Soirée Roland Petit – Ballet de l’Opéra de Lyon
Le maître de la danse narrative du XXe siècle Roland Petit dansé par le Ballet de l’Opéra de Lyon, excellence de la danse contemporaine, une idée étrange ? Pas tant que ça. Le directeur de la troupe Yorgos Loukos a en effet été l’assistant du chorégraphe pendant plusieurs années. L’étonnement vient plutôt du fait qu’il ait fallu autant de temps pour voir des oeuvres de Roland Petit dans la capitale des Gaules. D’autant plus que les artistes, souvent de fortes personnalités, se glissent plutôt bien dans ses personnages emblématiques. Carmen retrouve ainsi toute sa force narrative. L’Arlésienne se fait plus hésitante, mais l’essentiel est là : savoir faire revivre les histoires.
La dernière Carmen à l’Opéra de Paris avait laissé un goût d’inachevé, entre une oeuvre qui semblait vieillissante et des Carmen souvent plus chics que fatales. Rien de tout ça à Lyon. Noëllie Conjeaud, l’interprète de la plus célèbre des cigarières, tient plus de Zizi Jeanmaire avec sa silhouette féminine et sa véritable allure de fille des rues. Sa Carmen est gouailleuse, charmeuse, violente parfois, cheffe de bande et reine des tavernes des bas-fonds. L’ambiance chaude-bouillante et électrique est rendue avec vivacité par les artistes du Ballet. Ça sent la fête, la sueur, le sexe bon marché et la folie de la jeunesse délaissée qui veut se créer son monde. L’oeuvre se déploie dans toute sa modernité universelle, vibrante et tellement vivante.
Edi Blloshmi est en Don José le parfait bellâtre odieux. C’est le fils de bonne famille qui vient s’encanailler dans les tavernes, celui à qui l’on a appris que tuer un homme est contre les principes de Dieu, mais gifler sa femme, bon, ce n’est pas très grave. Pourquoi Carmen tombe amoureuse de lui ? Parce qu’elle a tendance à tomber toujours amoureuse des mauvais garçons. Noëllie Conjeaud la rend ainsi dans toute son ambivalence. Elle séduit Don José par jeu, pour tester son pouvoir de séduction. Elle mène son monde, elle décide, elle s’affirme comme maîtresse de sa sexualité. Mais quand Don José lève la main sur elle, elle se laisse faire, elle ne reprend pas le dessus. “Carmen est-elle si libre que ça ?“, comme le raconte son interprète. Don José est peut-être la seule personne à avoir raison d’elle, jusqu’à la tuer.
Techniquement, le Ballet de l’Opéra de Lyon n’a pas à rougir des pièges de Roland Petit. Se poser en tant que corps de ballet pose parfois plus de problèmes. Quand le rideau s’ouvre et que chacun entre en scène en pantomime, les artistes semblent chercher leur place, chercher un naturel. Qui se trouve dès qu’il y a quelque chose à danser, chacun.e s’emparant ainsi de son personnage. Leur habitude de la danse contemporaine donne à leurs gestes quelque chose de profondément terrien, humain, permettant ainsi à l’histoire de trouver toute sa véracité.
Le problème du corps de ballet se pose plus dans L’Arlésienne, qui ouvre la soirée. Si dans Carmen chacun a un personnage, il s’agit beaucoup plus dans cette première oeuvre d’un travail de groupe. Un travail où les artistes semblent plus hésitants, comme cherchant en permanence à trouver leur place en scène.
L’Arlésienne, c’est la tragédie grecque, celle dont on sait dès le lever de rideau qu’elle va mal finir. Délaissé par l’Arlésienne, Frédéri (Alessandro Riga, invité venant de la Compagnie Nationale de Danse d’Espagne) se marie avec Vivette (Caelyn Knight). Mais il reste hanté par son premier amour, qui le poursuit sans cesse, jusqu’à le pousser à se jeter par la fenêtre. Le corps de ballet joue le choeur qui souligne l’action, qui devient le double des personnages. Mais l’énergie de groupe a du mal à se former, les artistes à trouver leur place dans un ensemble. Ce qui donne à la pièce une allure bancale dans la tension dramatique.
Le couple principal est beau comme tout. Alessandro Riga est le parfait jeune-fougeux-bondissant, au regard de fou dès le premier instant. Caelyn Knight est la jeune fille fraîche et adorable, tout en contrastes avec son mari. Les deux ont un jeu crédible et le couple fonctionne, même si, au fond, ils sont toujours sur le même registre tout au long du ballet. L’essentiel est tout de même atteint : raconter des histoires et faire vivre des personnages. Un travail donc prometteur pour une première, et une nouvelle voie d’interprétation plutôt intéressante qui s’ouvre pour le Ballet de l’Opéra de Lyon, déjà si varié dans son répertoire. Avoir une compagnie de plus capable de danser ce grand répertoire français ne serait pas non plus du luxe.
Soirée Roland Petit par le Ballet de l’Opéra de Lyon, à l’Opéra de Lyon. L’Arlésienne de Roland Petit, avec Alessandro Riga (Frédéri) et Caelyn Knight (Vivette) ; Carmen de Roland Petit, avec Noëllie Conjeaud (Carmen), Edi Blloshmi (Don José), Adrien Delépine (le Toréador), la femme bandit (Julia Carnicier), le chef bandit (Raúl Serrano Nuñez), un bandit (Ludovick Le Floc’h) et une cigarière (Jacqueline Bâby). Mercredi 4 novembre 2015. À voir jusqu’au 19 novembre.
a.
Merci pour cet article. J’ai tellement hâte de voir ces deux ballets dansés par cette compagnie. Cet article “prépare ma perception”!