L’Histoire de Manon : épisode 1
Lundi 23 avril 2012. L’Histoire de Manon de Kenneth MacMillan par le Ballet de l’Opéra de Paris, au Palais Garnier. Avec Aurélie Dupont (Manon), Josua Hoffalt (Des Grieux), Jérémie Bélingard (Lescaut), Muriel Zusperreguy (La maîtresse de Lescaut), Aurélien Houette (Monsieur de G.M.) et Viviane Descoutures (Madame).
Que de choses à dire sur cette représentation de L’Histoire de Manon… Il s’agissait pour moi d’une découverte, je l’avoue. Et les impressions sont quelques peu mitigées. A force d’entendre parler de ce ballet, d’écouter les souvenirs émus, les “De toute façon, L’Histoire de Manon, c’est mon ballet préféré“, l’attente était peut-être trop grande. La soirée a défilé à toute vitesse, prise par l’histoire qui se déroule sans encombre, les beaux costumes et les décors qui savent raconter une époque. Mais la révélation ne s’est pas produite. Pas de bouche grande ouverte, pas de souffle coupé, pas de larmes aux yeux, contrairement à la claque reçue par la découverte de La Dame aux Camélias.
Alors à qui la faute ? Au regard qui doit s’éduquer et se faire au style MacMillan ? A la compagnie ? Aux interprètes du soir ? Verdict lors des prochaines distributions.
Mais ce manque d’emportement, comme je l’ai dit plus haut, n’a pas empêché la soirée d’être bonne. Découvrir un ballet a toujours quelque chose d’excitant. Il y a la découverte, l’œil qui ne sait pas où se poser tellement il y a de choses à voir et la chorégraphie à découvrir. Kenneth MacMillan aimait les pas un peu tarabiscotés visiblement, et surtout les longs pas de deux, acrobatiques, mais si romantiques et passionnés.
Le premier acte défile ainsi avec beaucoup de séduction entre une ville de province et la capitale. Un mail attentif m’a un peu mieux expliqué l’histoire, bien plus noire que ce que j’écrivais lors de la présentation des distributions. Ce n’est pas de mariage avec Monsieur de G.M. dont on parle, mais bien de prostitution.
Jérémie Bélingard, alias Lescaut, le frère de Manon, se révèle être la star de ce premier acte. De par sa fougueuse variation qui ouvre la soirée, mais aussi par son sen théâtrale. Lescaut sait très bien l’empreinte qu’il a sur sa jeune sœur, et comprend très vite l’argent qu’il a à en tirer. C’est lui qui choisit ses clients, dirige indirectement la sexualité de sa benjamine en bon frère incestueux, et la persuade de sombrer dans le vice. Un peu d’argent, une vie sociale et des beaux bijoux contre quelques nuits avec Monsieur de G.M., cela peut valoir le coup.
La Manon d’Aurélie Dupont n’est pas vraiment innocente de toute façon, mais déjà exaltée. Sa tête tourne, et elle croit le dernier qui lui parle. Mais elle y croit à fond. Le pas de trois entre elle, Lescaut et G.M. reste ainsi sûrement le moment le plus intense de l’acte. Les acrobaties de MacMillan, qui font passer Aurélie Dupont de l’une à l’autre main des deux danseurs, se transforme en une étrange ambivalence, malsaine et un peu mystérieuse.
Le duo des amoureux était malheureusement un ton en-dessous. Pourtant, Josua Hoffalt campe un Des Grieux très crédible. Coup de foudre face à cette si belle inconnue, déclaration enflammée, fuite main dans la main, nuit passionnée. Le tout dans un mode, comme sait si bien le faire le danseur, assez intériorisé et naturel. Aurélie Dupont a pour sa part choisi l’expressivité, les grands emportement, et il faut bien dire qu’elle était plutôt sublime. Chacun était donc parfaitement dans son rôle, mais absolument pas, sur le plan dramatique, sur la même longueur d’onde que l’autre.
Difficile donc de croire à ce coup de foudre, ou à être émue par ces élans de passion. Le pas de deux de la chambre était néanmoins parfaitement exécutés, entre portés périlleux et abandons d’Aurélie Dupont. Mais cela restait un plaisir purement esthétique.
L’acte 1 se termine toutefois sur une note assez forte, par une belle scène dramatique. Alors que Manon, convaincue, s’en va au bras de G.M., Des Grieux revient et tombe sur Lescaut. Celui-ci lui fait bien comprendre qu’il n’aura plus rien de sa sœur, à peine quelques pièces d’or. Rideau sur une torsion du bras gauche pour l’amoureux esseulé.
Le deuxième acte se déroule dans le Salon de Madame. Sur le papier, il s’agit d’un bordel de Paris où se réunit la haute société décadente. Sur scène, cela ressemble plutôt à un charmant tea-time. Malgré leurs perruques rousses et leurs robes défroquées, le corps de ballet reste en effet dans une élégance retenue. Un ensemble très joli et charmant, et qui manquait singulièrement de souffre. Idem du côté de ces messieurs, qui semblaient en plus, pour un pas de trois, avoir un certain mal avec la chorégraphie.
Heureusement, Impératrice Aurélie est en scène. Pour le deuxième acte, ce sera donc elle la star. Chez elle, tout est beau, sublime, aérien… et expressif. Trop, diront peut-être certains, mais pour moi cela me va. Sa variation d’hésitation (l’argent ou l’amour de Des Grieux, retrouvé dans ce bordel ?) laisse le temps en suspend. Là encore, les périlleux portés prennent sens, et montrent véritablement les tourments de l’esprit de Manon.
Le Lescaut de Jérémie Bélingard aurait pu lui piquer la vedette lors de sa variation bourrée (oui, en plus d’être proxénète, Lescaut boit. Un homme charmant). Mais il manquait un petit quelque chose. Sa variation ivre, suivie d’un pas de deux, m’avait beaucoup fait rire en répétition. Et puis ici ? Il y manquait peut-être un peu de finesse dans la drôlerie, ou un peu de désespoir (Lescaut a l’alcool triste). A l’image du corps de ballet, Muriel Zusperreguy (La maîtresse de Lescaut) était un peu trop belle, un peu trop sage, un peu trop élégante. Sa variation était très réussie, mais il manquait là encore un certain piquant pour attiser l’attention.
Appuyons sur l’accélérateur. Manon ne veut pas choisir entre l’argent et l’amour. Elle persuade donc Des Grieux de s’initier au jeu pour ramasser une petite somme. Mais l’amoureux transi triche pour mieux réussir, et se fait prendre par G.M. Le couple s’enfuit, retrouvé par G.M. qui a dénoncé Manon pour proxénétisme, et tue Lescaut au passage.
Pour le troisième acte, direction la Louisiane. La coutume de l’époque était d’envoyer bien loin les filles de mauvaise vie. Manon a donc dû partir, accompagné de Des Grieux qui n’a pas voulu l’abandonner. Un geôlier zieute sur Manon, la viole, avant que ne surgisse Des Grieux qui le tue. Mais malgré une histoire assez chargée en peu de temps, cet acte III semble un peu longuet. Tout le monde pleure, se prend la tête dans les mains, Manon est visiblement au bord du suicide. Nous ne sommes pas dans une grande finesse d’interprétation.
La deuxième partie est plus surprenante, visuellement parlant. Tient, une lumière verte, tiens, des cordes qui pendent du plafond, tiens, un épais nuage de fumée. Nous somme dans les marécages bien sûr (vous n’aviez pas deviné ?), où a du s’enfuir le couple.
Mais passé le premier choc, l’effet est plutôt réussi. Manon, malade, voit défiler sa vie. Son frère, G.M., Madame, les prostituées de Paris… chacun apparait et disparait dans la fumée avant une dernière agonie. Peut-être plus relâché, Josua Hoffalt est pour le final bien plus en osmose avec sa partenaire. Et la scène de la mort, à défaut de tirer des torrents de larmes, apparaît tout de même comme un moment dramatique réussit.
Longue chronique pour une seule représentation ! Mais comme je l’avais écrit en préambule, que de choses à dire. Malgré une impression un peu mitigée, l’envie reste grande de mieux connaître ce ballet et d’y voir les différentes distributions. Le prochaine, le 30 avril.
Léopoldine
si le coup de cœur ne vient pas pour ce ballet peut être faut-il s’interroger sur la musique. la chorégraphie s’appuie sur des extraits de l’opéra de Massenet.
Hors, et peut-être tout le monde ne sera pas d’accord avec moi, je trouve que la musique de Massenet est un peu démodée et manque d’émotion, du moins pour Manon …
ssx
J’avoue, dès l’instant où j’ai compris que ce ballet était basé sur l’opéra de Massenet, j’ai fait marche arrière.
De toute façon, je ne comprendrai jamais pourquoi l’ONP a préféré nous sortir Manon de Massenet plutôt que Puccini…
Sûrement pour nous faire ce combo Opera, Ballet…
Philothee
Si, si, bien sûr qu’il y a un coup de coeur, une révélation (qui était annoncée !) : c’est la représentation du 26 avril, avec Isabelle Ciaravola et Mathieu Ganio.
C’était LE couple à voir sur Manon, et ils n’ont pas déçu… Je crois pouvoir dire qu’ils étaient proches de la perfection (bien aidés par Yann Saïz, un peu moins par Nolwenn Daniel pour la Maîtresse). Une très belle passion, à la fois tendre, légère et grave. Une vraie réussite.
Nanarinauk
I would like to correct you, the ballet Manon is not actually based on Massenets Opera, or uses any music from it. The music is an arrangement from other works by Massenet originally by Leighton Lucas. The story is slightly different and set in a period prior to the French revolution. Manon is on her way to a convent, when her coach stops off at the Tavern. It follows on as we read from the programme notes.
Nanarinauk
I have just read your review again, and there are some more things to correct,
“Manon does not choose from money or love”.) In fact she encourages De Grieux to play cards to try to win her freedom from Mon. G.M.
Manon is not on the verge of suicide, she is weak and ill from the journey on the ship, After she is raped and they run off into the Everglades (Swamps) she becomes exhausted, starving, in despair., yet still wants to be with Dr Grieux. This is why she keeps trying to run to him. I loved Aurelie Duponts portrayal
on the 25th, my only concern was, she was too “alive and fit ” during the runs towards him, maybe it was desparation?.
Pink Lady
En effet Nanarinauk a raison, il n’y a pas un seul extrait de l’opéra “Manon” de Massenet dans la musique du ballet, qui est en fait une composition de plusieurs autres de ses œuvres. Beaucoup de personnes n’aiment pas Massenet, mais je trouve pour ma part que les extraits choisis collent très bien à l’histoire qui se déroule sous nos yeux.
Vous avez tou(te)s les deux raisons concernant le fait que Manon ne souhaite pas choisir entre l’argent et l’amour, et encourage Des Grieux à jouer aux cartes pour détrousser M. de G.M. avant de s’enfuir. Mais dans le livre comme dans le ballet, il me semble, c’est Lescaut qui apprend à Des Grieux à tricher pour favoriser sa chance.
Autrement mea culpa Amélie, je crois qu’il vaut mieux en effet éviter de partir avec de trop grandes attentes pour apprécier vraiment un ballet, mais j’espère que les prochaines représentations corrigeront cette impression…
Amélie
@ Léopoldine : La musique est bien de Massenet, mais ce ne sont pas des extraits de Manon, c’est un mélange de plusieurs des oeuvres du compositeur. Visiblement, pour la musique, tout dépend sur quel orchestre de l’Opéra on tombe (il y a deux formations qui tournent). J’ai eu beaucoup de mal lors d’une répétition publique (trois jours avant la première), ça passe beaucoup mieux depuis… Je trouve que la musique accompagne bien l’action, sans avoir un véritable coup de coeur musical.
@ Ssx : La musique n’est donc pas celle de l’opéra, et l’histoire se rapproche beaucoup plus du roman. Sincèrement, c’est un ballet qui vaut le coup d’être découvert, il a de grandes richesses chorégraphiques.
@ Philothee : Je viens de les voir, et je partage votre enthousiasme !
@ Nanarinauk : Thank you for these details 🙂
@ Pink Lady : Mais oui, à force de t’en entendre parler, je m’attendais à une révélation 😉
Pink Lady
Écoute, à la prochaine occasion je t’emmène le voir à Londres, ça résoudra le problème. Sinon Ganio / Ciaravola merveilleux en effet :-)(-: