Programme Maillot/Balanchine – Ballets de Monte-Carlo
Pour leur programme de printemps, les Ballets de Monte-Carlo explorent le lien entre chorégraphe et compositeur, avec deux duos d’hier et d’aujourd’hui. Jean-Christophe Maillot et Bruno Mantovani d’un côté pour la création Abstract/Life, une pièce bien plus narrative que ne le laisse penser son titre, et complexe. De l’autre, l’éternel binôme George Balanchine/Stravinsky avec Violin Concerto, pour l’abstraction de la danse dans toute sa splendeur. Une pièce qui marquait d’ailleurs le retour du chorégraphe américain au répertoire des Ballets de Monte-Carlo, après de nombreuses années d’absence. Un come-back encore un peu trop dans la sagesse, mais prometteur.
Entre Jean-Christophe Maillot et Bruno Mantovani, l’histoire a démarré en 2004 avec le ballet Miniature. Et c’est inspiré par le travail du chorégraphe que le compositeur a imaginé son Concerto pour orchestre et violoncelle en cinq mouvements. Il l’a intitulé Abstract, parce qu”‘A-t-on vraiment besoin d’un argument pour raconter quelque chose ? Assurément pas“. Pour Jean-Christophe Maillot, cette pièce est exercice dont il n’a pas l’habitude : créer à partir d’une partition qu’il n’a pas choisie. Il est donc parti dans un autre travail. Et au lieu d’improviser, de créer de nouvelles choses, le chorégraphe a “puisé dans sa banque de mouvements“. Des choses chorégraphiées il y a longtemps et oubliées depuis, des phrases de mouvement qui ont retrouvé une nouvelle énergie, des moments dansés qui ont pris une nouvelle vie. Le résultat n’avait si rien d’abstrait que le chorégraphe a rajouté le terme “Life” au titre la création. Le résultat en scène est dense, un dialogue aussi bien entre les danseurs et danseuses qu’entre les artistes en scène, les musicien.ne.s de l’orchestre, le chef et le violoncelle solo installé sur un coin de la scène.
Abstract/Life n’est d’ailleurs pas une pièce facile à appréhender du premier coup, tant ce dialogue est fourni, et parfois un peu obscur. L’enjeu est ici surtout collectif : le groupe, sa force, sa fragmentation, son envie d’avancer ensemble, sa façon de se chercher aussi, de se dissoudre et de se retrouver. Parfois, un ou une tête de file émerge, mais c’est pour mieux redonner au groupe une sortie de direction commune. Sur scène, place à une ambiance de fin du monde, ou au contraire de début de civilisation, un entre-deux qui peut se situer aussi bien aux prémisses de la civilisation que dans un monde futuriste. Le parfum est parfois presque sacrificiel, aussi par la musique de Bruno Mantovani aux accents parfois très Stravinsky-ien, retrouvant dans le martèlement des accents du Sacre du Printemps. Le groupe semble vivre dans sa bulle, jusqu’au dernier instant. Celui où une femme, apercevant soudain le violoncelliste sur le coin de la scène, a comme l’envie de courir vers lui. Appel au secours ? Aperçu de la réalité ? L’on a envie de faire marche arrière et de rembobiner le ballet pour déceler comme la narration, l’évolution de cette soliste jusqu’à ce regard interrogateur.
La scénographie est à la fois simple et imposante, avec de grandes formes métalliques dessinant le décor. Les costumes et la lumière sont tout en clair-obscur, tamisant les corps, les visages et les regards. Peut-être un peu trop, l’on aurait envie de plus d’épure, la gestuelle forte et énergique de la danse se suffisant souvent à elle-même. Ce travail de clarté, de retour à l’essentiel, c’est justement ce qu’a fait George Balanchine pour son Violin Concerto, présenté en première partie. Après une création en 1941 sur le Concerto pour violon et orchestre de Stravinsky, le chorégraphe reprend le ballet trois décennies plus tard, sans décor et costume originaux. Le compositeur est décédé un an auparavant et Violin Concerto sonne comme l’éclatante synthèse de la relation artistique si forte qui a uni George Balanchine et Igor Stravinsky. La danse pure, le geste implacable de rigueur, de virtuosité et d’invention. Ces coups de crayon blancs et noirs des tenues des danseurs et danseuses sur le vertigineux cyclo bleu, tout est là.
Pour les Ballets de Monte-Carlo, reprendre en 2018 une pièce de George Balanchine était un pari. La troupe était une experte de ce répertoire dans les années 1990, puis s’est tourné vers des créations plus contemporaines, avec le recrutement qui va avec. Depuis quelques années, de nouveaux artistes sont arrivé.e.s, à la technique plus académique, qui ont donné envie à Jean-Christophe Maillot de retrouver George Balanchine dans sa programmation. Et pour une troupe qui n’a pas dansé le maître américain depuis une dizaine d’années, le résultat est séduisant. On y retrouve toute la diabolique précision chorégraphique, cette technique classique qui ne souffre d’aucune approximation couplée à ces déhanchés, ses mains flexes, où tout a un sens. Mais le chausson semble toutefois encore un peu neuf. On ne retrouve pas George Balanchine d’un claquement de doigt. Il faut que le corps y retrouve une certaine liberté, comme une paire de nouvelles pointes se fait petit à petit aux pieds de sa danseuse. Les interprètes des Ballets de Monte-Carlo sont en place, à la danse propre, net et musicale. Mais tout semble encore un peu sage. Il manque cet élan de liberté, quand la danse est totalement possédée, qu’il n’y a plus cette sorte de pression prédominante de bien faire. Seul le couple de l’Aria II, Matèj Urban et la sublime Ekaterina Petina, trouve cette sorte d’indépendance, pour un duo lyrique et sur le fil, où le geste précis se mâtine de relâché de la tête et du dos, dans une sorte d’abandon. Les retrouvailles entre le maître américain et la compagnie monégasque sont donc encore un peu sages, mais néanmoins prometteuses. Un Quatre tempéraments pourrait arriver sur scène dans une ou deux saisons, de quoi se réjouir.
Soirée Balanchine/Maillot par les Ballets de Monte-Carlo au Grimaldi Forum. Violin Concerto de George Balanchine, avec Debora Di Giovanni et Alexis Oliveira (Aria I), Ekaterina Petina et Matèj Urban (Aria II) et Katrin Schrader, Candela Ebbesen, Taisha Barton-Rowledge, Alessandra Tognoloni, Jaat Benoot, Edgar Castillo, Edoardo Boriani, Artjom Maksakov, Ksenia Abbazova, Gaëlle Riou, Kaori Tajima, Anissa Bruley, Koen Havenith, Le Wang, Asier Edeso et Simone Tribuna ; Abstract/Life de Jean-Christophe Maillot, avec Mimoza Koike, Alessandra Tognoloni, Katrin Schrader, Anne-Laure Seillan, Kaori Tajima, Gaëlle Riou, Elena Marzano, Candela Ebbesen, Anissa Bruley, Taisha Barton-Rowledge, Ksenia Abbazova, Alexis Oliveira, George Oliveira, Francesco Mariottini, Alvaro Prieto, Daniele Delvecchio, Michaël Grünecker, Simone Tribuna, Lennart Radtke, Koen Havenith, Benjamin Stone, Cristian Assis et Christian Tworzyanski. Jeudi 26 avril 2018. Les Ballets de Monte-Carlo sont à voir au Théâtre de Chaillot avec Le Songe de Jean-Christophe Maillot du 8 au 15 juin.