Les adieux de Benjamin Pech à l’Opéra de Paris – L’élégance de la sobriété
L’aura de son prénom – synonyme d’éternelle jeunesse – lui a été ravie par un Benjamin plus médiatique. Longtemps il est resté le petit garçon du Sud. La dégaine mal assurée, les yeux embués, la voix basse : sous la poursuite, Benjamin Pech fait face à son public pour la dernière fois à l’Opéra de Paris. Il évoque avec émotion Sylviane, cette admiratrice de 84 ans qu’il avait choisie pour le projet de Jérôme Bel. À travers sa relation humaine et artistique avec cette balletomane, c’est tout un rapport au public qui est résumé dans son intégrité et son intensité.
Il avait été nommé suite à un programme mixte lors d’une tournée à l’étranger. “L’Etoile de Chine” disait-on… Il a tiré sa révérence sur un ensemble de morceaux disparates. C’est joli (In the Night), perturbant (Tombe), poignant (Le Parc) mais les tableaux sont disloqués. L’interminable pièce Les Variations Goldberg surgit inopportunément dans la soirée. L’effet baroque s’altère bien vite malgré le talent des danseurs et danseuses – mention spéciale à Myriam Ould-Braham qui est une révélation dans ce vocabulaire. Benjamin Pech s’abstient d’ailleurs de le danser. Personnaliser intégralement le programme aurait été une attention trop délicate ? Alors que la personnalité de l’Étoile sur le départ appelait une franche simplicité, la soirée d’adieux a versé par moments dans l’élitisme fardé.
C’est dans Tombe que l’humanité de Benjamin Pech est la plus insoutenable. Le projet de Jérôme Bel – faire collaborer trois danseurs et trois néophytes – n’est pas inintéressant mais il aurait davantage sa place sur la fameuse 3e scène virtuelle. En démystifiant habilement la danse, les artistes bousculent le public dans ses certitudes d’habitué.e.s de l’Opéra de Paris. Malheureusement, la première scène est une démocratisation bien grossière de l’art du ballet. Les ficelles sont trop grosses ; les oppositions trop marquées. C’est peut-être une ruse du metteur en scène pour piéger un certain public blasé d’avance. Ricanements sous cape. Et puis la nouvelle tombe. La partenaire de Benjamin Pech, Sylviane, est hospitalisée. Ils ne danseront pas sur scène. On va voir la vidéo de l’une de leurs répétitions sur un écran. Il n’y a en réalité pas de danse. Mais il y a une complicité muette entre eux deux, sur la musique lancinante de Giselle, qui brûle la gorge et qui prend aux tripes. La danse classique n’est plus cet art perfectionniste, presque eugéniste dans son esthétique, mais le point de départ d’un échange altruiste. Tous les repères se brouillent, comme la vue sous le poids de larmes attendries, peut-être.
Avant une grave blessure à la hanche, Benjamin Pech était aussi danseur noble. In the Night (Jerome Robbins) a ravivé les réminiscences de ce passé de danseur drapé de velours. La pièce est musicale à l’extrême sur les Nocturnes tour à tour taquins et mélancoliques de Chopin. Benjamin Pech et Dorothée Gilbert, sublimes de grâce, épousent les formes musicales du ballet avec une délicatesse hypnotisante. Dans l’argument toutefois, le couple connait ses premiers émois. Dorothée Gilbert et Benjamin Pech n’exhalent pas la fraîcheur printanière d’une rencontre au clair d’étoiles. Les portés sont ciselés et la danse est habitée, langoureuse, assurée. Les bulles d’un champagne rosé commencent à enivrer l’auditoire.
Laura Hecquet, liane bien trouvée, montre une élégance rare aux côtés du racé Mathieu Ganio. Puis Hervé Moreau et Eleonora Abbagnato ferment le bal avec une variation qui pourrait être plus orageuse encore. Ravissante rêverie néo-romantique, In the Night fait oublier la pesanteur des corps du Tombe précédent. La danse y est célébrée pour ce qu’elle est : un instant de beauté évanescente.
L’apothéose de la soirée est signée par le pas de deux de l’abandon du Parc. Pour embrasser de tout son corps l’élan de l’ultime don de soi à son alter ego, à sa vocation, à son public, Benjamin Pech a choisi sa plus grande partenaire, Eleonora Abbagnato. Sa chevelure épaisse et blonde, lâchée, tranche d’emblée avec la gravité crue de la variation qui se danse pieds nus et en blouse blanche. Sans artifice en somme. Elle ajoute un soupçon de glamour au couple qui tournoie dans un baiser volant déjà entré dans la postérité. L’interprétation était juste mais sobre. À la Benjamin Pech, jusqu’au bout des pas. À la fin des saluts, les traditionnels étoiles dorées tombent des cintres pour saluer ces adieux à la scène. Quelques Étoies montent sur scène : Laetitia Pujol, Clairemarie Osta, Mathieu Ganio…
Modeste mais émouvant, l’hommage se poursuit dans le grand foyer, sous les ors du Palais Garnier. Benjamin Millepied et Stéphane Lissner déclament quelques mots aimables avant de laisser s’exprimer Benjamin Pech, qui retrace les moments forts de sa carrière dans un discours émaillé d’anecdotes succulentes. Ses débuts douloureux à l’école de danse de l’Opéra de Paris, loin des siens, lui qui n’aimait pas la discipline. Sa relation en dents de scie avec Roland Petit. Les quatre femmes de sa vie artistique : Elisabeth Maurin, Laetitia Pujol, ClaireMarie Osta son “anxiolytique” et surtout Eleonora Abbagnato avec qui il “a tout fait sur scène ou presque“. Sa collaboration fructueuse avec Benjamin Millepied a été évoqués. Régalienne, Claude Bessy le regarde d’un air bienveillant.
Être danseur étoile, c’est avoir les plus belles femmes… entre ses mains. Benjamin Pech, discours d’adieu.
Benjamin Pech a également un pincement au coeur pour sa nomination tardive et pour les dernières années de sa carrière, brisée prématurément par une blessure à la hanche irréversible. Même “le spécialiste de Nadal” n’a rien pu faire. La gorge nouée mais le ton optimiste, il ajoute “une des fonctions de l’art, c’est d’élever. Et ce soir… Je plane !“. Applaudissements dans la salle. “J’ai presque fini, bientôt le champagne !”.
Lili
Heureuse de l’avoir vu la veille, c’était ma dernière chance !!J’ai beaucoup aimé Tombe et c’est surtout grâce à lui, son sourire et son regard.
Un danseur dont j’apprécie l’intelligence et la personnalité dans les interview qu’il donne (quoique choquée par ce rapport au corps et à la douleur qu’il développe dans la fameuse interview de fin 2015…).
Touchée par son départ. Il va manquer malgré tout, mais c’est la règle du jeu… Dommage qu’il n’ait pas eu un départ plus réussi et médiatisé.
Merci pour votre 1er paragraphe qui résume si bien ce danseur…
Amélie Bertrand
@ Lili : Son départ a, à mon avis, beaucoup souffert de la tornade Millepied/Dupont 15 jours plus tôt. Aussi du fait qu’il ne dansait plus vraiment depuis quelques années.
Agnès
On peut revoir ses adieux sur Culturebox? Magnifique danseur… En revanche, ces départs médiatisés me semblent assez récents. Ni Manuel Legris ni Laurent Hilaire n’y ont eu droit… je crois. Ils ont fait des adieux en fin de ballet, Onéguine pour Manuel Legris me semble-t-il. Et j’ai assisté aux adieux de Wilfrid Romoli, c’était aussi à la fin d’un ballet à Bastille, en toute simplicité, juste la pluie d’étoiles et les ovations interminables.
Marie-Hélène
Il me manque déjà, bien qu’il me manque depuis sa blessure finalement …
Je trouve dommage que toutes les étoiles n’aient pas le droit au même faveurs … Films d’adieux, retransmission en direct …
Lili
Une courte vidéo amateur sur le web… Ce sera tout !!