ÉcoleS de Danse – Don Quichotte
Inspiré d’un extrait du roman de Cervantes, le ballet Don Quichotte repose sur une intrigue amoureuse mêlant l’ingéniosité et la fantaisie du “chevalier à la triste figure”. Créé à la fin du XIX siècle loin des terres hispaniques, le ballet s’est transmis et diffusé à travers le monde tout au long du XXème siècle, s’intégrant aujourd’hui dans le répertoire de grandes compagnies. Tour d’horizon de l’évolution de ce ballet, de la technique russe à l’école française.
Cette étude est réalisée à partir de recherches, d’un savoir pédagogique personnel laissant place à une marge interprétative.
La genèse
Tournant littéraire décisif, Don Quichotte – en plus d’être un symbole – a cimenté un imaginaire culturel foisonnant dans toute l’Europe occidentale. Au-delà même des frontières d’origine et de son socle culturel, ce réveil humaniste a su influencer les sphères artistiques majeures du monde de la danse afin de figurer au plus près son message de ferveur idéaliste réadapté en fonction des civilisations.
Sous la paternité de Marius Petipa, Don Quichotte est créé à Moscou pour le théâtre du Bolchoï en 1869, sous la baguette de L. Minkus, le compositeur. Dans ce ballet en quatre actes, virtuosité, technicité et fugacité répondent à l’interprétation russe, incarnant au mieux les passions allant de la scène de Basilio puis celle du moulin de l’acte réel, en passant par la magie féerique propre aux fantômes et aux hallucinations de Don Quichotte dans l’acte blanc. Héroïsme et courage sont les grandes valeurs qui s’unissent à la trame lors du duel opposant Don Quichotte au Chevalier de la Lune.
En 1871 au Ballet Impérial de Saint Pétersbourg, un succès retentissant scelle la collaboration Petipa/ Minkus jusqu’en 1886. Le ballet est cette fois en cinq actes et très fidèle à Cervantes. Don Quichotte demeure le personnage principal. Kitri et Basilio, personnages secondaires, n’interviennent que dans quelques scènes à l’instar du seul chapitre inspiré du roman. Le cinquième acte où s’illustrent le duc et la duchesse évoque dans sa finalité La Belle au bois au dormant.
La référence chorégraphique – Flamboyance à la Russe
Même si Marius Petipa déclara au sujet de Gorsky après une répétition générale : “Est-ce que quelqu’un peut dire à ce jeune homme que je ne suis pas encore mort ?!“, c’est Alexander Gorsky qui restaure l’oeuvre à l’influence et au style russe, servant ainsi de base à toutes les productions connues de nos jours.
Le ballet se réduit alors à trois actes et six scènes, où s’intègre un nombre important de nouvelles musiques à la partition de Minkus. Ces ajouts induisent de nouvelles variations, notamment celle de la Reine des dryades dans l’acte du rêve composé par Anton Simon. D’usage à cette période lorsque le succès est important, cette variation se voit ensuite réadaptée dans le pas de deux du Corsaire. Même chose pour la variation de l’Amour apparaissant dans Paquita, puis arrivant sous le nom de Cupidon dans Don Quichotte et composée par Alexei Papkov. La variation de Dulcinée, sur une musique de Riccardo Drigo, crée aussi la surprise en offrant un double rôle pour la danseuse interprétant Kitri. Quant au grand pas des toréadors, il aurait figuré pour la première fois dans un autre ballet de Minkus, Zoraiya. Usant à merveille de ce que le rêve peut suggérer comme angoisse, le combat d’hidalgo défiant l’araignée traduit au mieux la barrière du subconscient à franchir pour parvenir au jardin de Dulcinée.
Autre élément phare, le pas de deux final de Kitri et Basilio est un véritable éventail de la technique classique pour tout soliste. Accordé à Riccardo Drigo selon M.Kschessinska, la paternité reviendrait à L.Minkus du fait de la grande similitude avec Nuit et Jour, sans oublier les interprètes jouant un rôle important dans le processus de création pour définir le modèle de la future variation traditionnelle.
Les relectures contemporaines – Rudolf Noureev et l’école française
Bien qu’Anna Pavlova fasse connaître au public londonien son Don Quichotte en version écourtée, c’est Rudolf Noureev qui propose une version notoire, donnée à Vienne en 1966. Cette version offre aux artistes et publics du monde entier une interprétation hors norme grâce à l’Australian Ballet, le Ballet de Zurich, de Boston, de Pékin et enfin l’Opéra de Paris qui marquera sa dernière version.
À la différence de Marius Petipa qui articulait le ballet autour du personnage central de Don Quichotte, Rudolf Noureev révèle davantage les personnages secondaires pour les passer au premier plan, comme Kitri et Basilio. Les danses de caractère sont délaissées au profit du corps de ballet associant les particularités techniques de l’école française, comme les entre-pas, la rapidité du bas de jambe, la petite batterie qui figurent parfaitement le caractère des danses espagnoles. Ces dernières sont reconnaissables par la position des bras avec mains à la taille ou encore la fameuse quatrième position des bras sur le cambré. La danse masculine est valorisée par d’importantes variations ajoutées. Rudolf Noureev avait pour prédilection les ballets de Marius Petipa assurant ainsi leur paternité en conservant leur version d’origine par un respect du découpage, du maintien des danses et des musiques préexistantes.
Sachant que l’extrait choisi du roman pour le ballet se déroule à Barcelone, le caractère hispanisant est un prétexte pour exploiter au mieux le génie de l’âme russe. Comme le disait Nicholas Georgiadis, décorateur pour la première version de Rudolf Noureev à Vienne : “Le Don Quichotte de Petipa-Minkus, c’est l’Espagne du sud, à la russe“. Le rapprochement suggéré avec la culture espagnole traditionnelle ou flamenca est donc inapproprié aujourd’hui mais faisait figure pour l’époque d’une certaine prédilection pour le folklore.
Un Don Quichotte américain mais pas balanchinien
Et Don Quichotte aux États-Unis ? Beaucoup de compagnies proposent leur version, inspirée par celle de Marius Petitpa et la flamboyance russe, sans vraies références au style Balanchine. Soucieux d’apporter un regard novateur et moderne, George Balanchine crée néanmoins en 1965 un Don Quichotte en trois actes accompagné du compositeur Nicolas Nabokov. Il choisit d’adapter son livret au plus près du livre II du roman avec un Don Quichotte entièrement mimé, propre à ses origines, unique point commun avec l’œuvre originale de Marius Petipa. Cette version a été rarement représentée et n’a pu bénéficier, à notre grande déception, d’aucune version filmée.