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En répétition – Une journée à l’Académie Princesse Grace

Au dernier Prix de Lausanne, sa variation de Kitri avait fait chavirer la salle : Marina Fernandes da Costa Duarte, 17 ans, avait raflé le Prix du public et la deuxième bourse d’étude. Cette jeune brésilienne est en dernière année à l’Académie Princesse Grace de Monaco. Cette école de danse classique connaît un nouveau souffle depuis que Luca Masala en est devenu le directeur artistique de l’enseignement et de la pédagogie en 2009, à la demande de Jean-Christophe Maillot. L’institution accueille 50 élèves au maximum, répartis sur cinq années d’étude, et vivant tous et toutes à l’Académie qui regroupe studios de danse, salles de classe et internat. Le résultat se voit : depuis quelques années, 100 % des diplîomé.e.s sont engagé.e.s dans une compagnie à la fin de leurs études. Comme toutes les écoles, l’Académie Princesse Grace prépare son spectacle de fin d’année, qui a lieu les 24 et 25 juin à l’Opéra de Monte-Carlo. Au programme : un pas d’adieux regroupant plusieurs pas de deux classiques et contemporains dansés par les dernières années, et une relecture d’Études, mélangeant là encore les styles et faisant danser tous les élèves. Danses avec la plume a suivi le temps d’une journée les élèves en pleine répétition. 

 

En cours de danse 

Mardi 13 juin. Les élèves ont quitté l’Académie Princesse Grace à 7h pour se rendre aux Ateliers des Ballets de Monte-Carlo. C’est là qu’ils répètent les ensembles du spectacle, qui demandent de vastes studios. Comme dans n’importe quelle école de danse, la journée démarre par un cours de danse classique, à 8h. Les 13-15 ans sont au vaste studio du sous-sol avec Thierry Sette, les 16-18 ans sont deux étages au-dessus avec Michel Rahn. Justaucorps noirs et chignon impeccable pour les filles, t-shirt et collant gris pour les garçons, l’uniforme est de rigueur. D’emblée, la qualité de mouvement d’ensemble frappe le regard, tout comme une certaine expressivité, dès les pliés à la barre. Les deux professeurs mélangent français et anglais dans leurs corrections pour des élèves qui viennent du monde entier. Placement et musicalité sont les maîtres-mots de la classe des plus jeunes, quand les plus âgé.e.s prennent plus de risques. Chez ces derniers, l’on reconnait Marina Fernandes da Costa Duarte, remarquée au dernier Prix de Lausanne, ou May Nagahisa, invitée à danser Manou dans La Bayadère au Mariinsky la saison dernière, et qui rejoindra dès la rentrée la célèbre compagnie russe. 

 

 

En répétition

9h45, place à la répétition d’Études. Tous les élèves se sont retrouvés dans le studio du sous-sol. Un rideau a été tiré face au miroir, un autre en fond de scène faisant office de loge. Pour le spectacle 2017, Luca Masala a repris la trame musicale de ce célèbre ballet mais en confiant les différents numéros à plusieurs chorégraphes et professeur.e.s, pour montrer ainsi toute la diversité des enseignements de l’école. Michel Rahn s’occupe de toute la partie classique, notamment le final. D’autres parties ont été confiées à Jeroen Verbruggen ou Jean-Christophe Maillot, aussi à trois étudiant.e.s de l’Académie qui ont travaillé pendant leurs ateliers de composition. Tous les élèves sont réunis, ce qui fait du monde dans le studio. “Soyez concentrés !“, lance Luca Masala qui dirige la répétition. 

La musique commence, le ballet démarre. Les élèves sont tous habillé.e.s en noir et blanc, le thème du ballet. Selon ce qu’ils ont à danser, ils changent de costumes rapidement (un tutu blanc pour le début, un short noir pour une partie plus contemporaine) derrière le rideau de fond de scène. Les marques pour délimiter la scène sont collées au sol. Le placement est d’ailleurs la grande question de cette répétition. Michel Rahn n’interrompt pas les élèves pendant le filage, mais multiplie les gestes pour déplacer une ligne ou recadrer un groupe par rapport au centre. Chacun connaît bien sa partie, mais faire danser tout le monde ensemble, c’est autre chose. “Ne soyez pas déconcentrés. Vous ne regardez pas une performance, vous faites une performance“, lance Luca Masala à quelques élèves sur le côté. “Ne restez pas assis. Réveillez votre corps, vos émotions : vous allez danser“. 

Comme en cours, la qualité globale du niveau des élèves est marquante, mais aussi leur certaine malléabilité : ils passent du classique au contemporain, des pointes aux chaussettes, du tutu romantique à une chorégraphie burlesque avec facilité. Surtout, chacun d’eux.elles montre une joie de danser, une envie de prendre certains risques. Les parties d’Études s’enchainent, Jean-Christophe Maillot se glisse dans le studio pour assister à la chorégraphie qu’il a créée pour un quatuor. “C’est la première fois que je fais quelque chose avec l’Académie“, explique-t-il. “Je ne veux pas cette ingérence de la compagnie sur l’école“. De fait, si l’Académie Princesse Grace dépend des Ballets de Monte-Carlo administrativement, elle reste indépendante artistiquement. Et si certains élèves signent un contrat avec la troupe monégasque à la fin de leurs études, la plupart vont plutôt voir ailleurs (Ballet de Bavière ou Ballet de Zurich cette année). “Cette école doit laisser les individus libres de penser, de se faire un esprit critique sur ce qu’ils dansent et ce qu’ils aiment“, résume le chorégraphe. May Nagahisa fait partie de ce quatuor, mais aussi une jeune fille moins avancée. “Je voulais prendre quatre danseur.se.s représentatif.ve.s du chemin à parcourir. Et d’arriver à les lisser pour qu’il n’y ait pas de ‘vedette‘”, explique Jean-Christophe Maillot. “Même si la plus accomplie tire vers le haut celle qui est en train d’avancer. Mais ce qui compte, c’est ce qu’on fait et la passion que l’on a et qu’on y met“.

 

Les différents chorégraphes d‘Études ont été libres de leur casting, après avoir vu les élèves pendant leur examen. De fait, les classes et âges sont mélangé.e.s. Et tout le monde est sur scène. “Ils méritent tous d’être là, et je suis très fier de ça“, appuie Luca Masala. “Il y a toujours des élèves mieux que d’autres, qui ont quelque chose de plus, qui ont de superbes capacités techniques. Mais tout le monde mérite d’être sur scène“.

Qui dit Études dit forcément final en feu d’artifice, avec manège de coupés-jetés pour les garçons et fouettés pour les filles, ce qui fait son petit effet. Mais pas de pluie de compliment à la fin du filage. “Attention au milieu“, la réflexion tombe dès que la musique se termine. Le ton de Michel Rahn ne plaisante pas, mais ça ne crie pas non plus dans le studio. Les élèves n’hésitent d’ailleurs pas à poser des questions. Les indications sont précises, ils sont considéré.e.s comme des professionnel.le.s. “Les corrections de la veille sur les placements ne sont pas appliquées. Vous ne prêtez pas assez attention aux autres. Si vous voulez danser en ligne, faites attention aux autres. Vous devez savoir danser en corps de ballet avant d’être soliste“, assène le professeur. Et à chacun de se débrouiller pour prendre son espace en scène. “Ce passage, tu le fais plus grand en remontant et plus petit en descendant“, explique Luca Masala à une jeune danseuse. “Et les autres, pendant les piqués, attention : il n’y avait plus les lignes !“. Le directeur est méticuleux sur tout, car le temps de répétition en scène sera court : leur troisième filage sera la répétition générale devant le public. Mais il s’avoue plutôt content du travail du jour : “Le filage de samedi dernier n’était pas bon. Ils n’y croyaient pas assez. Mais il faut y aller à fond, il faut que l’on voit leur plaisir, même si ce n’est pas parfait. Aujourd’hui, c’était mieux“. 

 

La Bayadère et danse contemporaine

13h30, retour à l’Académie Princesse Grace. Les 12 futur.e.s diplômé.e.s sont réparti.e.s dans les studios pour répéter leur différent pas de deux. Nous retrouvons May Nagahisa, qui danse l’adage final de La Bayadère avec un garçon aussi en dernière année. Le jeune couple, joli comme un coeur, file une fois le pas de deux avant de passer aux corrections, sous l’oeil attentif du maître de ballet. Ce dernier insiste beaucoup sur les intentions, la sensibilité du geste. Tu dois être dans ton personnage, tout de suite, dès que tu es en scène. Le public n’a pas à attendre, lance-t-il au danseur. “Et lorsque tu salues ta partenaire, tu en fais un mouvement dansé, mais tu dois parler avec. Ton expression est peut-être un peu trop concentrée. Lorsque tu la vois, ton regard s’allume, mais pas comme si tu voyais un cheesecake !“, appuie-t-il avec humour. Le professeur fait travailler quelques détails techniques dans les portés, ainsi que quelques poses stylistiques qui donne toute l’ambiance de La Bayadère, “Même si c’est court, je dois voir cette image. Tu dois occuper tout l’espace, va plus loin dans le mouvement“. Question de regards aussi, il s’agit de danser ensemble. Fin de la répétition au bout de 3/4 d’heure, le maître de ballet est plutôt content de ses élèves. “C’était très bien tous les deux, c’était un bon jour. Vous êtes bien plus ensemble“, encourage-t-il. 

 

Petit pause avant d’assister à une répétition d’un extrait de danse contemporaine d’Études… Et toujours avec la jeune May Nagahisa, décidément très demandée. La chorégraphie sur pointes demande une technique très différente, avec beaucoup de dissociations du geste et de rapidité sur la musique. Le chorégraphe fait travailler à chacune des quatre filles sa phrase musicale, avant de leur faire refaire toutes ensemble. “Il y a chez eux une disponibilité et une capacité à recevoir très impressionnante“, souligne Jean-Christophe Maillot, sur la malléabilité des élèves. “J‘ai à cœur de montrer sur scène tout ce que l’on fait. Et montrer le professionnalisme que je demande dans cette école“, continue Luca Masala.On traite les élèves comme des professionnels, et c’est ce que toutes les écoles devraient faire.

Le programme pour les dix jours à venir jusqu’au spectacle est intense pour les élèves. Et pour son directeur aussi. Son souci jusqu’à la scène : garder l’énergie du début. “Les élèves vont filer le spectacle, le filer encore et encore. Ils vont s’habituer à le faire et cette passion va manquer. Il va falloir la garder“, explique-t-il. “C’est un peu difficile à leur expliquer car ils ont des maturités différentes, un garçon de 14 ans ne réagit pas comme un garçon de 18 ans. Il y aura des choses difficiles à faire sur scène. Mais si j’arrive à leur faire garder cette passion, cette envie, c’est bon“. Pour les élèves, l’expérience de scène est indispensable, elle l’est tout autant pour les professeur.e.s. “Nous voyons des élèves très bien en studio mais ne pas psychologiquement y arriver sur scène. Cela nous montre, à nous,  comment s’améliorer pour encore mieux les former. Et comment les aider à battre leur ennemi principal : eux-mêmes“.

 

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