La Belle et la Bête de Thierry Malandain – Malandain Ballet Biarritz
Après le succès de Cendrillon (qui continue toujours de tourner), Thierry Malandain reste inspiré par les contes, puisque La Belle et la Bête est sa dernière création. Le risque était grand de faire plus ou moins la même chose. Mais le chorégraphe esquive en faisant un ballet finalement pas si narratif que ça. Car l’histoire se mêle à une sorte de tragédie, celle de l’Artiste en train de créer, de faire et défaire ses personnages, pour finalement se retrouver seul. Un mélange narration/abstraction qui fonctionne, sans oublier la poésie.
La Belle et la Bête, cela évoque un château enchanteur et une sombre forêt. Mais sur scène, la sobriété est de mise (ce qui tranche d’autant plus avec les imposants décors de Cendrillon). Il y a juste un fond noir et des rideaux noirs. Ces derniers sont actionnés par les artistes sur le plateau, créant ainsi différents espaces au fur et à mesure des scènes. Ils sont un peu comme les pages d’un livre que l’on tourne, un peu aussi comme les méandres du cerveau de l’Artiste. Les personnages y apparaissent et disparaissent, comme des idées qui fusent. L’Artiste est personnifié, toujours entouré de son Corps et son esprit. Comme la Bête, il cherche à se sortir de sa condition, par sa création. Alors La Belle et la Bête, ballet narratif sur ce conte si connu, ou plutôt abstrait sur le chemin de l’Artiste en création ? Un peu des deux. Et c’est justement cette juxtaposition qui fonctionne.
Les parties sur le conte en lui-même jouent sur un certain émerveillement. Tout commence avec une valse étourdissante dans de magnifiques costumes d’or. La danse est légère et vive, aux belles lignes néo-classiques, mélangeant portés fluides et ensembles efficaces. Claire Lonchampt est la Belle idéale, juvénile et rayonnante, avec la pureté des princesses des contes. Sur scène, pas de décors donc, mais les personnages prennent vie en un tour de main, dans un esprit assez intimiste (et avec de superbes interprètes). Il ne suffit que de quelques danseur.se.s au sol pour figurer une forêt angoissante, avec ses branches d’arbres qui viennent vous caresser dans le cou. Voilà tout l’art de savoir raconter une histoire. Apparaissant au détour d’un rideau ou d’une scène, l’Artiste se situe en opposition. Sa danse, et celle de son Corps et de son esprits (aussi personnifiés en scène), est plus anguleuse, plus terrienne, plus abrupte. La féérie n’est plus lorsqu’il est en scène, faisant place à une certaine angoisse. Comme si l’Artiste avait peur que ses personnages ne lui filent entre les doigts, son histoire avec.
Cet équilibre narration/abstraction fait tout le sel du ballet, mais n’arrive cependant pas à tenir la route sur toute la durée. L’Artiste se représente à travers la Bête, son alter ego de fiction. Mais si le premier est bien travaillé, le deuxième a plus de mal à être discerné. Cette Bête n’est pas assez Bête justement, peut-être trop réelle pour faire croire au conte. Impossible ainsi de faire fonctionner la dualité lorsque Bête et Artiste sont ensemble sur scène, l’équilibre est rompu. Le spectacle retombe toutefois sur ses pieds grâce à la narration, la rose ou le miroir.
Pas de happy-end toutefois. La valse grandiose que tout le monde attend est finalement au début. Le final sonne plutôt comme terriblement mélancolique. Car pour l’Artiste, c’est l’heure de dire au-revoir à ses personnages. Des personnages qu’il a eu tant de mal à apprivoiser, à mettre en scène. Et c’est peut-être au moment où tout commençait à être facile qu’il faut tirer un voile sur l’histoire, laisser les personnages vivre leur vie. Un sentiment qui touche au coeur, même pour le public qui ne crée pas : j’ai eu comme le souvenir du syndrome “Je lis le Top 7 de Harry Potter le plus lentement possible pour retarder au maximum l’heure de dire adieux à mes personnages chéris”.
La Belle et la Bête est ainsi un joli conte, plus surprenant qu’il n’y paraît. Il y manque une vraie Bête terrifiante pour le parfait équilibre.
La Belle et la Bête de Thierry Malandain par le Malandain Ballet Biarritz, à la Gare du Midi de Biarritz. Avec Claire Lonchampt (la Belle), Mickaël Conte (la Bête), Arnaud Mahouy (l’Artiste), Miyuki Kanei (son Âme), Daniel Vizcayo (son Corps), Frederick Deberdt (le père), Ellyce Daniele et Ione Miren Aguirre (les soeurs), Raphaël Canet et Baptiste Fisson (les frères), Patricia Velazquez (l’Amour), Miyuki Kanei (la rose), Hugo Layer (le miroir), Irma Hoffren (le gant), Baptiste Fisson (le cheval) et Michaël Garcia (la clef). Samedi 5 décembre 2015. À voir à la Biennale de la Danse de Lyon du 10 au 14 septembre 2016.