Onéguine – Amandine Albisson et Josua Hoffalt
Amandine Albisson a été nommée Danseuse Étoile le 5 mars dernier, à l’occasion de la dernière représentation d’Onéguine. Une nomination qui a fait régir, non pas sur la personne en elle-même, mais plutôt sur la prestation le jour J. Retour donc sur cette représentation, hors contexte nomination.
En juin dernier, Amandine Albisson avait fait une prise de rôle plutôt réussi dans La Sylphide. Au-delà de sa jolie technique et de sa belle danse, la danseuse avait montré sur scène un personnage construit. Encore vert, certes, mais en tout cas quelque chose de cohérent, montrant que la jeune soliste avait l’intelligence du rôle. Tatiana fut un tout autre défi. Non pas qu’Amandine Albisson se soit trompée dans l’interprétation, mais qu’elle ne savait visiblement pas comment construire ce personnage.
A-t-elle été justement coachée durant ces quelques semaines de répétition ? N’a-t-elle pas su cerner Tatiana ? Elle est en tout cas apparue sur scène avec un personnage dont elle ne savait visiblement que faire. Et la qualité d’interprète qu’elle avait montré dans La Sylphide, celle de savoir montrer un personnage cohérent, était cruellement absente. Amandine Albisson n’a donc eu d’autre choix que de jouer tant bien que mal les scènes les unes après les autres, surjouant les effets dramatiques pour compenser son manque d’épaisseur. Le public en a même ri, notamment lors des pleurs chez Madame Larina. Dommage, car la danseuse était aussi à la peine dans le jeu qu’elle brillait dans sa danse. Musicalité, tours précis, gestes amples et pleins… Sa variation de ce même deuxième acte était belle quelque part. Qu’on ne s’y trompe pas, cette danseuse est brillante. Mais peut-être qu’une prise de rôle en Kitri au Japon lui aurait apporté plus de choses que cette Tatiana définitivement ratée.
À ses côtés, Josua Hoffalt a mis un peu de temps pour construire son personnage, mais qui fut au final plutôt convaincant. Loin du spleen de Karl Paquette ou du dédain de Hervé Moreau, l’Étoile a choisi un personnage détaché de tout, terriblement las. Il a eu toutefois un peu de mal à l’installer dans le premier acte, donnant l’impression de ne pas bien savoir où aller. Le couple n’en est parut que plus bizarrement agencé, entre deux artistes se dépêtrant chacun de leur côté dans leur interprétation. Au deuxième acte, pourtant, ce choix a pris toute son ampleur. Ce n’est ainsi pas par dédain ou par colère qu’Onéguine déchire la lettre. C’est par pure lassitude, par pure distance du monde, sans méchanceté. La confrontation avec Lenski, en empathie au contraire avec le monde qui l’entoure, a pris ainsi une ampleur particulière entre ses deux opposés. Au troisième acte, Josua Hoffalt jouait un personnage en prise avec ses démons qui l’ont tenu éloigné du monde, enfin prêt à se confronter aux choses. Le danseur propose au final un Onéguine attachant et plus complexe qu’il n’y paraissait au début. Il sera intéressant de suivre son évolution du rôle au fil des reprises.
Fabien Révillion a de nouveau interprété un Lenski fougueux et plein de charme, devenant de plus en plus le “Sujet on ne peut plus se passer”, et très bien secondé par Marion Barbeau en Olga. Avec son allure juvénile, la jeune danseuse aurait pu se contenter de jouer les jeunes filles en fleurs souriantes. Si elle est effectivement dans cette veine au premier acte (sans toutefois jamais en faire trop ni devenir pénible), elle sait faire évoluer son personnage par la suite, lui donnant une certaine ambivalence et sachant jouer le contraste avec Fabien Révillion. Marion Barbeau a de plus ce charme naturel en scène, cette présence qui retient l’oeil, cette finesse dans sa danse, beaucoup de qualités qui devraient lui permettre d’obtenir des rôles un peu plus souvent.
Onéguine de John Cranko par le Ballet de l’Opéra de Paris, au Palais Garnier. Avec Amandine Albisson (Tatiana), Josua Hoffalt (Onéguine), Fabien Révillion (Lenski), Marion Barbeau (Olga), Vincent Cordier (le Prince Grémine), Christine Peltzer (Madame Larina) et Ghyslaine Reichert (la Nourrice). Mercredi 5 mars 2014.