Soirée Teshigawara/Brown/Kylian – deuxième distribution
Les ombres et lumières de cette soirée contemporaine du Ballet de l’Opéra de Paris sont changeantes. Dans le ballet Doux mensonges de Jiří Kylián, la scène est la lumière, le sous-sol est l’ombre. Le premier couple (Eve Grinsztajn et Alessio Carbone) se sent plus à l’aise sur la première, brille et n’est que poésie. Le deuxième (Aurélie Bellet et Alexandre Gasse) ne prend son sens que dans les tréfonds, où le côté noir de l’être humain prend le dessus. Et que se passe-t-il lorsque les rôles son inversés ? Le couple de lumière se teinte d’inquiétude, de peur, il n’est pas à sa place. Le deuxième garde son parfum étrange même porté par une chorégraphie solaire.
L’équilibre entre les deux est menue, mouvante. Il suffit d’un geste pour que la lumière ou l’ombre ne prenne le dessus, pour aussitôt repartir et laisser la place à l’autre. Alors qui l’emporte au final ? Tout dépend des interprètes. Lors de la première, le couple de l’Ombre Stéphane Bullion et Alice Renavand ont tenu le fil du ballet, qui a semblé se conclure par l’horrible agression du sous-sol. Pour ce soir-là, c’est l’inverse, avec la lumineuse – et toujours un peu tragédienne – Eve Grinsztajn menant la danse, secondée par Alessio Carbone à la gestuelle si fluide et musicale. Ce fut plutôt leur pas de deux qui reste en tête, un véritable moment d’élévation (ce qui, après tout, est le but du spectacle vivant, dont cette chorégraphie est une sorte de métaphore). Doux mensonges est décidément un ballet changeant, et par là toujours surprenant.
Darkness is hiding black horses de Saburo Teshigawara offrait une surprise d’un autre genre, par sa transformation de trio en un duo. Nicolas Le Riche s’est blessé, son remplaçant Marc Moreau s’est blessé, il faut faire avec.
Et tout commence plutôt bien avec Aurélie Dupont, seule en scène et lumineuse. C’est elle qui semble contrôler les panaches de fumée avec ses amples mouvements de bras. Ambiance création du monde, où la lumière prend petit à petit le pas sur les ténèbres. Jérémie Bélingard tient bien ce dernier rôle, mais pas celui de Nicolas Le Riche. Par le jeu des découpages, il reprend le dernier solo, tel un pantin désarticulé, un peu perdu et cherchant un sens au mouvement. Nicolas Le Riche, lui, dans ce même passage, donnait l’impression d’expliquer le mouvement. La pièce ne tient pas en duo, il manque le rôle qui lie les deux autres. Et les deux danseurs, malgré leur personnalité, donnent plus souvent l’impression d’être perdus sur la grande scène qu’autre chose.
Pas de miracle enfin pour Glacial Decoy de Trisha Brown. Difficile finalement d’apprécier une oeuvre quand les interprètes ne semblent qu’esquisser le mouvement. Ces cinq danseuses n’ont jamais eu autant l’air de ballerines classiques que dans cette pièce très contemporaine.
Soirée Teshigawara/Brown/Kylian par le Ballet de l’Opéra de Paris, au Palais Garnier.
Trois ballets : Darkness is hiding black horses de Saburo Teshigawara (création), avec Aurélie Dupont et Jérémie Bélingard ; Glacial Decoy de Trisha Brown, avec Caroline Bance, Séverine Westermann, Christelle Granier, Claire Gandolfi et Gwenaëlle Vauthier ; Doux mensonges de Jiří Kylián, avec Eve Grinsztajn, Alessio Carbone, Aurélie Bellet et Alexandre Gasse.