Soirée d’ouverture d’utoPistes à Lyon – Un festival de haute volée
Déjà passé par Chambéry et Valence, le festival d’arts du cirque utoPistes débutait sa session lyonnaise le jeudi 2 juin. Entre la Place et le Théâtre des Célestins, cette soirée d’ouverture gratuite, en forme de dedans-dehors, traçait un chemin plein d’émotion et de promesses pour un festival qui se déroule jusqu’au 11 juin dans de nombreux théâtres lyonnais. Pendant ces dix jours, James Thierrée, Sébastien Barrier, Phia Ménard, Mathurin Bolze et d’autres artistes circassien.ne.s émaillent les scènes et les places de leurs spectacles de clowns, d’acrobates et de jongleurs, parfois proches de la danse. Ils se mettent en danger, déploient leurs scénographies oniriques et leurs utopies artistiques. Nous voici convié.e.s à un festival de haute volée.
Première originalité : tout au long de la soirée, Frédéric Fivaz et Ricardo reproduisent sans discontinuer, patiemment et joyeusement, les affiches faites pour le festival par Benoît Bonnemaison-Fitte (dit Bonnefrite). Grâce à une technique de sérigraphie permettant en outre de belles variations colorées sur l’original, les affiches d’utoPistes, jaunes, vertes, roses…, envahissent peu à peu l’entrée du Théâtre des Célestins, et sont distribuées à tou.te.s les spectateur.rice.s qui le désirent. Finalement, chacun.e repart avec la sienne. Parfois, un raté se glisse dans le processus de sérigraphie, une affiche est imprimée sens dessus dessous ; elle n’en est que plus belle. Les habitant.e.s de Lyon peuvent également admirer les longues fresques colorées réalisées par Bonnefrite dans les stations de métro Bellecour et Part-Dieu.
La soirée s’ouvre Place des Célestins. Une voix au micro surgit, pour ne plus nous quitter de la soirée : celle du magnifique artiste Sébastien Barrier. Cet incroyable bavard improvise durant des heures, harangue impertinemment le public à se rassembler pour pénétrer dans le théâtre, moque son homogénéité sociale et sa précipitation “de gueux” à obtenir une des 691 places gratuites. Une fois sur la scène du théâtre, il présente avec humour et irrévérence le programme du festival, n’hésitant pas en déceler les travers. Derrière, mais aussi avec lui, le placide Bonnefrite trace à la craie noire les symboles dont il a orné le très beau programme dépliant du festival. Verre de vin, planche, échelle, tempête venteuse… à chaque spectacle son signe, et sa folle exégèse par Sébastien Barrier.
Tout le monde en prend pour son grade, l’institution théâtrale, le public, les artistes : ainsi, utoPistes se prend pour un festival révolutionnaire – comme à peu près toute production artistique aujourd’hui ? Ainsi, le Théâtre des Célestins proclame ouvrir sa porte à tous les publics ? Dans les faits, c’est surtout le premier arrondissement lyonnais qui se trouve là ! Et nous rions de bon cœur à ses paroles intarissables ? Il se passera de notre pitié, lui qui n’est même pas payé pour cette soirée !
Sébastien Barrier fouette notre mauvaise conscience, son cynisme fait mal autant qu’il fait du bien. Il s’est d’ailleurs fait connaître par son personnage de bonimenteur Ronan Tablantec, qui sillonnait la France… avec son fouet, et ses harangues blessantes de vérité. Au festival utoPistes, il présentera avec Nicolas Lafourest et Bonnefrite son spectacle Chunky Charcoal, mais aussi Savoir enfin qui nous buvons – extraordinaire performance où il parle pendant plus de six heures de vins (que le public est bien sûr invité à partager !).
Quelque chose, quelqu’un peut-il gagner le respect de Sébastien Barrier ? Au moins sans doute ses confrères et consœurs du cirque – et cette soirée donne aussi à comprendre pourquoi on dit souvent des artistes circassiens qu’ils sont “une grande famille“. Famille unie par des vies parfois marginales, souvent précaires (comme pour tant d’autres artistes), dédiées à leur art, mais aussi, pour beaucoup, par le risque mortel pris lors des spectacles.
Chloé Moglia et Johann le Guillerm sont les deux artistes circassien.ne.s qui donnent chair à cette soirée. Épargné par la pluie, le spectacle Horizon de Chloé Moglia se déroule sur la Place des Célestins, décorée de planches évoquant des structures de chapiteaux. Tout en blanc, Chloé Moglia se hisse à la corde qui la mène au sommet d’un mince mobile blanc. La corde tombe au sol, la voici suspendue à une simple barre, à plusieurs mètres du sol. Face à elle, la violoncelliste Noémie Boutin s’est installée à une terrasse du Théâtre, et égrène une musique qui porte la trapéziste. Quand elles échangent des regards, Chloé Moglia s’illumine encore davantage d’un grand sourire. Ses gestes sont lents et presque méditatifs, elle se porte en apesanteur, avec pour seul décor la clarté du ciel. Même si la virtuosité n’est pas l’objet de son spectacle, ses équilibres précaires font souvent frémir.
Le souffle du public sera encore plus court dans le Théâtre des Célestins, où Chloé Moglia, cette fois en rouge, comme les fauteuils et murs de la salle, apparaît suspendue à une barre métallique accrochée au plafond. Sa traversée est pour rejoindre la loge où Noémi Boutin déroule son ample musique. Rien n’assure Chloé Moglia que sa maîtrise de la voltige. Mais peu à peu l’angoisse s’estompe, laissant place à la fascination.
La soirée se clôt par un retour sur la Place des Célestins. Le soleil s’est couché, et la pluie tombe désormais presque à flots. Mais Johann Le Guillerm, qui joue pourtant pour la première fois sa pièce à l’extérieur, a décidé de la maintenir. Et quelle pièce ! Muni d’une simple corde, aidé au début, puis laissé seul, le voltigeur agence de longues planches de bois jusqu’à former un escalier en colimaçon qu’il monte-escalade en même temps qu’il le fabrique. À chaque pas il faut réajuster l’équilibre, peser de tout son poids pour s’élever, s’adapter à la pluie battante. À chaque pas, des échos se tissent avec le reste de la soirée, l’émerveillement se mêle à l’admiration. Ces artistes nous ont rappelé que le cirque est un art du courage, un art de la rue, un art où les utopies s’inventent à même les corps.
Le Festival utoPistes, organisé par la compagnie Mpta, a lieu du 2 au 11 juin 2016 à Lyon. S’y produira entre autres Sébastien Barrier. Un peu partout en France, on peut aussi admirer le travail de Chloé Moglia et les œuvres de Bonnefrite.