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[Arte Flamenco 2024] Chloé Brûlé et Marco Vargas / Dorantes / Manuel Liñán / Miguel Vargas

Mont-de-Marsan s’habille chaque année aux couleurs du flamenco durant la première semaine de juillet. Pour la 35ème  année consécutive, Arte Flamenco a fait vibrer la cité landaise avec une foison de spectacles, mêlant les grandes stars aux nouvelles pousses, la danse et la musique, la tradition et la modernité. Cette édition 2024 a toutefois renouvelé le format en investissant de nouveaux lieux plus propices aux spectacles chorégraphiques, sans rien renier de son esprit festif et spontané, et en augmentant le nombre de propositions gratuites à travers la ville. On a pu ainsi découvrir la dernière création de Manuel Liñán, Muerta de Amor, pièce charnelle et sensuelle en forme de revue flamenca. Chloé Brûlé et Marco Vargas nous ont amenés dans le monde de la lenteur déclinant les cycles de la vie avec Origen, spectacle solaire et pastoral. Pour la musique, le pianiste virtuose Dorantes est revenu fêter ses débuts au festival il y a 25 ans avec un concert jazz flamenco et le guitariste Ramon Vargas nous a transportés vers ses racines en Estrémadure.

 

Muerta de Amor de Manuel Liñán

 

Lionel Niedzwiecki, le directeur général d’Arte Flamenco, n’a pas voulu changer l’esprit du festival pour ses 35 ans. Mais des modifications s’imposaient. Le Café Cantante éphémère qui investissait à chaque édition le marché de Mont-de-Marsan était un lieu festif, restituant une atmosphère conviviale avec ses tables et facilitait le partage et la communication. En revanche, tous les spectacles n’y trouvaient pas leur compte et en particulier la danse. L’absence de pente de la salle et le gigantisme du lieu obstruaient la vision de la scène. C’est désormais au Théâtre de Gascogne, à la périphérie de la ville, que sont programmés les spectacles de danse. C’est un outil formidable, une salle de 700 places, confortable et qui dispose de toute l’infrastructure technique pour servir au mieux les artistes.

C’est là que l’on a découvert Origen, la dernière création de Ramon Vargas et Chloé Brûlé. On avait été séduit par leur précédent spectacle vu au Festival de Nîmes il y a deux ans. Cette nouvelle pièce confirme l’inventivité de couple – lui est espagnol, elle canadienne – qui s’est formé il y a près de 20 ans avec le projet d’explorer une esthétique qui mêle la danse contemporaine et flamenco. Ils ne sont pas seuls sur ce créneau mais ils ont trouvé un chemin séduisant qui allie avec bonheur tradition du flamenco et théâtre dansé. Avec Origen, ils nous proposent d’explorer la lenteur, de « s’arrêter pour percevoir la valeur du petit, de contempler l’élégance du simple… « . Une grande table de ferme occupe l’espace du plateau avec ses sept convives tenant à la main un épi de blé. L’ambiance est solaire malgré le silence, rompu par Manolo Marin, danseur et chorégraphe de légende qui, à 88 ans, a accepté sans hésiter l’invitation de Ramon Vargas et Chloé Brûlé. Il ne dansera pas très longtemps mais suffisamment pour nous ravir avec le sourire collé aux lèvres. Moment suspendu chaudement salué par le public. Puis la table pivote pour faire face à la salle et débute la séquence la plus originale d’Origen. Assis, les danseuses et danseurs entament une chorégraphie qui se décline uniquement avec les mains qui tapent sur la table, se croisent et se décroisent. A-t-on jamais vu de la danse flamenca avec les mains ?

Il y a d’autres scènes moins percutantes dans Origen. Puis Chloé Brûlé et Ramon Vargas exécutent un pas deux d’une infinie sensualité où s’entremêlent les styles entre danse de salon et flamenco. Origen est empreint de nostalgie heureuse, évoque un paradis pastoral perdu dans des lumières solaires splendides. Le final entre Manolo Marin et la danseuse Fuensanta « La Moneta » que plus de 40 ans séparent se lit comme un joli dialogue chaleureux entre deux stars du flamenco.

 

Origen de Marco Vargas et Chloé Brûlé

 

Arte Flamenco cultive aussi ses fidélités, les anniversaires. Le pianiste Dorantes était venu à Mont-de-Marsan il y a 25 ans pour présenter son album Orobroy. Ce fut un coup de tonnerre sur la planète flamenca. Le piano n’avait jusqu’alors jamais été associé à cet univers. Venu d’une famille de musiciens. David Pena Dorantes, d’origine gitane, a tout naturellement débuté par la guitare avant de se tourner à l’âge de 10 ans vers le piano, qu’il étudiera au Conservatoire de Séville. Virtuose, il mélange jazz, musique classique avec une forte influence de Debussy et rythmes flamencos. L’écouter est une expérience unique, tant le son qu’il déploie avec son Steinway est un syncrétisme musical exceptionnel. Fidèle à la tradition généreuse du flamenco, Dorantes a convié sur scène pour son spectacle 35 anos despues la danseuse Leonor Leal. Brune, coupe de cheveux à la Liza Minnelli, elle ajoute un aspect glamour avec une danse incisive, élégante alliant avec doigté influences jazz et flamenco.

 

35 anos despues de Dorantes

 

On guettait évidemment la dernière pièce de Manuel Liñán. C’était la première en France après sa création en juin à Madrid. Spectacle total à la dramaturgie rigoureuse, Muerta de Amore est une œuvre qui sonde les états amoureux dans ses différentes acceptions : séduction, approche charnelle, érotisme même. Manuel Liñán et sa compagnie nous emmènent dans ce voyage qui s’apparente dans sa structure à une revue flamenca où les épisodes se succèdent, introduisant des scènes où se jouent les phases de l’amour, des tentatives d’approche aux fantasmes enfin réalisés.

Ils sont six danseurs, tous vêtus de noir dans un décor rose. Manuel Liñán apparaît tel un chef de bande. Mais ce prélude viriliste n’est qu’un piège car Muerta de Amor surfe sur l’homoérotisme qui entoure toute la pièce. Le chorégraphe fait un sort aux clichés de genre alors que certains danseurs ont les jambes recouvertes de jupes. Il s’aventure aussi du côté du travestissement en se concoctant une robe de bailora pour un solo de sévillanes. De la scène de drague par la danse dans le plus pur flamenco à une variation classique de belle tenue où l’un des danseurs enchaîne tours, pirouettes, batteries et arabesques, des emprunts aux danses folkloriques jusqu’à un geste plus contemporain, Muerta de Amor est un spectacle ébouriffant, parfaitement calibré malgré sa durée. Il n’y a pas de place pour l’improvisation car Manuel Liñán veut dévider son récit dont il nous livrera la clef, ou plutôt le slogan, en écrivant en larges lettres : « Qui que ce soit pourvu que l’on m’aime ».

Ses interprètes sont tous excellents, aussi bons danseurs qu’acteurs. Le chant déchirant de Mara Rey, la voix rugueuse de Juan de la Maria ajoutent de la profondeur de chant à ce spectacle dont émanent tendresse, tristesse et humour. C’est un hymne formidable à la liberté d’aimer. On guettera cet automne le retour en France de Manuel Liñán qui présenta au festival Le Temps d’aimer de Biarritz sa précédente création ¡Viva !.

 

Muerta de Amor de Manuel Liñán

 

C’est avec la guitare de Miguel Vargas que se referme la soirée dans le Théâtre Molière. Voilà un flamenco roots qui plonge dans les racines de la terre d’Estrémadure, région du sud-ouest de l’Espagne. Vengo de mi extremadura est un spectacle qui nous transporte à des centaines de kilomètres de Mont-de-Marsan. Sur les accords et le jeu de guitare unique de Ramon Vargas, accompagné de Juan Vargas, s’élèvent les voix puissantes et douloureuses de La Kaita et Juanfran Carrasco. La jeune danseuse Zaira Prudencio investit la scène sur certains morceaux avec un flamenco traditionnel de très belle facture.

Mais le spectacle ne s’arrête jamais à Arte Flamenco. Dès le matin, les stagiaires s’affairent pour améliorer leur zapateo. Depuis l’an dernier, les spectacles gratuits en plein air se sont multipliés avec une vaste scène devant le Théâtre Molière. Et puis au détour des rues, des groupes amateurs font résonner voix et guitare. Tard dans la nuit, Mont-de-Marsan vibre encore au rythme flamenco.

 

Vengo de mi Extremadura de Miguel Vargas

 

Arte Flamenco 2024

Origen de Marco Vargas et Chloé Brûlé avec Manolo Marin, Fuensanta « La Moneta », Carmen Muñoz (danse) et Miguel Vargas, Raul Cantazino (guitare). Mercredi 3 juillet 2024 au Théâtre de Gascogne.

35 anos despues de Dorantes (piano) avec Sergio Fargas (percussions),Las Rodes (chœur) et Leonor Leal (danse). Mercredi 3 juillet 2024 au Théâtre Le Molière.

Muerta de Amor de Manuel Liñán avec Alberto Selles Juan Tomas de la Molia, Miguel Heredia, José Ángel Capel, David Acero, Ángel Reyes (danse), Mara Rey et Juan de la Maria (chant), Francisco Vinuesa (guitare) et Victor guadania(violon), Javier Teruel (Percussions). Jeudi 4 juillet 2024 au Théâtre de Gascogne. ¡Viva! de Manuel Liñán à voir le 7 septembre au festival Le Temps d’aimer la danse.

Vengo de mi Extremadura de Miguel Vargas avec Juan Vargas (guitare), La Kaita et Juanfran Carrasco (chant), Daniel Suárez (percussions) et Zaira Prudencio (danse). Jeudi 4 juillet 2024 au Théâtre Le Molière.

 

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