Certificat d’interprétation 2018 Danse classique et contemporaine – CNSMDL
Au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Lyon (CNSMDL), le plus gros des épreuves du Certificat d’interprétation danse intervient à la fin de la troisième année (sur quatre ans que dure la formation). Pendant deux jours, les élèves des classes de danse classique et danse contemporaine montrent au jury une variation imposée, une variation libre, un pas de deux et une variation contemporaine (pour les classes de danse classique), un duo et une variation classique (pour les classes de danse contemporaine) ainsi qu’une création personnelle. Deux jours intenses, qui permettent de voir aussi bien le niveau que la personnalité des élèves.
Le jury était composé de Davy Brun (président du jury), Pierre Advokatoff, Bernard Baumgarten, Guiseppe Chiavaro et Thomas Guerry.
Section danse classique
Tout démarre au Théâtre Karavan, dans la banlieue de Lyon. Il y a cinq filles et quatre garçons. Au CNSMDL, les élèves sont avant tout polyvalents, certaines promotions sont donc plus classiques – ou néo-classiques – que d’autres. Cette promotion est plutôt dans la deuxième catégorie, ce qui explique des notes un peu plus basses que pour la section contemporaine – les notes s’y situent plus entre 11 et 13, alors que la moyenne des élèves de danse contemporaine tourne autour de 14.
Chez les filles, Zoé Laknati est arrivée en tête, suivie de Carla Assié, Inès Hadj-Rabah, Louise Leguillon et Rose Fontenas. Un classement qui reflète plutôt bien les variations libres (je n’ai pu voir les variations imposées, Sylvia Pizzicati de George Balanchine). Avec un extrait de 27’52” de Jiří Kylián, Zoé Laknati a montré une forte personnalité scénique et beaucoup de précision. Carla Assié s’est bien sortie de sa variation de la Claque de Raymonda, vraiment pas facile techniquement. Même si elle a eu du mal à tenir sur toute la durée de la variation, Louise Leguillon a proposé un très bel engagement sur Solo for Two de Mats Ek.
Pour les garçons, Julien Klopfenstein est arrivé en tête, suivi de très près par Sami Gossart, Denis Cabrol et Grégoire Manhès. La variation imposée était celle du Grand Pas de Paquita. Pour les variations libres, les élèves ont puisé dans un répertoire assez varié. Julien Klopfenstein s’est clairement démarqué avec un solo créé par Raza Hammadi, une superbe danse intelligente et personnelle. Sami Gossart semblait un peu jeune pour l’Idole Dorée, mais il s’en est toutefois sorti avec les honneurs. Denis Cabrol avait fait un choix peut-être un peu trop ambitieux avec La Table verte de Kurt Joos, à l’inverse de Grégoire Manhès qui a su, avec un extrait de Tristant et Isolde de Joëlle Bouvier, se mettre en valeur.
Filles et garçons ont ensuite proposé un pas de deux, celui extrait de Coppélia de Marc Ribaud, plutôt bien exécuté dans l’ensemble. Carla Assié et Denis Cabrol formait un couple homogène, tout comme Louise Leguillon et Julien Klopfenstein. Zoé Laknati a montré encore une fois une très belle qualité de mouvement, mais son partenariat était un peu plus déséquilibré. Elle reste toutefois celle qui a eu la meilleure note. Les filles ont dans l’ensemble étaient mieux récompensées que les garçons. Place enfin, pour terminer la journée, à la variation contemporaine, une chorégraphie faite par leur professeure Juliette Beauviche sur une musique de Led Zeppelin. Un solo très agréable à voir dans l’ensemble, montrant la vraie polyvalence de cette classe de danse classique. Même si, musicalement, la variation n’était pas évidente à placer, avec des repères rythmiques qui pouvaient être flous et un groove qu’il fallait choper pour apporter toute sa dimension à la variation. Techniquement, cela n’a posé de difficulté à personne, les élèves qui se sont démarqués dans cet exercice sont ceux et celles qui ont réussi ce travail de musicalité. Zoé Laknati et Inès Hadj-Rabah sont arrivées confortablement en tête sur les notes. J’ai pour ma part bien apprécié le travail de Denis Cabrol et Julien Klopfenstein, qui proposaient beaucoup d’engagement et de personnalité.
Section danse contemporaine
Huit élèves pour cette promotion – Sophie Billon, Yannis Brissot, Louna Delbouys-Roy, Julien Gadaut, Nangaline Gomis, Julien Meslage, Alexandre Nodari et Simon Arson – et vraiment un niveau excellent. Avec leurs différentes propositions, les trois filles cinq garçons ont montré l’étendue de leur personnalité, leur technique et leur polyvalence, atouts indispensables pour une vie professionnelle de danseur et danseuse. Les notes étaient très serrées, sept étudiant.e.s se situaient entre 14,16 et 14,87. Le jury a mis au-dessus Julien Meslage, j’ai pour ma part beaucoup apprécié les propositions de Yannis Brissot ou Sophie Billon.
La variation imposée a été très agréable à regarder dans l’ensemble, une chorégraphie de Kenji Takaji sur une musique d’Amy Winehouse – merci de ce choix séduisant lorsqu’il faut en voir huit à la suite. Le choix des variations imposées était un peu plus curieux, avec finalement peu de pièces de répertoire mais quelques créations, et donc un niveau chorégraphique un peu plus aléatoire. Yannis Brissot a eu la meilleure note, et ce n’est pas étonnant : sa reprise de l’exigeant P=Mg de Jann Gallois était magnifique, interprétée avec beaucoup de puissance et de maturité. Julien Meslage a lui aussi fait un choix pas facile avec une re-création de Dai Jian, très technique, même si personnellement, je suis moins entrée dans l’esprit de la pièce. Sophie Billon a proposé un joli travail sur Littéral de Daniel Larrieu, avec une belle intelligence du mouvement. Louna Delbouys-Roy séduit par sa présence, même si Saute, nom de Dieu ! de Bérangère Bodin (une création) était un peu facile, tout comme Alexandre Nodari et la création de Damiano Ottavio Bigi.
Le duo était un extrait de Radioscopies de Michèle Noiret, un morceau pas évident faisant surtout appel à l’interprétation. Et pas facile de garder une même intensité sur un extrait finalement assez long. Sophie Billon et Simon Arson se sont démarqués avec une vraie complicité en scène. J’ai aussi apprécié le travail de Nangaline Gomis, à la présence solaire en scène. Même si, pour moi, ce duo ne permettait pas forcément aux élèves de se démarquer. Place enfin à la variation classique, la même pour les filles et garçons, conçue par leur professeur Pierre Darde. Et l’on voit tout de suite, rien qu’à la tenue, ceux et celles qui ont un peu de mal à assumer de mettre des demi-pointes. Un message pour les filles d’ailleurs : soyez-en convaincues, un justaucorps noir et un shorty vous mettront toujours bien mieux en valeur qu’une jupe à fleurs H&M. Chez les garçons, il y avait ceux qui avaient choisi avec intelligence le pantalon jazz et la chemise ajustée, et ceux qui venaient avec un jean et un chemise large. Alors que tous et toutes se sont sortis très honorablement de cette variation, montrant que la polyvalence était aussi présente chez eux. Même si l’on sentait bien ceux et celles qui avaient démarré leur apprentissage de la danse par le classique, et ceux et celles qui l’avaient découvert en arrivant au CNSMDL.
Les compositions personnelles
Après cette journée dense, tout le monde se retrouve le lendemain dans les studios lumineux du CNSMDL, pour les compositions personnelles. Une matinée riche, très instructive, où chacun et chacune a pu montrer sa personnalité d’artiste. L’épreuve de composition personnelle fait parfois un peu figure de gadget. Pas ici, où l’on sent que les élèves ont très tôt été sensibilisés à cette pratique, avec un vrai travail sur la construction et le propos. Beaucoup ont aussi choisi de travailler avec leurs camarades musicien.ne.s ou compositeur.rice, ce qui n’a rendu que plus agréable cette matinée de présentation.
La section danse classique avait pour thème “À partir de vos connaissances acquises tout au long de votre cursus, vous mettre en perspective les particularités de la codification du langage classique (qui nourrissent votre imaginaire et votre créativité) en vous appropriant une oeuvre du XXe siècle ou une composition écrite du XXIe siècle“. Zoé Laknati est arrivée loin devant avec une composition autour d’Isadora Duncan (du moins de ce que j’en ai compris), une pièce surprenante et intelligente là-encore, même si la différence de note marquée avec les autres ne me semblait pas évidente. Inès Hadj-Rabah a proposé quelque chose de très cohérent autour du néo-classique. Elle n’est pas forcément une future chorégraphe, mais elle a proposé quelque chose en accort avec le thème, montrant toutes ses connaissances, la façon dont elle les a digérées, c’était très bien mené. Idem pour Sami Gossart, qui a travaillé sur l’évolution des pas baroques-classiques-hip hop, un exercice déjà vu mais mené avec beaucoup d’intelligence et de musicalité. Julien Klopfenstein a fait une référence un peu trop évidente au Faune, mais il y avait un bel effort de déconstruction, à creuser. Mon coup de coeur personnel revient à Grégoire Manhès, qui a proposé une création très personnelle non dénuée d’humour – et sur sa propre composition musicale – montrant là de véritables qualités de chorégraphe. À suivre !
La section danse contemporaine travaillait sur “Le Pouls de la Ville, le Pouls de la Vie“. Un thème plus ou moins visible selon les compositions. La meilleure note est revenue à celle de Simon Arson, avec logique. Le danseur a pris le thème au pied de la lettre : pour le voir, il fallait se mettre aux fenêtres du studio… Il se trouvait en face, sur l’une des routes qui monte à la Croix-Rousse. Simon Arson ne s’est pas contenté d’une performance, montrant une vraie proposition chorégraphique, mais s’amusant avec son environnement. Les voitures qui passent sont-elles là par hasard ou font-elles partie de la pièce ? Le danseur joue sur cette ambivalence jusqu’au bout, avec originalité et humour, sans oublier un vrai enjeu dramaturgique. Une réussite ! Yannis Brissot le suivait dans les notes, là encore sans fausse note. Une proposition plus conforme et dans le studio, mais très bien construite et inventive. J’ai apprécié aussi la proposition d’Alexandre Nodari, qui s’est servi avec intelligence et originalité de la technologie (le compositeur de sa musique jouait en direct par Skype).
Quelles que soient les notes, bravo à tous les élèves pour ces deux jours de danse riche et instructive. La plupart rejoignent l’année prochaine le Jeune ballet classique ou contemporain.