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[Photos] Retour sur les différentes distributions de La Belle au bois dormant de Rudolf Noureev – Ballet de l’Opéra de Paris

La Belle au bois dormant de Rudolf Noureev est sortie de son long sommeil à l’Opéra de Paris – plus de dix ans, toute une génération d’artistes. Après notre chronique détaillée, place à notre traditionnel diaporama-photos de toutes les distributions qui se sont succédé en scène. Avec un focus par écrit sur quatre d’entre-elles.  La Belle au bois dormant reprend du 27 juin au 14 juillet.

 

Diaporama-photos de La Belle au bois dormant

Photos : Agathe Poupeney et Maria-Helena Buckley

 

Quelle prise de rôle ! À 41 ans, Dorothée Gilbert n’a peur de rien, surtout pas celui de faire ses premiers pas dans l’un des ballets les plus difficiles du répertoire, et traditionnellement chasse gardée des jeunes filles en fleur. Comment Marianela Núñez, Dorothée Gilbert ne cherche pas à surjouer ce qu’elle n’est pas : une jeune fille fragile. Dès son entrée, elle déboule en scène et s’impose comme ce qu’elle est : une princesse bénie par les Fées, touchée de tous les dons, devant laquelle l’on est prié de s’incliner. Son Adage à la rose, sans oublier une si belle poésie, était étourdissant de virtuosité avec des équilibres attitude qui ne semblaient plus finir, de ceux qui donnent le vertige. Les princes étaient priés d’attendre gentiment qu’elle se décide à descendre de sa pointe, lorsque cela lui chanterait. Et quand le deuxième s’arrête un peu vite, elle en rit et repart de plus belle, laissant tout le monde sous le charme de son Aurore si spontanée. Dans l’acte II, elle n’est pas un songe, mais un guide, qui amène le Prince jusqu’à elle, si éclatante de joie. Elle donne enfin à son acte III quelque chose de plus posé, de plus en retenue : la princesse est devenue reine. Dorothée Gilbert émerveille et danse Aurore comme une femme rayonnante, puissante d’une certaine façon, dominant le rôle comme si elle l’avait dansé toute sa vie.

Guillaume Diop a ses côtés n’est pas en reste. Leur partenariat fonctionne avec joie et complicité. Dès son entrée en scène, il imprègne le plateau d’une certaine âme mélancolique, comme un Prince un peu coincé dans son rôle qui rêve d’un d’ailleurs. Du fin fond du deuxième balcon où je suis perchée, le danseur m’emmène tout de suite dans son histoire par sa danse si limpide et riche de sens. Avec toujours chez lui, au-delà d’une si belle virtuosité et musicalité, une générosité en scène qui enthousiasme. Sa longue variation lente est touchante et poétique, et il se pose, même si chacun est différent et que comparaison n’est pas raison, comme le digne héritier de Mathias Heymann. La clarté de son jeu, si vive jusqu’au fond de la salle, me fait penser à l’échange que j’ai eu quelques jours plus tôt avec Jean-Guillaume Bart au sujet de sa Coppélia, plus précisément sur l’importance de la théâtralité. Plutôt que des coupes, c’est de cela dont manque cette Belle au bois dormant : une pantomime qui engage tout le corps, de la part de tous les artistes en scène. Ce ballet se voit très bien d’en haut avec de merveilleux jeux de déplacement et une mise en scène claire. Mais de loin, les danseurs et danseuses, même sincères, n’arrivent pas à faire comprendre leurs intentions, car leur pantomime se limite aux ports de bras. Les mouvements de foule semblent vains, les changements d’ambiance, quand Carabosse entre en scène par exemple, à peine perceptibles. Cela fait exception de quelques artistes, dont Guillaume Diop qui sait se faire comprendre du dernier rang. Ou Fanny Gorse si expressive dans la Fée des Lilas, comme dans son contraire Carabosse, vu quelques jours plus tôt.

Le rôle-titre était cette fois-ci tenu par Sae Eun Park. La Danseuse Étoile y a été merveilleuse, dans une vision peut-être plus traditionnelle du personnage. Son Aurore est désarmante de musicalité dès son entrée, mais gardait un certain retrait face aux Prince, presque de la timidité. Ce ballet est l’histoire de son accomplissement, d’une jeune fille presque encore enfant, de l’éveil de l’Adage à la rose à vous mettre les larmes aux yeux, à une femme sûre d’elle et de ses talents. Sae Eun Park déploie tout du long une danse merveilleusement (oui, je me répète, mais voilà vraiment l’adjectif pour la décrire) ciselée, où tout le corps est en action, avec un magnifique travail du bas de jambes comme des ports de bras, donnant toujours beaucoup d’intentions. Son partenaire Lorenzo Lelli a assumé crânement son premier « premier rôle ». Le danseur n’a peur de rien, ne montre aucun signe de fébrilité, déroulant au contraire une belle danse déjà mature et un vrai sens du partenariat. Reste à habiter pleinement le personnage, un peu trop lisse encore, mais le danseur a le temps de mûrir.

Du côté des seconds rôles, difficile de résister à Inès McIntosh et Shale Wagman dans l’Oiseau bleu. Peut-être cabotinent-ils parfois un peu trop. Mais voilà longtemps que je n’avais vu un duo qui me racontait vraiment une histoire : celle d’un oiseau apprenant à voler à une jeune Princesse, où la virtuosité est là pour raconter un envol enivrant, où chaque geste a du sens. Shale Wagman a pris un véritable parti-pris d’interprète, que l’on peut ne pas aimer, mais au moins incarne-t-il vraiment son personnage, et cela manquait un peu sur l’ensemble des distributions. Marine Ganio et Antoine Kirscher n’ont pas démérité dans ce même pas de deux, si ce n’est quelques soucis de partenariat, montrant beaucoup d’engagement. Mais il reste difficile de passer après les deux premiers nommés, stars en devenir (si ce n’est déjà fait – vraiment on va se régaler avec ce duo dans quelques années). Le sextuor des Fées a à chaque fois été admirable, notamment Claire Teisseyre qui sait donner le ton, Hortense Millet-Maurin piquante en fée Canari ou Hohyun Kang venant à bout de la sixième variation malgré un tempo bien trop lent de la part de l’orchestre (aux réussites aléatoires).

Amélie Bertrand – Représentations du mercredi 2 avril (Sae Eun Park et Lorenzo Lelli) et du lundi 21 avril (Dorothée Gilbert et Guillaume Diop) 2025.

 

Par un hasard de calendrier, après avoir vu danser Héloïse Bourdon et Thomas Docquir dans Paquita début janvier à l’Opéra Bastille, je les retrouve pour cette distribution de La Belle au bois dormant. La Première danseuse est la seule de cette série à ne pas découvrir le rôle qu’elle a dansé en décembre 2013. Si elle décline les différentes facettes du rôle, son Aurore est déjà fort assurée dès son apparition à l’acte I jusqu’à l’apothéose lors du mariage. Pour ce ballet marathon avec pas moins de onze entrées sur scène, il faut en avoir sous le chausson. Dès l’Adage à la Rose, Héloïse Bourdon déploie sa maîtrise et, sans fébrilité aucune, recueille les fleurs de ses prétendants, sourire aux lèvres, en s’acquittant des pirouettes, promenades et équilibres en attitude sans coup férir. Elle n’est encore qu’une jeune fille qui fait son entrée dans le monde mais elle en impose déjà. Sûre d’elle, elle survole le ballet et se révèle pour Thomas Docquir une guide sur laquelle le danseur peut compter dans cette délicate prise de rôle. Car on n’enfile pas le costume du prince Désiré sans mouiller le pourpoint. Le tableau de la scène de chasse recèle trois variations dansées sur un plateau quasi nu. Il faut maîtriser à la fois les difficultés techniques mais aussi composer un personnage mélancolique qui se cherche. La lenteur de la variation peut aussi bien subjuguer que se révéler profondément soporifique. Thomas Docquir s’en sort très bien. Rejoint par sa partenaire, il semble s’éveiller à la vie et à lui-même face à cette vision. Ils resteront parfaitement en symbiose jusqu’à la fin du ballet

La Belle au bois dormant est-il trop long ? Assurément, mais il reste un moment enchanteur par sa féérie, sa luxuriance et la variété des rôles. C’est un plaisir de voir autant de monde sur le plateau. Pas étonnant qu’aux yeux de Rudolf Noureev, il représentait le « ballet des ballets ». Seul dans lequel il n’y aurait rien à tailler, l’acte III du mariage réserve un tel lot de surprises qu’il pourrait se suffire à lui-même. Cette idée d’introduire des personnages d’autres contes de Perrault et même de Mme d’Aulnoy m’a toujours ravie. Avec cette distribution, ce dernier acte ressemble à un feu d’artifice. Le pas de cinq des Pierres précieuses (Camille Bon, Léo de Busserolles, Célia Drouy, Clara Mousseigne et Seohoo Yun) brille de mille feux. Le Pas de deux du Chat botté et de la chatte blanche offre quelques minutes de cabotinage à Claire Gandolfi et Manuel Garrido. Mention toute spéciale pour le pas de deux de l’Oiseau bleu avec l’étourdissant ballon de Shale Wagman et la délicate Inès Mcintosh. Il suffit de quelques minutes pour percevoir le couple star en devenir. La Première danseuse a déjà fait sa prise de rôle en Aurore. Le Quadrille ne devrait pas se faire trop désirer avant d’endosser des rôles de prince.

Claudine Colozzi – Représentation du lundi 31 mars 2025

 

Fraîchement promue Première Danseuse en début d’année, Hohyun Kang se voit confier un joli challenge pour étrenner son nouveau titre. Très bien distribuée depuis le changement de direction, il s’agit seulement de son deuxième rôle d’Étoile dans un grand ballet classique, après une Kitri pleine d’énergie l’an dernier. Passé le prologue un peu ronflant, son entrée réveille (sans mauvais jeu de mots) tout le ballet. Très assurée, elle danse avec grande délicatesse et surtout beaucoup d’esprit. Loin d’être timorée, son Aurore est consciente de son rang, maîtrise parfaitement les codes de la cour et s’en amuse même. Elle survole avec une pointe d’insolence son adage à la rose, faisant un petit clin d’œil à l’assemblée au détour d’un développé à la seconde tenu quelques instants supplémentaires. Dans la variation qui suit elle éblouit par sa sérénité, avec notamment de très belles descentes de pointe.

Face à elle, Lorenzo Lelli vit un véritable baptême du feu. Danseur brillant, Sujet depuis à peine deux mois, il touche là son premier grand rôle et quasiment son premier rôle tout court. Et Désiré est loin d’être un cadeau sur le papier. Un véritable défi qu’il relève avec énormément de panache. Il déjoue tous les pièges de la chorégraphie avec une danse ample et généreuse. La redoutable variation lente (et longue) passe sans encombres, avec même de belles suspensions et un manège de doubles assemblés bien maîtrisé. Il manque certes encore un peu d’incarnation, mais ce jeune homme a un bel avenir devant lui, d’autant plus que le partenariat ne lui pose pas de réels problèmes. Il forme avec Hohyun Kang un couple harmonieux et complémentaire, offrant une très jolie scène de la vision. Les deux poursuivent leur belle lancée avec un pas de deux du mariage très noble, avec un impressionnant double manège pour lui et beaucoup de style et de raffinement pour elle. Une belle réussite pour ces deux artistes qui, malgré quelques petits accros et une fatigue perceptible sur la fin, ont offert un très beau spectacle, plein de promesses, avec une joie de danser communicative.

Un mot enfin sur la ribambelle de seconds rôles qui peuplent ce ballet. Il n’y a malheureusement pas eu de grandes sources de satisfaction dans l’ensemble… La faute en partie à la chorégraphie inutilement compliquée, à l’orchestre assez mou et le fait que quasiment personne sur scène n’avait déjà dansé ce ballet auparavant. Je retiens tout de même le bondissant oiseau bleu d’Aurélien Gay, la lumineuse fée Canari de Koharu Yamamoto et la charismatique Fanny Gorse, impeccable aussi bien dans la troisième variation du prologue qu’en Duchesse au deuxième acte.

Romain Lambert – Représentation du vendredi 14 mars 2025.

 
 
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