Decadance d’Ohad Naharin – Ballet de l’Opéra de Paris
Créé en 2000 par la Batsheva Dance Company pour fêter les dix ans de Ohad Naharin à la tête de la compagnie, Decadance se révèle un incroyable kaléidoscope de son œuvre et de son travail. Déjà au répertoire de différentes compagnies, elle fait désormais partie de celui du Ballet de l’Opéra de Paris interprétée par la jeune garde. Ce medley d’extraits de neuf pièces allant de 1992 à 2011 permet d’embrasser le style Gaga flamboyant du chorégraphe israélien. Le résultat a des airs de fête délicieusement euphorisante, jalonnée de clins d’œil au public. Reste à savoir si les danseurs et danseuses sont parvenus à se couler dans le style de Mr Gaga.
Il y a d’abord ce drôle de monsieur Loyal. Aurélien Houette en queue-de-pie qui énonce d’une voix drolatiquement mécanique les recommandations d’usage auxquelles tout spectateur et spectatrice est habitué. On sourit, on s’installe. “J’adore déconstruire et reconstruire mes pièces. Cela m’impose de soustraire du poids à leur structure ce qui me permet de leur faire prendre un nouvel essor, ou tout du moins un nouvel envol…“, explique Ohad Naharin à propos de ce projet. On lui sait gré de cette ambition, de cette volonté de sans cesse remettre l’ouvrage sur le métier, de rappeler que la danse est aussi affaire d’artisans qui cisèlent leurs œuvres sans les mettre sous cloche.
Ohad Naharin joue ainsi à nous faire passer par différents états émotionnels. La gravité succède à la légèreté dans Decadance. Si les duos montrent une danse ciselée et complexe, il excelle surtout dans les mouvements traversés par la fougue qui le caractérise. Comment ne pas être saisie par la puissance de la célèbre danse des chaises sur le Echad Mi Yodea, chant traditionnel de la Pâques juive. Assis en cercle, les danseur.eus.es en costumes noir et chemise blanche répètent ad libitum la même phrase chorégraphique en canon. Et crient à pleins poumons un même refrain en hébreu.
Si le chorégraphe s’amuse avec son propre répertoire, il s’amuse aussi avec le public. Jamais on n’aura demandé au public du Palais Garnier (attention spoiler) de monter sur scène. Même Jérôme Bel ne s’y est pas risqué ! Et il se prête de bonne grâce aux facéties du chorégraphe. Il faut dire qu’au-delà du procédé déjà usité ailleurs, l’ensemble dégage une émotion intéressante sur l’acte de création. Chaque danseur et danseuse doit s’adapter à son ou sa partenaire, les guider, les rassurer, les sublimer. Le mythique Sway de Frank Sinatra succède à une version électro de Somewhere over the rainbow. “When we dance, you have a way with me, stay with me, sway with me…“. Pour certain.e.s, l’exercice apparaît facile (Mademoiselle à la robe rouge et aux bottines noires, vous accrochiez tous les regards), pour d’autres, il faut aider à dépasser le doute pour atteindre le plaisir du lâcher-prise. Tous les interprètes ne semblent pas non plus comme des poissons dans l’eau face à ces contraintes.
Pour beaucoup des artistes (Sujets, Coryphées ou Quadrilles) choisis par Naharin, la technique Gaga a été une découverte. Approche novatrice du mouvement, elle bouleverse aussi le travail d’appropriation d’une chorégraphie. Il faut sans doute beaucoup plus de temps pour saisir les subtilités de cette technique, même pour une compagnie dont on attend d’elle qu’elle puisse s’adapter à tous les styles. S’ils s’en sortent sans trop d’encombres, aucune personnalité n’émerge vraiment, peut-être un peu plus chez les garçons, comme Simon Le Borgne ou Andrea Sarri. Le Ballet de l’Opéra de Paris fait le job, plutôt très bien sur certains extraits, il manque un tout petit peu de folie pour que l’arrimage soit complètement réussi.
Decadance d’Ohad Naharin par le Ballet de l’Opéra de Paris au Palais Garnier. Avec Marion Barbeau, Alice Catonnet, Aubane Philbert, Silvia Saint-Martin, Ida Viikinkoski, Katherine Higgins, Juliette Hilaire, Caroline Osmont, Camille de Bellefon, Célia Drouy, Marion Gautier de Charnacé, Clémence Gross, Héloïse Jocqueviel, Sofia Rosolini, See-Hoo Yun, Aurélien Houette, Pablo Legasa, Marc Moreau, Franceso Mura, Nicolas Paul, Jérémy-Loup Quer, Daniel Stokes, Simon Le Borgne, Hugo Vigliotti, Takeru Coste, Julien Guillemard, Antinin Monié et Andrea Sarri. Lundi 1er octobre 2018. À voir jusqu’au 19 octobre.