime, les danses de groupe, trop violent par moment avec musique hard rock
La troupe est fabuleuse.