Rencontre avec Julie Charlet, l’une des Giselle du Ballet du Capitole
Kader Belarbi remonte Giselle pour le Ballet du Capitole dont il est le directeur, à voir du 20 au 31 décembre. Rencontre avec l’une des interprètes du rôle-titre, Julie Charlet, qui évoque ce personnage mythique, son travail avec Monique Loudières ou la vision de Giselle de Kader Belarbi.
Quelle est votre vision du personnage de Giselle ?
Pour moi, Giselle est une jeune fille d’une honnêteté absolue, d’une gentillesse sans pareil, extrêmement généreuse. Elle ne se rend pas compte des malheurs de la vie, elle n’imagine même pas que les gens puissent avoir des côtés plus obscurs. Elle vit dans un monde très protégé par sa mère. Elle ne pourra pas ainsi résister à la trahison d’Albrecht. Dans le deuxième acte, c’est un être très pur, toujours guidé par son amour.
Comment danser un personnage du XIXe siècle lorsque l’on est une danseuse du XXIe siècle ?
Ce questionnement est l’une de mes priorités ! Je trouve cela tellement dommage quand les grands ballets du répertoire paraissent un peu poussiéreux. La pantomime peut vite être dépassée, ne pas être vraie. Kader Belarbi a gardé la pantomime et tout ce qui fait ces grands rôles classiques, mais il a fait en sorte que les personnages soient absolument réels, qu’ils soient des personnages du XXIe siècle. Il faut toujours réagir aux actions de façon moderne.
Comment faire, lorsque l’on travaille avec une pantomime très codifiée ?
J’ai beaucoup travaillé avec Monique Loudières, qui est extraordinaire. Elle nous disait tout le temps : “Il faut qu’il y ait un sens derrière chaque mouvement“. Il faut toujours que je sache pourquoi je fais tel geste. En répétition, nous mettions des mots lorsque nous travaillons une scène, nous parlions réellement. “Hilarion, mais toi et moi, ça ne sera pas possible, on ne s’aime pas“. Ce n’est pas si facile que ça, on se sent un peu bête pendant les cinq premières minutes. Mais cela donne au mouvement une réalité qui est assez impressionnante. Mettre des mots sur des gestes permet de les faire venir vraiment naturellement. On est complètement dans un travail de théâtre. Cela permet d’être le plus sincère possible et de vivre le ballet en n’étant non pas Julie, mais la Giselle du XIVe siècle… tout en étant ancré au XXIe siècle. Lorsque la pantomime est travaillée de façon réelle et sincère, avec une intention intérieure, elle n’est pas dépassée. Elle porte des personnages vivants.
Cette version de Giselle est celle de Kader Belarbi. Quelles sont ses spécificités ?
Les deux actes ont été écrits techniquement très différemment. Kader Belarbi a fait un premier acte très ancré dans le sol, très terrien. Tous les vignerons et vigneronnes sont sur demi-pointes, pour une chorégraphie un peu plus contemporaine. Lui, comme Monique Loudières, nos maîtresses de ballet ou Laure Muret qui nous fait répéter, nous ont tous parlé de la version de Mats Ek pour ce premier acte. Giselle est néanmoins sur pointes, le pas de quatre des vendangeurs aussi, ces variations restent traditionnelles. Mais toutes les danses des paysans ont changé. Les costumes sont très simples et très colorés, de vraies robes de paysans. Cela donne un contraste d’autant plus grand avec le deuxième acte traditionnel et aérien.
Comment avez-vous travaillé la scène de la folie, un des grands moments du personnage de Giselle ?
J’avais déjà travaillé ce rôle en 2010, alors que je dansais au Northern Ballet. J’avais trouvé que, plus je travaillais cette scène, moins elle sonnait juste. Cette fois-ci, j’ai appris cette scène avec Monique Loudières qui m’a donné les grandes lignes. Kader Belarbi m’a indiqué ce qu’il voulait et à quel moment. Il y a des points de repère très importants (le bijou qu’on laisse tomber et qui sonne la trahison, la marguerite qui nous rappelle notre amour, l’épée, le dernier instant de lucidité vers notre mère), une musicalité à respecter. Ensuite, j’ai réfléchi et essayé de mettre ces informations avec ce que je voulais donner et ressentir intérieurement. Je sais ce que je veux dans ma tête, mais c’est le genre de scène qui devient téléguidée si on la répète trop. J’essaye donc de ne pas la passer trop souvent. Et les réactions ne seront pas forcément les mêmes d’un soir à l’autre sur scène. Cela va dépendre de comment s’est passé le premier acte, des danseur.se.s autour, de ce que feront les vignerons, la maman, Hilarion, Albrecht.
Quels sont les moments les plus périlleux dans une interprétation de Giselle ?
Pour moi, les entrées des deux actes, à chaque fois des petits solos. Au premier, Giselle sort des coulisses comme un boulet de canon, il faut y aller. Au deuxième acte, l’entrée se fait sur seulement quatre pas, le voile sur la tête dans une longue diagonale avec les Willis, avant de démarrer le solo des tours attitudes. C’est très impressionnant. C’est la première fois que le public découvre Giselle la Willis sur scène, il faut que ce soit absolument parfait, être tout de suite dans le personnage. Ce n’est pas évident d’être cet être irréel juste après avoir dansé la scène de la folie.
Que vous a spécialement conseillé Monique Loudières ?
Nous avons beaucoup travaillé l’interprétation avec elle. Elle m’a poussée vers cette honnêteté au premier acte, cette joie de vivre. Je pense que je l’interprétais au début sans suffisamment de contraste. Au deuxième acte, elle a beaucoup insisté sur le haut du corps. C’est un passage technique, je peux en oublier la position du haut, du buste, du cou, du haut du dos. Techniquement, cela se joue beaucoup dans la dissociation du haut et du bas de corps, et dans le contrôle de la descente de pointes, C’est un tout, le mouvement ne doit jamais s’arrêter. Je dois être comme une vision des gravures de ces grandes ballerines du XIXe siècle.
Aventure
Merci pour cet entretien passionnant !