Moeder – Peeping Tom
Après Vader (père), la compagnie belge Peeping Tom continue sa trilogie familiale avec Moeder (mère). Mais plus que sur la figure maternelle, le spectacle interroge sur la maternité (et la paternité aussi), la naissance, et donc forcément la mort et l’absence. Ce qui fait la richesse de la troupe est bien là : un théâtre-dansé mêlé de contorsions unique en son genre, un mélange de poésie, de burlesque et moments crus, des instants grinçants qui succèdent en quelques secondes à la plus grande absurdité, l’hyperréalisme et la grande fantaisie qui s’accommodent sans se poser de questions. Les défauts aussi sont les mêmes, comme certaines longueurs en milieu de spectacle. Reste toujours une proposition artistique forte qui questionne autant qu’elle émeut.
Vader questionnait sur la fin de vie. Moeder démarre donc pas un enterrement. Celui de la mère, derrière une porte vitrée, avec la famille s’y approchant à mesure que le dernier souffle arrive. Mais une fois le cercueil parti, le lieu prend sa véritable dimension. Nous sommes en fait dans un musée, et la famille est composée du gardien, de la femme de ménage, d’une visiteuse (bientôt enceinte) ou du directeur. Ce musée bizarroïde, où chacune de ses parcelles peut se transformer au gré de l’imagination de Peeping Tom, peut être vu comme notre inconscient. Y être présent.e, y séjourner, fait remonter des souvenirs oubliés, des fantasmes inavoués, des peurs, des douleurs, des moments complètement barrés que seuls les rêves savent fabriquer. La salle d’enterrement se transforme aussi, devenant salle d’accouchement (avec une futur maman en plein travail transformant ses cris en concert de rock), puis en couveuse. Moeder va toutefois plus loin que la question de la mère et de la maternité. Les pères et leur rapport à l’enfant sont aussi là, ce qui transforme plutôt le spectacle en questionnement sur la naissance, la parentalité, le lien familial de façon plus général. La question de l’absence de la mère revient aussi, mais pour finalement s’élargir à la question du deuil (pour sa mère comme pour n’importe qui d”autre), du vide, du lien qui unit chaque être malgré tout dans son cocon familial. La vie et la mort restent décidément d’insondables questions.
Si Vader s’attachait à un personnage, Moeder propose plutôt toute une galerie de rôles tous plus étranges et surprenants les uns que les autres. Le musée en est un à part entière, avec chaque partie du décor pouvant se transformer sans que l’on s’y attende. Chaque tableau prend vie, la machine à café rend son âme, une sculpture judicieusement appelée Un pied dans la tombe se fait au contraire bien vivante une fois la dernière visiteuse partie. Cette imagination débridée (même si bien calée dans son fil conducteur) fait oublier les quelques longueurs, quand le spectacle s’appesantit parfois un peu trop sur une idée et la creuse plus qu’elle n’en mérite. Car tout dans Moeder est surprenant. Pas un personnage n’est un cliché attendu, pas un procédé théâtral sur le décor ne se laisse deviner.
Les genres se mêlent. La danse-théâtre moderne mêlée de contorsion, la marque de fabrique de la troupe Peeping Tom, s’assortit d’une mise en scène très cinématographique, avec un bluffant jeu sonore en guise de musique – notamment un rapport à l’eau au début aussi fascinant qu’effrayant. Et si le musée est le lieu de l’inconscient, alors tout est permis. Une scène d’accouchement sanguinolente succède à une marche funèbre burlesque, le plus réalisme amorce une grande poésie rêveuse. Pas sûr que les personnages aient réussi leur thérapie, mais quel ennuie aussi s’ils n’étaient plus complètement barrés.
Moeder de Gabriela Carrizo par la compagnie Peeping Tom à la Maison de la Danse. Avec Eurudike De Beul, Maria Carolina Vieira, Marie Gyselbrecht, Brandon Lagaert, Hun-Mok Jung, Yi-Chun Liu, Simon Versnel, Charlotte Clamens, Jean Bailly, Sadia Djafar, Adèle Garcier, Danielle Gillouin, Daniel Lachenal et Sandrine Lamure. Mercredi 13 septembre 2017. À voir jusqu’au 14 septembre, en tournée en France en 2018.