Trucs & astuces : comment écrire le ballet parfait en 10 leçons
Giselle, Le Lac des Cygnes, La Dame aux Camélias… Vous avez toujours rêvé, vous aussi, de créer votre propre ballet, d’inventer le spectacle qui fera pleurer le public et se battre tous les danseurs pour en décrocher le premier rôle. Mais vous ne savez pas comment vous y prendre ? Voici, en dix leçons, la méthode imparable pour écrire le ballet parfait.
Leçon 1 : trouver un lieu
Et un seul, le ballet respectant l’unité de lieu. Personne, même en cherchant dans les profondeurs des archives de la danse, n’a encore trouvé un ballet se déroulant dans les plaines de Picardie ou sur les plages des Caraïbes. C’est là la subtilité : il vous faut un endroit qui fasse rêver, mais pas trop. Quelque chose de joli mais qui peut faire un peu peur, d’exotique mais avec des serpents venimeux. À un moment, il vous faudra de toute façon une forêt, si possible touffue et sombre pour pouvoir s’y perdre. Et interdiction de choisir les landes écossaises, déjà sur-utilisées (un peu d’originalité que diable).
Leçon 2 : définir un personnage principal féminin
Sa caractéristique ? Elle est pure. Ou elle est gourde, c’est selon. En tout cas, le personnage principal féminin d’un ballet pardonne. Tout le temps. À n’importe qui. Elle peut être volée, trompée, violée, vendue, prostituée, tuée (et en général tout ça à la fois), à la fin, elle pardonne. Rien ne l’atteint, rien ne la rend rancunière ou vengeresse. Elle danse imperturbablement légère, symbole visuel de la féminité. Sa pureté voit du bon dans n’importe quel crapule, et souvent l’empêche de voir les plus gros pièges qui lui sont tendus. Genre : un prince débarque dans sa chaumière, lui demande de l’épouser cinq minutes plus tard, et elle y croit. Mais elle pardonne après. C’est presque pénible (et messieurs, n’ayez aucune illusion, ce genre de personnage n’existe pas dans la vraie vie).
Leçon 3 : définir un personnage principal masculin
Sa caractéristique ? Il agit d’abord, il réfléchit ensuite. À un point qu’on se demande parfois s’il est doté d’un cerveau. Fougueux, il fonce dans le tas, tue n’importe qui sur son passage, déclare son amour éternel avec une facilité déconcertante, sans jamais imaginer une seule seconde quelles seraient les possibles conséquences. Oui, se marier avec la fille de la famille ennemie, OUI, a priori, c’est un nid à problèmes. Une fois les choses faites, c’est donc là qu’il se met à réfléchir et à se rendre compte des conséquences de ses actes. Ce qui en général le met dans un sale état (le personnage principal masculin ne réfléchit pas avant d’agir, mais au moins il a une bonne conscience). En même temps, comme sa dulcinée de toute façon lui pardonnera tout, c’est un couple qui est finalement fait pour s’entendre.
Leçon 4 : du sang et des larmes
Vous aimez les Bisounours ? Alors oubliez la danse. Pour un vrai bon ballet, il faut du sang, des larmes, des morts injustes, de la cruauté et quelques méchants qui resteront vivants dans un rire sardonique. Même La Fille mal gardée, si on regarde l’histoire du point de vue d’Alain, c’est une histoire affreuse sur les êtres rejetés à cause de leurs différences. C’est triste, je sais, mais c’est ça qui fait vibrer le public. Il ne faut pas avoir peur pour ça de s’attaquer aux personnages qui attirent la sympathie. Une belle princesse pure ? Hop, on l’égorge. Une âme libre voulant vivre d’amour et d’eau fraîche ? Hop, on lui inocule une maladie mortelle.
Plus les morts seront injustes, plus cela fonctionnera (et de toute façon, la mort touche en général, et en priorité, le personnage principal féminin, qui pardonne toujours à la fin). Et si un jour on vous demande pourquoi vous n’aimez que les histoires tristes où les bons personnages meurent à la fin, vous répondrez comme George Raymond Richard Martin : “Chaque fois que quelqu’un me demande comment ça va se terminer, je tue un Stark” (oui, ça n’a rien à voir avec le sujet, mais je voulais le caser. Grande qualité d’un auteur de ballet : faire des petites références l’air de rien, juste pour le fun).
Leçon 5 : les huit amies
Le personnage principal féminin est souvent entourée d’amies, en général au nombre de huit. Ce sont de jeunes et jolies filles, douces, avec des nattes dans les cheveux, des fleurs dans les mains, des robes bleues et roses légères qui s’envolent dès qu’elles font un développé. On estime qu’elles ont en moyenne 13 ans 1/2, leur principal caractéristique étant de pouffer et de se donner des coups de coude dès qu’un beau jeune homme les regarde (en général le personnage principal masculin). Elles servent en fait surtout de faire-valoir. Elles sont belles, douces et gracieuses, mais jamais aussi belles, douces et gracieuses que l’héroïne de votre ballet.
Leçon 6 : la Jalousie
La Jalousie peut prendre diverses formes : un amant éconduit, une soeur, une mère, un paysan de passage, une copine. Sa conduite est ce qui va expliquer votre point 4 (qui, tout de même, n’arrive pas comme un cheveu sur la soupe, il faut un minimum de logique). Si elle n’existait pas, tout le monde se porterait bien mieux, mais votre ballet serait légèrement ennuyeux. Vous pouvez éventuellement tuer votre Jalousie ou la couvrir de remord (et faire un ainsi une petite couche supplémentaire de point 3), mais rien n’est obligatoire. La Jalousie peut finir sa vie en coulant des jours heureux. Tout le monde s’en fiche un peu de ce personnage en fait, mais elle est indispensable pour votre trame narrative.
Leçon 7 : un pas de trois
À un moment, votre histoire va s’arrêter pour laisser place à un pas de trois. Soit deux danseuses et un danseur qui n’ont absolument aucune importance dans la narration. Tout le monde est prié de stopper ce qu’il était en train de faire (fomenter un plan machiavélique, organiser un mariage) pour les regarder poliment et admirer leurs capacités techniques, puisque vous aurez mis toutes les difficultés du monde dans leurs variations. Votre principal travail sera ici de réussir votre casting : il vous faut des interprètes sûr-e-s (tout se joue en 1 minutes et 37 secondes), brillant-e-s, mais pas trop non plus pour ne pas éclipser les deux rôles principaux Sinon, le public dira que le ballet était pas mal, mais enfin bon, heureusement qu’il y avait le pas de trois du deuxième acte pour voir de la belle danse (le public est pénible, il ne fait rien mais n’arrête pas de râler, je sais, il faut faire avec).
Leçon 8 : un personnage de pantomime
Fortement lié aux points 4 et 6, ce personnage de pantomime est l’oiseau de mauvais augure. Il annonce une mauvaise nouvelle, il prévoit que le temps se couvre, il pose les interdits sans se douter que c’est ça qui va mener au drame. En général, ce personnage ne danse pas mais a une forte présence scénique. Ce qui fait que le public néophyte n’en dira pas un mot, mais que les blogueur-se-s loueront obligatoirement sa performance, genre je suis un petit peu pro et je vois plus loin que le bout de mon nez. Véritable Cassandre, le personnage de pantomime a souvent le don de prédire l’avenir, mais personne ne l’écoute sur scène.
Leçon 9 : des danses de caractère
À un moment, votre trame narrative va de nouveau devoir s’arrêter pour laisser place à des danses de caractère, inspirées des quatre coins du monde. Je vous vois déjà vous saisir de votre sac à dos et de votre calepin, prêt-à à vadrouiller de part la planète pour étudier au plus près ces danses folkloriques et les rendre au plus juste, et je vous arrête. Le but n’est pas de rendre hommage au patrimoine de la danse du monde, mais d’y aller à fond dans le cliché, ambiance Rameau composant Les Indes galantes. Vous avez une danse espagnole ? Très bien ! Vous munissez tout le monde de castagnettes, d’éventails et de chaussures de flamenco. Vous avez une danse arabe ? Très bien ! Vous mettez sept filles nombril à l’air, mais visage couvert de voiles, faisant une danse du ventre autour d’un homme pas plus vêtu et au regard gourmand. Vous avez une danse russe ? Très bien ! Vous alignez une rangée de garçons sautant les bras croisés et s’envoyant des shot. L’essentiel est de ne pas avoir peur d’en faire trop.
– Leçon 10 : un beau pas de deux romantique dans un bel acte blanc
Et c’est là qu’arrive le moment crucial de conclure. Problème : vous avez deux morts sur les bras, un personnage masculin qui ne va pas très bien psychologiquement, un méchant qui ricane et un danseur de pas de trois qui fricote avec une danseuse espagnole, et vous ne savez pas du tout comment terminer tout ça et que ça ait l’air un minimum logique. La seule solution ? L’acte blanc. D’un coup, tout disparait pour laisser place à 32 danseuses en tutu blanc, avec au milieu le personnage principal féminin pardonnant au personnage masculin dans un pas de deux lyrique et touchant. Certains justifient cette soudaine apparition (absorption de drogues et autres substances illicites), d’autres le laissent deviner au public (j’ai personnellement toujours pensé que Clara, l’héroïne de Casse-Noisette, avait confondu son verre d’eau avec le verre d’eau-de-vie de Grand-Papa), mais la plupart ne s’encombrent pas d’explication. Ça arrive, c’est un rêve, c’est comme ça, et basta.
C’est là toute la subtilité de l’acte blanc. Votre histoire sera toujours aussi bizarre et sans conclusion. Mais si vous faites les choses bien, votre dernier acte sera tellement beau que le public, qui n’arrête pas de râler mais qui finalement se laisse assez facilement mener par le bout du nez, ne posera aucune question et sera tout à son émerveillement. Tout le monde applaudit, votre ballet est réussi, mission accomplie !
Joelle
Allez Amélie… il faut tout nous avouer maintenant… tu as un manuscrit sous le coude que tu peaufines depuis des années sans oser le montrer à un chorégraphe !!! 🙂 🙂 🙂
Fate-biscuit
Hi-la-rant. J’ai ris beaucoup plus fort que le veux la convenance. Bravo!
Mention spéciale pour George R. R. Martin et le “…Une rangée de garçons sautant les bras croisés et s’envoyant des shot.” qui m’a fait immédiatement sourire!
Jigara
Alors c’est quand que tu appelles Brigitte pour lui soumettre tes idées ?? 😉
Estelle
J.A.D.O.R.E ! Je monte mon ballet dès ce soir
Joelle
Amélie a soulevé un point essentiel : on nous présenterait un “nanard” pareil au niveau script pour un film… que nous serions tous à râler sur l’idiotie du scénario :), mais là nous avons de beaux costumes, de jolis tutus, et de jolis messieurs/dames en train de sauter partout ! Donc on craque et on trouve cela superbe !!! 🙂 🙂 🙂
Une remarque cependant : est-ce que Star Wars (exemple) a fait mieux au niveau scénario et tempérament des divers personnages ??? I’m not sure 🙂
Sissi
Quel plaisir de lire un tel article ! C’est trop drôle et tellement vrai ! J’ai réellement hâte de découvrir votre première chorégraphie !!!