La Nuit des Étoiles – édition 2014
En à peine deux éditions, le gala La Nuit des Étoiles semble s’être fait une place à Bruxelles. Il faut dire que les spectacles de danse classique se comptent sur les doigts de la main gauche dans la capitale belge, alors que le public répond présent. Le Cirque Royal était en tout cas plein pour cette édition 2014. Un public varié, familial et enthousiaste, n’hésitant pas à applaudir en cadence pendant les codas. Un détail qui pourrait se faire étranger le public (parfois) guindé parisien, mais qui a joué sur l’ambiance sympathique du spectacle. Après tout, un gala est avant tout là pour le plaisir de la danse.
Sans être aussi brillante que la première édition (l’un des meilleurs spectacles de la saison dernière), cette Nuit des Étoiles 2014 s’est avérée être une jolie soirée de danse, entre un beau programme équilibré classique/contemporain et des interprètes motivé-e-s. Les reines de la soirée furent incontestablement les ballerines, avec en tête Maia Makhateli et Iana Salenko. C’est d’ailleurs cette première qui a démarré et conclut la soirée, avec son partenaire Kim Kimin, bondissant et séduisant Premier soliste du Mariinsky. Sa silhouette fine ne le laisse pas forcément deviner au premier abord, mais c’est un jeune danseur d’une grande puissance, sans jamais perdre une certaine élégance, et un excellent partenaire. Si leur adage de Flammes de Paris a démarré en mode diesel, le tout s’est emballé avec les variations, surtout celle de Iana Salenko. Style, élégance, charisme, ce fut un petit régal.
Le couple est revenu plus en forme que jamais pour clôturer la soirée avec un Don Quichotte d’une grande classe. Iana Salenko doit le danser un nombre interminable de fois par saison. Pourtant, pas l’once d’une lassitude dans ses mouvements, tout est frais et joyeux, d’une grande finition. Et pour le public, ça marche. Don Quichotte est le genre de passage que l’on connaît par coeur, mais qui ne peut se voir qu’avec grand plaisir quand il est aussi bien dansé.
Maia Makhateli, Principal au Het Nationale Ballet, a une personnalité différente. Plus tranchée que celle de la traditionnelle ballerine, peut-être plus portée vers le néo-classique. C’est pourtant avec une superbe variation de Diane et Actéon qu’elle marqua La Nuit des Étoiles, dansée avec un très grand sens du style. Le couple qu’elle forme avec Arthur Shesterikov s’est néanmoins montré plus en harmonie dans In Light and Shadow de Krzysztof Pastor. Loin d’aller dans les extrêmes physiques, ce pas de deux contemporain jouait sur une certaine simplicité et musicalité. Les deux artistes y montraient belle complicité, dans le mouvement comme dans le regard, un moment bienvenu entre deux codas ébouriffantes.
Dans le genre “coda ébouriffante” justement, Daria Klimentová et Vadim Muntagirov furent presque à la limite de la déception. Ce sont deux danseur-se-s brillants et charismatiques, qui ont l’habitude de danser ensemble et d’y montrer une forte complicité. Mais, et c’est peut-être mon côté “Dédain de la virtuosité” qui parle (niché chez chaque spectateur-rice parisien-ne), Vadim Muntagirov en faisait presque trop. C’est un danseur extraordinaire qui n’a presque pas besoin d’en faire des caisses pour épater le public. Et dans ce pas de deux du Corsaire, il semblait plus concentré sur le fait de compliquer sa chorégraphie au maximum que de prendre du plaisir en scène. Le programme du couple n’était pas non plus très équilibré, avec deux extraits du même ballet. Un extrait peut-être plus romantique aurait été le bienvenu.
Pour le répertoire plus contemporain, La Nuit des Étoiles a fait appel à Opinion public, une jeune troupe néo-contempo bruxelloise. Les deux créations proposées n’étaient pas d’une absolue nouveauté, plutôt un mix de ce qui se fait en ce moment. L’ensemble était plutôt efficace même s’il est dommage que les pièces tombent parfois dans la caricature du genre, comme quatre hommes travaillant le corps d’une femme jusqu’au bout de ses capacités physiques. La troupe a su toutefois marquer la scène par ses formidables interprètes, jeunes et avec beaucoup d’envie, montant crânement sur scène avec une formidable énergie. Le public leur a d’ailleurs réservé parmi les plus belles ovations (même si je soupçonne de nombreux ami-e-s de cette troupe d’avoir joué les pom-pom boys et girls dans la salle).
L’autre sympathique initiative de la production fut d’inviter sur scène deux jeunes talents de 16-17 ans, encore en formation et récemment vainqueurs de concours internationaux. Mikiya Kakehashi et Cesar Corrales n’ont pas voulu aller chercher leurs aînés sur leur terrain, ils ont tous les deux délaissé le répertoire pour une variation contemporaine virtuose. D’eux, il ne fallait forcément pas attendre des prestations d’Étoiles, mais le plaisir de découvrir de jeunes talents en devenir. Cesar Corrales s’est particulièrement détaché, montrant au-delà de sa technique une certaine maturité et un vrai sens de la scène.
Du côté des déceptions, le couple du Mariinsky Oksana Skorik et Yavgeny Ivancheko ont laissé souffler le froid. Il faut dire aussi qu’elle est venue au dernier moment pour remplacer Alina Somova blessée. Ni dans Giselle ni dans Diamants il n’y a eu l’ombre d’une complicité, même si les gestes en soi étaient beaux. Deux couloirs longs et ennuyeux vite oubliés.
Enfin, la star de la soirée devait être Natalia Ossipova. À quoi reconnait-on une star ? Au nombre de personnes qui attendent devant sa loge. Et à ce jeu, la danseuse russe était de loin la grande gagnante. Sa Belle au bois dormant était absolument charmante. Elle a déboulé en scène avec une énergie folle, chaque particule de son corps brillant de mille feux. Elle n’était peut-être pas une Aurore comme on l’attendait, mais sa personnalité éclatait en scène et c’est bien cela le plus important. Elle dégage une aura particulière, un feu follet avec l’énergie d’une météorite, une présence qui irradie chaque angle mort de la salle. Dommage que son partenaire Matthew Golding, toujours le sosie de Brad Pitt avec 20 ans de moins, ne semblait pas très concerné par ce qui se passait en scène. Natalia Ossipova aurait dû revenir pour danser Rubis avec Steven McRae, annulé au dernier moment. Et c’est bien cela qui a manqué, un passage où la danseuse aurait montré toute son énergie et son talent dans ce qu’elle sait faire de mieux, pour être véritablement la star de la soirée.
En images – En coulisse de La Nuit des Étoiles
La Nuit des Étoiles au Cirque Royal de Bruxelles. Avec Iana Salenko (Berlin Staatsballett), Kim Kimin (Ballet du Mariinsky), Maia Makhateli (Het Nationale Ballet), Artur Shesterikov (Het Nationale Ballet), Daria Klimentová (English National Ballet), Vadim Muntagirov (Royal Ballet de Londres), Natalia Ossipova (Royal Ballet de Londres), Matthew Golding (Royal Ballet de Londres), Oksana Skorik (Ballet du Mariinsky), Mikiya Kakehashi (Koninklijke Balletschool Antwerpen), Cesar Corrales (American Ballet Theater Studio), Yevgeny Ivanchenko (Ballet du Mariinsky) et la compagnie Opinion Public. Samedi 22 mars 2014.