Circeo – L’univers intriguant de Fabrizio Favale
Fabrizio Favale, chorégraphe italien installé à Bologne, est encore rare sur les scènes françaises. C’est pourtant un artiste accompli et singulier, qui livre avec son spectacle Circeo, donné en premier française au Théâtre de Chaillot, une œuvre étrange et irréelle mais totalement aboutie, servie par huit danseurs remarquables à la technique affutée.
Fabrizio Favale revendique “une danse abstraite qui se tourne vers les astres et se propulse à une distance qui laisse derrière elle les choses du monde“. Paradoxalement, il y a quelque chose de très terrien dans Circeo, nom de sa pièce qui est aussi celui du gros rocher sur la mer Tyrrhénienne où vivait la magicienne malfaisante Circé, de l’Odyssée d‘Homère. Le chorégraphe italien n’est pas avare de références à la mythologie, sans cependant qu’il soit nécessaire de la connaître pour s’immerger dans son univers. Quant à la musique originale de Daniela Cativelli, aux sons électroniques émaillés de bruits, elle contribue à instaurer un climat très sombre, porté par une scénographie minimaliste.
Sur scène, c’est un peu comme s’il y avait deux spectacles qui s’entrechoquent et se répondent. En fond de plateau, deux danseurs vêtus de blancs façon marin pêcheur – à moins que ce ne soient des liquidateurs d’une catastrophe nucléaires ! – vont et viennent, déplacent des objets. Devant évolue un ensemble d’interprètes exclusivement masculin. Dotés d’une technique fondée sur une formation classique, les danseurs évoluent avec une précision impeccable et offrent une danse d’une belle élégance. Fabrizio Favale utilise pour eux une structure assez simple et éprouvée : il fait se succéder des ensembles, des solos, des duos, des trios parfois. Son langage emprunte à la danse classique et évoque le travail du britannique Russell Maliphant, notamment dans le superbe jeu de bras des danseurs et ce même souci d’un éclairage soigné, réalisé ici par Andrea Del Bianco sous la supervision du chorégraphe. Fabrizio Favale fait alterner les séquences à grande vitesse et les moments plus lents avec un goût prononcé pour les extensions des bras qui lient les danseurs les uns aux autres.
La juxtaposition des deux univers, dont on peine à trouver le sens, brouille parfois le propos. Et il paraît souvent difficile d’élucider en quoi le mythe de Circé se conjugue avec la chorégraphie. Mais l’on reste subjugué par la beauté des danseurs, leur fluidité d’un bout à l’autre du spectacle et leur virtuosité qui n’est jamais gratuite. Chaque solo conçu par Fabrizio Favale pour ses interprètes est ainsi un moment intense. Mirko Paparusso, remarquable danseur doté d’un charisme qui en fait le point central de Circeo, se démarque particulièrement.
Le final de la pièce, qui laisse se déployer un grand rideau brun en fond se scène, semble évoquer la lave qui descend du volcan. L’effet intrigue, voir laisse perplexe, mais la beauté du geste conduit à tout accepter. Circeo est une oeuvre puissante qui ne livre finalement pas tous ses secrets. Mais n’est-ce pas mieux ainsi ?
Circeo de Fabrizio Favale au Théâtre de Chaillot. Avec Daniele Bianco, Vincenzo Cappuccio, Andrea Del Bianco, Fabrizio Favale, Francesco Leone, Mirko Paparusso, Kenji Matsuyama Ribeiro, Stefano Roveda et Daniele Salvitto. Vendredi 22 mars 2018.