Cités danse connexions #2 met à l’honneur Jann Gallois et Hervé Koubi
Après Fluxus Game de Farid Berki et Petits Morceaux du réel de Sébastien Lefrançois, retour à Suresnes cités danse pour Cités danse connexions #2. Ces soirées mettent à l’honneur le travail de jeunes chorégraphes. Pour ce deuxième opus de la saison,le festival hip-hop présente une création de Jann Gallois et une chorégraphie d’Hervé Koubi. Deux pièces très différentes mais qui ont en commun l’intelligence et la générosité du propos, la virtuosité de l’interprétation et la beauté du mouvement. Deux vrais coups de cœur !
Fidèle de Suresnes cités danse, Jann Gallois est d’abord une magnifique interprète, qui fut remarquée notamment dans Elles de Sylvain Groud et Royaume Uni d’Angelin Preljocaj. Après avoir chorégraphié une première pièce, P=mg, qui remporta un vif succès et de nombreux prix, elle revient avec un nouveau solo : Diagnostic F20.9. Sous ce titre énigmatique et froid, se cache la classification d’une terrible maladie mentale : la schizophrénie.
“Désorganisation des idées, scission en différentes personnalités, soumission à des hallucinations (…), cohabitation étrange et souvent conflictuelle entre corps et esprit“, c’est ce que Jann Gallois se propose d’incarner dans cette pièce. Avec empathie et bienveillance. Car la jeune femme, qui entre sur le plateau vêtue d’un tailleur et de sandales à talons, pourrait être chacun d’entre nous. Tout juste semble-t-elle parfois entravée dans ses mouvements, comme se cognant à d’invisibles murs.
Mais peu à peu la pathologie se déploie tandis que l’héroïne se met à nu. Sa voix se démultiplie en échos, finissant par brouiller son message lorsqu’elle s’adresse au public. Ses gestes, automatiques, se répètent à l’infini alors qu’elle semble totalement absente à elle-même. Plus tard, les mouvements de ses membres lui échappent, l’obligeant à déployer une énergie folle pour tenter de les maîtriser.
Une chorégraphie précise et énergique, des mouvements d’une grande finesse et une interprétation aussi juste que virtuose servent à merveille le propos de Jann Gallois. Si son corps souple et vif comme son vocabulaire gardent l’empreinte du hip-hop, sa danse est très contemporaine. La scénographie, toute d’intelligents et d’élégants jeux de lumières, trace de subtiles limites entre folie et esprit sain. Car “si la schizophrénie est d’abord une souffrance, elle n’exclut pas l’intelligence et la créativité” et pour Jann Gallois “l’artiste et le schizophrène partagent une semblable expérience de torsion du réel“.
Après un bref entracte, Hervé Koubi vient lui même présenter, avec chaleur et non sans humour, Ce que le jour doit à la nuit, pièce qui plonge le public dans un univers bien différent.
À la tête de sa propre compagnie depuis 2000, ce danseur et chorégraphe contemporain décide en 2009 d’emprunter le chemin qui le ramène aux racines de sa famille et organise une audition à Alger. C’est ainsi qu’il rencontre, puis accompagne, douze danseurs de rue et de hip-hop, algériens et burkinabés, pour lesquels il crée El Din puis Ce que le jour doit à la nuit.
Dès le lever du rideau, l’impression de force émanant des corps puissants et athlétiques des danseurs frappe. Torses nus, vêtus de pantalons et jupes de brut coton blanc, ils se meuvent sans cesse dans des gestes lents, comme dans une marche, un cheminement infini. Et ces vagues légères ne rendent que plus fulgurantes les envolées et les tours rapides et virtuoses de certains d’entre eux.
Cette pièce d’Hervé Koubi n’est que contrastes. Jeux d’ombres et de lumières, force de respectueux combats et douceur de l’attention portée aux autres, danse très ancrée dans le sol et sauts vertigineux. Avec ce qui était au départ une quête toute personnelle, il touche à l’universel. Ses interprètes, sont tour à tour danseurs de capoeira, derviches tourneurs, maoris effectuant un haka ou moines Shaolin, quand ils ne semblent pas sortis d’un tableau romantique comme Le Radeau de la Méduse.
Une fois le rideau baissé, Hervé Koubi vient présenter, avec beaucoup de poésie, chacun de ses danseurs, qu’il appelle mes frères retrouvés. Et demande à l’un deux de prononcer une nouvelle fois, dans cette langue qui vient de l’autre côté de la Méditerranée : “Je suis allé là-bas“…
Au sortir de cette soirée, le cœur est rasséréné par la bienveillance et la générosité de ces deux chorégraphes, l’œil encore émerveillé des voyages qu’ils nous ont offert. On ne dira jamais assez le pouvoir évocateur et l’universalité de ce langage qu’on appelle la danse.
Cités danse connexions #2 au Théâtre de Suresnes dans le cadre de Suresnes cités danse.
Diagnostic F20.9 Chorégraphie, texte et interprétation de Jann Gallois. Musique d’Alexandre Bouvier. Lumières de Cyril Mulon. Costumes de Marie-Cécile Viault.
Ce que le jour doit à la nuit Chorégraphie d’Hervé Koubi. Création musicale de Maxime Bodson. Musiques Hamza El Din / Kronos Quartet, Jean-Sébastien Bach, musique soufie. Lumières de Lionel Buzonie. Costumes de Guillaume Gabriel. Avec Hamza Benamar, Lazhar Berrouag, Nasreddine Djerrad, Fayçal Hamlat, Nassim Hendi, Amine Maamar Kouadri, Riad Mendjel, Issa Sanou, Ismail Seddiki, Reda Tighremt, Mustapha Zaem, Adel Zouba. Samedi 24 janvier 2015.