TOP

Red Carpet d’Hofesh Shechter – Ballet de l’Opéra de Paris

Après quelques entrées au répertoire, Hofesh Shechter signe sa première création pour le Ballet de l’Opéra de Paris, intitulée Red Carpet. Prenant pour point de départ le velours rouge du rideau du Palais Garnier, le chorégraphe imagine une fantaisie scintillante jouant des codes de la grande Maison. Malgré une esthétique soignée qui en met plein les yeux et une musique captivante, la chorégraphie s’avère cependant peu surprenante. Les danseurs et danseuses y trouvent leur compte, mais l’œuvre ne parvient pas à recréer l’impact des pièces précédentes du chorégraphe présentées par la compagnie parisienne.

 

Red Carpet d’Hofesh Shechter – Ballet de l’Opéra de Paris

 

Hofesh Shechter et le Ballet de l’Opéra de Paris, voilà une histoire qui commence à durer. La première rencontre fût à l’occasion d’une des premières soirées mixtes de la controversée ère d’Aurélie Dupont. Le mandat de l’ancienne Directrice de la Danse a été marqué par la venue de nombreux.ses chorégraphes contemporain.e.s à la mode, pour le meilleur comme pour le pire. Celle d’Hofesh Shechter fait plutôt partie de la première catégorie. Il arrive en 2018 pour remonter The Art of Not Looking Back. Prise en étau entre la clinquante et anecdotique expérience immersive de James Thierrée et la reprise plébiscitée du Season’s Canon de Crystal Pite, cette pièce entièrement féminine réussissait à se démarquer par son énergie viscérale et sa musique puissante qui a fait trembler les murs du Palais Garnier. Les danseuses semblaient s’épanouir dans ce style, pourtant bien éloigné de leur formation académique, avec en tête Marion Barbeau qui continue de travailler avec le chorégraphe depuis son départ de l’Opéra (elle s’est récemment illustrée dans Political Mother: The Choreographer’s Cut aux Nuits de Fourvières).

Après un premier essai concluant, Hofesh Shechter a les honneurs d’un double-bill rien qu’à lui, avec deux nouvelles entrées au répertoire : le très masculin Uprising et la pièce collégiale In Your Rooms. Un programme séduisant, mettant particulièrement en valeur les artistes appartenant au fameux groupe contemporain, cet ensemble d’interprètes au sein de la compagnie qui se dédient quasiment exclusivement aux créations de technique contemporaine. Sans surprise, le chorégraphe fait une nouvelle fois appel à ce collectif interne pour Red Carpet. Cette création, qui vient clôturer une saison bien riche pour le Ballet de l’Opéra national de Paris, fait office d’événement à plus d’un titre. Il s’agit tout d’abord de la première pièce tenant une soirée complète qu’Hofesh Shechter signe pour une compagnie autre que la sienne, preuve de ses liens solides avec la troupe parisienne. Cette création marque aussi la fin d’une époque, celle de la ligne artistique menée par Aurélie Dupont. C’est elle qui avait fait venir le chorégraphe et Red Carpet s’apparente à sa dernière commande pour le Ballet. La prochaine saison, la première entièrement conçue par José Martinez, semble s’éloigner des invitations précédentes au profit d’artistes créant plus autour de la technique classique.

 

Red Carpet d’Hofesh Shechter – Ballet de l’Opéra de Paris

 

Avec cette création, Hofesh Shechter rend un bel hommage au Palais Garnier, lieu chargé d’histoire, en le mettant au cœur de cette création. Rien que le titre, Red Carpet, fait référence au velours rouge de son rideau de scène qui nous accueille lors de l’entrée en salle. Dans une volonté de jouer avec les couleurs de cet écrin, sa pièce cherche à instaurer une ambiance proche du cabaret, et cela se sent dans l’esthétique globale. Le fameux rideau s’ouvre progressivement, laissant entrevoir à travers la fumée des silhouettes déjà en mouvement, donnant l’impression de pénétrer dans le fumoir d’une soirée branchée. Après ce jeu d’ouverture, qui rappelle sa précédente création Theatre of Dreams, les interprètes se dévoilent, exhibant leurs superbes tenues Chanel qui rivalisent d’élégance avec les habitué.e.s des soirées de Gala. Un immense lustre trône au centre de la scène, rappelant bien évidemment celui de la salle, sous lequel les artistes évoluent tandis que les musiciens sont juchés sur une plate-forme en fond de scène. Visuellement, c’est splendide. Il y a des paillettes, des froufrous, des petits vestons roses, tout un vestiaire qui transpire le luxe. Les jeux de lumière viennent habilement se refléter sur les tenues, comme les ampoules du lustre, apportant une dimension presque onirique à cette gigantesque bacchanale. Le tout reste rythmé par la musique étourdissante composée comme toujours par Hofesh Shechter lui-même.

La gestuelle brute, nerveuse, faite de tremblements et de corps désarticulés – qui fait la marque de fabrique de Hofesh Shechter – est bien présente. Elle peine cependant à trouver une voie originale. L’ensemble fait son petit effet, comme toujours avec le chorégraphe au riche savoir-faire, mais il manque son mordant habituel pour créer un réel impact. Les ensembles s’enchaînent, des formations se déploient et se rejoignent, alternant des tableaux vifs puis plus introspectifs. La recette fonctionne bien, mais il manque un élément de surprise, un brin de folie, pour pouvoir plonger pleinement dans cet univers à l’esthétique très travaillée. Pourtant le résumé publié sur le site de l’Opéra laissait promettre une atmosphère de « café-théâtre décalée« . Une ambiance que je n’ai pas réussi à déceler tout au long de la pièce. Voir se déhancher ces figures endimanchées m’a plutôt donné envie de revoir le très réussi Impasse de Johan Inger présenté en début de saison, où il y avait un vrai sens de l’humour et de la théâtralité.

 

Red Carpet d’Hofesh Shechter – Ballet de l’Opéra de Paris

 

Une fois que les interprètes quittent à mi-parcours leur luxueux habits, pour finir en sous-vêtements beiges et chaussettes montantes (Sharon Eyal style), la danse prend le dessus sur l’aspect clinquant, mais perd en revanche en expressivité et la redondance des enchaînements finit par lasser. Reste la musique, grisante, qui tient en haleine tout au long de la soirée même si la chorégraphie ne suit pas vraiment, lui semblant parfois déconnectée. Il est d’ailleurs regrettable que le meilleur passage musical soit celui où les interprètes désertent le plateau. Il permet toutefois de mettre en valeur les musiciens, qui livrent une superbe performance et qui mériteraient d’être mieux mis en avant. J’aurais par exemple apprécié que leur plateforme puisse s’avancer lors de ce fameux passage, leur donnant ainsi un moment dans la lumière, plutôt que de les laisser en fond de scène.

Les treize danseurs et danseuses sélectionnées pour l’occasion, appartenant presque tous fameux « groupe contemporain », semblent s’éclater sur le plateau. Si l’énergie paraît plus performative que viscérale et que les ensembles ne sont pas toujours très précis, il émane une véritable envie de danser. Takeru Coste et Loup-Marcault-Derouard se démarquent particulièrement, les deux danseurs y déploient une danse puissante, presque animale, qui convient parfaitement à ce type de pièce. Ils sont d’ailleurs les deux seuls à avoir de réels moments en solo. Même si elle n’est pas plus mise en avant que cela par la chorégraphie, Ida Viikinkoski se révèle hypnotique dégageant une classe folle avec ses airs de Marlene Dietrich des temps modernes. Mais plus que les individualités, le collectif prime, avec ainsi plusieurs passages où le groupe danse resserré sur lui-même, presque dos au public. Comme si Red Carpet était un cadeau qu’Hofesh Shechter leur faisait avant de leur dire au revoir. Très présent dans la programmation de l’Opéra de Paris ces dernières années, le chorégraphe aura-t-il une place aussi importante sous la direction de José Martinez, qui prend un chemin plus tournée vers la technique académique ? Cette production pourra-t-elle connaître une reprise ? Comment les profils plus contemporains de la compagnie, qui ont éclos sous la précédente direction, vont s’acclimater à la nouvelle programmation artistique ? Que de questions pour nous occuper avant la rentrée.

 

Red Carpet d’Hofesh Shechter – Loup Marcault-Derouard

 

Red Carpet d’Hofesh Shechter par le Ballet de l’Opéra de Paris. Avec Clémence Gross, Caroline Osmont, Ida Viikinkoski, Laurène Levy, Adèle Belem, Marion Gautier de Charnacé, Antoine Kirscher, Alexandre Gasse, Mickaël Lafon, Hugo Vigliotti, Takeru Coste, Julien Guillemard, Loup-Marcault-Derouard. Mercredi 11 juin au Palais Garnier. À voir jusqu’au 14 juillet.

 
 
VOUS AVEZ AIMÉ CET ARTICLE ? SOUTENEZ LA RÉDACTION PAR VOTRE DON. UN GRAND MERCI À CEUX ET CELLES QUI NOUS SOUTIENNENT. 
 





 

Poster un commentaire