Not Here / Not Ever de Sang Jijia par la compagnie Carte Blanche
Carte Blanche, compagnie nationale norvégienne de danse contemporaine, tourne rarement en France et n’avait jamais présenté son travail à Paris. C’est maintenant chose faite avec Not Here / Not Ever, pièce du chorégraphe sino-tibétain Sang Jijia, au Théâtre de Chaillot. S’il est toujours réjouissant de découvrir de nouveaux danseurs-ses comme un nouveau langage chorégraphique, ce spectacle pour dix interprètes, pourtant de talent, ne convainc pas.
Ce mercredi soir au Théâtre de Chaillot, le rideau s’ouvre sur une scène nue, ayant pour tout décor un écran blanc prolongé par un tapis de sol de même couleur. Sous une lumière crue et au son de la musique résolument contemporaine de Dickson Dee, évoluent dix interprètes, autant de femmes que d’hommes, vêtus de costumes de ville qui déclinent les gris. Solos, duos, trios et danses de groupe se succèdent, comme autant de combinaisons de rapports humains, dans une chorégraphie abstraite. Les bustes et bras ondulent tandis que les jambes et pieds pointés forment des angles vifs. Pendant un peu plus d’une heure, les mouvements se succèdent à un rythme soutenu.
À l’évidence, les interprètes de Carte Blanche sont de bons danseurs-ses, à l’aise avec la technique. Également dotés de fortes personnalités, ils font de bons solistes, mais ne convainquent pas lorsqu’ils se meuvent en groupe. Chacun réalise les gestes à sa façon, donnant par là même son interprétation. Résultat : l’ensemble devient confus et brouillon. Contrairement à la plupart des ses homologues contemporaines, Carte Blanche n’est pas la compagnie d’un chorégraphe. Son répertoire est composé de commandes à différents artistes, internationalement reconnus ou émergents. Ceci explique peut-être pourquoi ses interprètes, n’ayant pas étés forgés par un style commun, peinent à donner une image d’ensemble cohérente.
Quant à la chorégraphie de Sang Jilia, artiste sino-tibétain formé à la danse traditionnelle chinoise et passé par chez William Forsythe, elle manque de reliefs et de caractère. Bien qu’à certains moments, les mouvements ralentissent ou s’accélèrent, ils semblent effectués avec une énergie stable, linéaire, du début jusqu’à la fin de la pièce, ce qui laisse une impression de monotonie. Le vocabulaire déployé manque de personnalité et il n’est finalement pas évident d’identifier le style propre du chorégraphe. Apparaissent tour à tour un peu d’Angelin Preljocaj, d’Ohad Naharin ou d’Hofesh Shechter, entres autres influences.
Comment expliquer ces multiples inspirations ? Lorsque Sand Jijia est interrogé sur sa façon d’appréhender le décalage culturel lors de sa collaboration avec la compagnie Carte Blanche, il répond : “(…) Quand je commence à travailler avec de nouveaux danseurs, je prends toujours le temps de réfléchir à la façon dont ils vont pouvoir contribuer à la performance, avec leurs propres histoires et expressions. J’essaie de créer un environnement favorable à l’improvisation et au partage de leurs expériences.” La plupart des chorégraphes s’appuient, pour débuter leur travail de création, sur les improvisations de leurs interprètes. Mais il semble dans le cas présent que les danseurs-ses aient manqué d’une véritable direction.
Est-ce un ainsi un hasard si l’on retrouve justement au répertoire de Carte Blanche des pièces d’Ohad Naharin ou Hofesh Shechter dont certains danseurs-ses ont pu intégrer une partie du vocabulaire ? Angelin Preljocaj, me direz-vous, n’a jamais chorégraphié pour cette compagnie norvégienne. C’est exact. Cependant une de ses ex-danseuses l’a rejointe un temps et il est possible qu’elle ait laissé, elle-aussi, une certaine influence.
Mais ce qui déçoit sûrement le plus dans ce spectacle reste sa scénographie. L’absence de jeux de lumières, au début comme dans la plupart des scènes, n’aide pas à se frayer un chemin vers l’univers du chorégraphe. Sanga Jijia est amateur d’arts visuels et de multimédias. Mais son utilisation d’écrans – qui se lèvent ou s’abaissent et projettent tantôt un bref moment de danse en plan serré, tantôt des lignes de lumière – manque de sens et semble gratuite.
Malgré les nombreux travers de ce spectacle, apparaissent toutefois ça et là quelques moments de grâce, dans les solos essentiellement. Conjugués à la qualité technique des danseurs de Carte Blanche, ils aiguisent la curiosité. C’est donc avec intérêt que je me rendrais à une prochaine représentation parisienne de cette compagnie, qui vient de se doter en la personne d’Hooman Sharifi d’un nouveau directeur général et artistique.
Not Here / Not ever par la compagnie Carte Blanche au Théâtre National de Chaillot. Chorégraphie de Sang Jijia. Musique de Dickson Dee. Costumes d’Indrani Balgobin. Lumières d’Adalsteinn “Alli” Stefansson. Vidéo d’Adrian Yeung. Avec Caroline Eckly, Jennifer Dubreuil Houthemann, Christine Kjellberg, Nùria Navarra Vilasalo, Sara Enrich Bertran, Mathias Stoltenberg, Timothy Bartlett, Hugo Marmelada, Edhem Jesenkovic, Jack Lorentzen. Mercredi 25 mars 2015.
Not Here / Not ever est présenté au Théâtre National de Chaillot du 25 au 28 mars, puis au Grand T de Nantes du 20 au 22 novembre 2015.