Rodin et Claudel par Boris Eifman
Rodin et son Éternelle Idole de Boris Eifman, par le Eifmann Ballet Théâtre de Saint-Pétersbourg, au Théâtre des Champs-Élysées. Avec Oleg Gabyshev (Auguste Rodin), Lyubov Andreyeva (Camille Claudel) et Nina Zmivets (Rose Beuret). Samedi 16 mars 2013.
La venue il y a quelques années de l’Eifmann Ballet Théâtre de Saint-Pétersbourg, avec son ballet Anna Karénine, avait provoqué l’enthousiasme du public. La curiosité poussée, je suis allée découvrir cette troupe avec la dernière création de Boris Eifman, Rodin et son éternelle idole.
S’il y a bien quelque chose que l’on peut reconnaître à Boris Eifman, c’est d’avoir le sens du spectacle. Pas besoin d’avoir lu le synopsis du ballet, à peine d’avoir quelques notions sur la vie et l’oeuvre d’Auguste Rodin et Camille Claudel, pour comprendre ce qui s’y passe. Au seuil de sa vie, Rodin se souvient de son amour passé avec Camille Claudel, internée dans un asile. Sa vie défile, ses amours, sa femme, son élève devenue maîtresse, et qui le dépassa par son talent. Le chorégraphe se sert astucieusement des lumières pour faire comprendre les flash-back, joue sur un registre narratif sans jamais tomber dans l’abstraction. Il raconte une histoire, le public doit suivre, et par tous les moyens.
Vous avez dit de la danse grand public ? Je déteste cette expression, comme si il y avait de la danse pour les néophytes et de la danse pour ceux et celles qui Savent. Disons donc plutôt de la danse facile. Rodin et son éternelle idole ne va pas chercher bien loin, et use de toutes les ficelles connues pour construire sa narration. Un peu de pas de deux romantiques, un peu de corps de ballet, un peu de moments dramatiques, un peu de scènes de genre, tout y passe. Pourquoi pas après tout ? Mais les ficelles se voient un peu trop pour se faire véritablement oublier, et empêchent ainsi d’être touché-e par ce qui se passe sur scène.
Boris Eifman sait en mettre plein les yeux, mais ne cherche pas la subtilité. Résultat : on suit l’histoire, on s’y intéresse même, mais ne parlons pas d’émotion. Le tout n’est pas vraiment sauvé par la chorégraphie, qui reste dans un sage néo-classique emprunté par-ci par là, accumulant elle-aussi un peu trop les clichés. Idem pour la musique, qui mélange allègrement les tubes de Ravel, Debussy, Massenet et Saint-Saëns sans que l’on y trouve une once de sens.
Pourtant, Boris Eifman a eu de bonnes idées pour évoquer les sculptures des deux artistes (très bien expliquées par Le Petit rat parisien). Il s’est visiblement plongé dans leurs univers, et a truffé son ballet de références. Le travail sur la sculpture est d’ailleurs l’un des moments des plus intéressants du ballet, et véritablement réussi. Des corps de danseurs et danseuses sont comme des masses sur la table de travail de Rodin. Ce dernier modèle un bras, une tête, une jambe, une expression. Petit à petit, les corps prennent vie, la sculture prend forme jusqu’à amener à une véritable construction.
La danse est un peu comme la sculpture. Les corps des danseurs et danseuses sont façonnés par le travail, puis par le regard du-de la chorégraphe. Le résultat est impressionnant, et pour le coup original, tout comme l’utilisation des drapés. Dommage que la plupart des spectacteur-rice-s côté jardin n’ai pas pu voir ces passages, le Théâtre des Champs-Élysées ayant la mauvaise habitude de vendre des places chères pour ne voir que la moitié ou les deux tiers de la scène.
Les passages de groupe sont également plutôt efficaces, avec là encore un indéniable sens de l’efficacité de la part de Boris Eifman. Le French cancan du deuxième acte a beau éculer tous les clichés du vieux Paris, difficile de résister à cette énergie et cette joie de danser de la troupe, qui reste d’ailleurs, plus généralement, l’un des vrais bons points de ce spectacle. Les danseurs et danseuses du Eifmann Ballet Théâtre de Saint-Pétersbourg sont tout simplement formidables. Technique hors pairs, physiques incroyables, et surtout sens de la théâtralité et de l’engagement scénique total, voilà une troupe qui régale. A tel point que l’on aimerait bien la voir dans une oeuvre un peu plus consistante.
Les solistes ne sont pas en reste non plus. Oleg Gabyshev est un Rodin formidable, charismatique, qui dévore la scène. Lyubov Andreyeva joue sur plusieurs facettes pour interpréter Camille Claudel, sachant faire évoluer son personnages. Malgré la faiblesse de la chorégraphie, ces deux-là y croient tellement, sont si impliqués, que je comprends que la majorité du public ait fini en ovation.