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[Festival La Maison Danse Uzès 2024] Simon Le Borgne / Ruth Childs / Coline

Plus que tout autre, le festival La Maison Danse, dont c’était la 29e édition, fait corps avec la somptueuse ville d’Uzès. Qui a vibré durant cinq intenses journées aux rythmes multiples et variés des propositions et des spectacles. Au fil des parcours, on a retrouvé avec bonheur Simon Le Borgne, superbe transfuge de l’Opéra de Paris pour sa création Ad Libitum, Ruth Childs pour son implacable Blast, pièce d’une radicalité inouïe sur la violence et la douleur des corps. Enfin Coline, l’école qui forme à Istres depuis près de 30 ans des danseuses et danseurs professionnels, a présenté un double programme infiniment festif avec les pièces d’Alban Richard (Life is better at the beach) et de Thomas Lebrun (Mud/Le final). Trois programmes divers dans leurs esthétiques et réjouissants par l’énergie phénoménale qui s’en dégagent.

 

Ad Libitum – Simon Le Borgne et Ulysse Zangs

 

Le festival La Maison Danse Uzès, c’est la promesse de cinq jours de danse hétéroclites et riches de surprises, à découvrir au fil des journées aux quatre coins de la ville. Pour cette édition 2024, c’est ainsi sur la promenade des Marronniers, qui jouxte les murs de l’Évêché, que l’on retrouve le danseur Simon Le Borgne. Et quel plaisir d’avoir de ses nouvelles. Non pas que l’on ait perdu de vue ce danseur exceptionnel qui fut une figure essentielle du répertoire contemporain du Ballet de l’Opéra de Paris. On l’avait retrouvé au Tanztheater Wuppertal, l’an dernier splendide aux côtés de Letizia Galloni dans la reprise de Café Müller, puis cette saison dans un Théâtre du Châtelet désossé et réinventé pour accueillir Liberté ! Cathédrale de Boris Charmatz. Mais à Uzès, il nous invite dans son univers propre avec sa pièce Ad Libitum. Sur le plateau, autour duquel le public a pris place, se trouvent deux espaces pour le musicien Ulysse Zangs (ancien élève de l’École de Danse de l’Opéra de Paris avant de se tourner vers la musique), un pour la guitare et le second pour la batterie. Et c’est face à face que les deux artistes débutent dans le silence et une infinie lenteur. Sur le souffle amplifié au micro, Simon Le Borgne, d’abord statique, s’anime : la tête, les mains puis peu à peu tout le corps qui se plie, se tord, se vrille puis se resserre. Le corps du danseur caresse le sol avant de se hisser à nouveau.

Simon Le Borgne, avec sa silhouette longiligne, dégage un charisme de tous les instants. Dans cette configuration où le public l’entoure, très proche, il est impossible de ne pas le suivre dans ce voyage où il se livre corps et âme. Impossible encore de ne pas être subjugué par sa technique implacable jusqu’à ce moment suspendu où il va chercher l’équilibre sur l’extrême des demi-pointes pour un relevé longuement tenu. Puis Ulysse Zangs abandonne sa guitare électrique pour prendre place au centre dans une présentation académique. En miroir de la séquence précédente, il va à son tour casser le mouvement, se plier, reformer la position initiale et s’affaisser à nouveau. Simon Le Borgne réinvestit le plateau pour un final crescendo où il va chercher la vitesse jusqu’à l’épuisement sur une rythmique répétitive ad libitum. Ce format sur un espace resserré crée inévitablement une intimité avec le public et l’on peut être troublé par cette proximité inhabituelle, souhaitée par Simon Le Borgne pour dit-il “créer une intimité, entre nous et, par le regard, prendre à partie (le public)“. On est à coup sûr subjugué par ce duo osmotique.

 

Blast de Ruth Childs

 

C’est à l’Ombrière que Ruth Childs présente Blast. Si ce spectacle féroce et funèbre résisterait au plein-air, il réclame nécessairement les murs d’un théâtre et en toute logique, Marie Peluchon, qui dirige depuis deux éditions le festival La Maison Danse, a programmé le solo de Ruth Childs dans le magnifique théâtre d’Uzès.  Créé il y a deux ans, Blast poursuit sa route et rencontre son public. Il s’agit pourtant d’une pièce qui vous fracasse.J’avais envie de sortir de mon corps, de me remplir d’autres corps fictionnels en me focalisant spécifiquement sur les corps remplis de violence, douleur, de difficulté, de haine, de tristesse…“, explique Ruth Childs..

La chorégraphe anglo-américaine a préféré ne pas traduire le sens de Blast, “Explosion” en anglais qui aurait peut-être ajouté un trop-plein. Blast est une déferlante qui met dans un état de sidération. Après une course initiale en rond et en silence, la douleur et la souffrance s’invitent très vite. Ruth Childs se contorsionne, masquée d’une grimace bouche ouverte, avant de se jeter à terre pour incarner un état convulsif de souffrance extrême. Ce n’est plus le souffle que l’on entend mais des cris de douleur alors que son corps est secoué de tremblements qui semblent ne jamais pouvoir être soulagés. Ruth Childs n’a pas en tête de nous épargner. Émane de son corps si menu une violence extraordinaire. Une heure durant, elle nous tient et ne nous lâche jamais. On ressort sonnés, épuisés tant la chorégraphe et danseuse a atteint notre tréfonds où résident ces douleurs et violences endormies.

 

Life is better on the beach d’Alban Richard – Coline 

 

Si on a croisé de nombreux solos dans cette édition 2024 de La Maison Danse Uzès, les pièces collectives ont aussi trouvé leur chemin. Comme Queen Blood, la pièce posthume du regretté Ousmane Sy. Mais aussi l’école de formation Coline basée à Istres, qui est venue avec la promotion 2024 proposant un spectacle en deux parties. Alban Richard a honoré la commande de Coline avec une création originale pour treize danseuses et danseurs, Life is better at the Beach. S’il n’est pas certain à les voir sur scène que la vie soit nécessairement meilleure à la plage, on est transporté par l’énergie explosive de ces jeunes interprètes. La pièce s’étire en 30 minutes sur un remix extended de l’iconique I feel love de Donna Summer. Sur ce funky d’enfer, Alban Richard nous régale d’une danse totalement déjantée qui débute en solo dans une série de mouvements mécaniques, tel un robot désarticulé. Lunettes fumées, paréos et inévitable smartphone comme machine à selfies sont les accessoires indispensables de cette après-midi balnéaire. Petit à petit, les interprètes rejoignent la scène du Jardin de l’Évêché avec ses hauts murs comme fond de scène. C’est alors que le mouvement s’élargit pour une danse de groupe sur-vitaminée en forme d’after où l’on se regarde sans se voir. Le final de Mille et une danses (2021), choisi par Thomas Lebrun, ne départ pas et prolonge cette dynamique festive avec cette pièce de groupe où chacune et chacun est appelée à se dissocier pour un solo improvisé. Il n’y a rien de très difficile techniquement mais on admire la cohésion du groupe et l’expression constante de la joie des interprètes. C’est un peu le leitmotiv du Festival d’Uzès, résolument festif et convivial.

 

MUD/Le final de Thomas Lebrun – Coline

 

Festival La Maison Danse Uzès 2024

Ad Libitum de Simon Le Borgne avec Ulysse Zangs, samedi 8 juin 2024 à la Promenade des Marronniers.

Blast de et avec Ruth Childs, samedi 8 juin 2024 à l’Ombrière.

Life is better at the Beach d’Alban Richard et MUD/Le Final de Thomas Lebrun par Coline, avec Bilal Alami Badissi, Joffrey Bardot, Hippolyte Desneux, Pénélope Estevez Perera, Cassandre Guerdat, Isaë Lecarpentier, Juliette Peyronnaud, Yuma Pochet, Thais Robin, Noah Deneulin-Rolland, Matéo Souillard, Lilian Taillard et Anaëlle Thiery. Vendredi 7 juin 2024 au Jardin de l’Évêché.

 

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