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Roméo et Juliette de Kenneth MacMillan : un ballet mythique fête ses 50 ans

Roméo et Juliette de Kenneth MacMillan fête cette année ses cinquante ans. Pour l’occasion, le Royal Ballet de Londres rend hommage à une pièce majeure de son répertoire, devenue emblématique de la compagnie. Du 19 septembre au 2 décembre 2015, de nombreuses représentations sont données au Royal Opera House, dont celle du 22 septembre qui a été retransmise en direct au cinéma. Roméo et Juliette est bien sûr d’abord, de par son intrigue shakespearienne, une tragédie. Mais il s’est aussi érigé en mythe, en oeuvre classique. Comment cette version de Kenneth MacMillan est-elle devenu un ballet mythique ?

Romeo and Juliet de Kenneth MacMillan - Rudolf Noureev et Margot Fonteyn (1965)

Roméo et Juliette de Kenneth MacMillan – Rudolf Noureev et Margot Fonteyn (1965)

Une création mouvementée

Quand on parle de Roméo et Juliette de Kenneth MacMillan, ce sont aussitôt les figures de Rudolf Noureev et Margot Fonteyn qui surgissent. Immortalisé-e-s par la magnifique version filmée de Paul Czinner, ce n’étaient pourtant pas les interprètes prévu-e-s au départ. En 1965, le Roméo et Juliette russe (1940), chorégraphié par Leonid Lavrovski et pour lequel le livret de Serge Prokofiev a été écrit, a déjà rencontré un succès triomphal à Londres. Le Royal Ballet désire posséder sa propre version, et Frederick Ashton refuse de remonter celle qu’il avait créée en 1955. Kenneth MacMillan s’attelle alors à la tâche. En à peine cinq mois, il crée son premier ballet narratif en trois actes, avec les danseur-se-s Lynn Seymour et Christopher Gable. Ensemble, les trois artistes nourrissent la pièce de leur lecture de Shakespeare, de leur expérience vécue et de leurs réflexions sur le sentiment amoureux. Mais à leur consternation, Lynn Seymour et Christopher Gable doivent rapidement transmettre le ballet, avant même de l’avoir dansé, à Margot Fonteyn et Rudolf Noureev : la production les a choisi-e-s pour la première en raison de leur popularité, afin d’assurer un succès immédiat à la pièce ! Lynn Seymour et Christopher Gable ne danseront pas non plus pour la version filmée.

Romeo and Juliet en répétition - Kenneth macMillan, Rudolf Noureev et Margot Fonteyn

Roméo et Juliette en répétition – Kenneth macMillan, Rudolf Noureev et Margot Fonteyn

Des interprètes légendaires

Et la première de Roméo et Juliette est effectivement un triomphe, avec 43 rappels ! Lynn Seymour et Christopher Gable ne sont pas moins acclamé-e-s dans les représentations qu’ils dansent en tant que seconde distribution. La chorégraphie de Kenneth MacMillan, mise en valeur par les costumes et décors somptueux de Nicholas Georgiadis, réserve des variations magnifiques aux danseur-se-s solistes, tant dans les soli que les pas de deux. Aussi sera-t-elle portée par des interprètes de grand talent, qu’elle a, en retour, institué-e-s en couples légendaires.  Anthony Dowell et Antoinette Sibley, Ivan Nagy et Gelsey Kirkland, Carlos Acosta et Tamara Rojo sont quelques-uns de ces couples. À Londres cette année, Roméo et Juliette sont Steven Mcrae et Sarah Lamb, ou Matthew Ball et Yasmine Naghdi.

Romeo and Juliet de Kenneth MacMillan - Christopher Gable et Lynn Seymour (1965)

Roméo et Juliette de Kenneth MacMillan – Christopher Gable et Lynn Seymour (1965)

La vidéo a également joué un grand rôle dans la popularité de Roméo et Juliette. Tournée en 1966, la version de Paul Czinner tient du ballet autant que du film, et rappelle à certains moments West Side Story de Jerome Robbins et Robert Wise (c’est aussi la même histoire !). Kenneth MacMillan professait une esthétique réaliste, tant dans la représentation de la société d’une certaine époque que dans l’investigation psychologique, et la caméra rend parfaitement cela. Ce film est le témoin d’une époque : celle du triomphe du couple légendaire formé par Rudolf Noureev et Margot Fonteyn, à la différence d’âge presque invisible ; une époque où l’on tournait des films, et pas simplement des captations, à partir des ballets. Dans le DVD français de 2014, produit par Elephant Films, Nicolas le Riche commente le ballet de manière passionnante.

La deuxième version filmée date de 1984. Wayne Eagling et Alessandra Ferri incarnent leurs rôles très différemment de Rudolf Noureev et Margot Fonteyn. Il vaut la peine de comparer ces deux versions : ce qui fait de ce ballet un classique, c’est aussi que son interprétation est inépuisable.

Deux versions filmées de Romeo and Juliet de Kenneth MacMillan : de 1966 et de 1984

Les deux versions filmées de Roméo et Juliette de Kenneth MacMillan : de 1966 et de 1984

Un ballet charnière dans l’histoire de la danse

Roméo et Juliette est un des points d’apogée d’une période où fleurissent, en Angleterre et en Allemagne, les ballets narratifs en trois actes, inspirés de pièces majeures de la littérature occidentale. Tout un répertoire (néo)classique que la France ne découvrira que bien plus tard… John Cranko avait déjà créé son Romeo und Julia en 1962 pour le Stuttgarter Ballett, et John Neumeier créera le sien en 1971 pour le Frankfurter Ballett. Cette veine (néo)classique privilégie les intrigues amoureuses, souvent traitées de manière linéaire, et l’innovation chorégraphique est la plupart du temps à trouver dans des pas de deux au lyrisme exaltant.

Dans cette tradition en train de se créer, rechorégraphier la même intrigue devient un défi, l’occasion pour chaque chorégraphe d’affirmer son originalité et son apport propre au ballet classique. Le Roméo et Juliette de Kenneth MacMillan est particulièrement réussi, et notamment ses pas de deux, véritables morceaux de bravoure où la virtuosité est toujours au service de l’investigation psychologique et de l’impact émotionnel. La représentation de ces pas de deux lors des galas, et d’abord de la fameuse scène du balcon, a encore contribué à la notoriété du ballet.

Rudolf Noureev a créé en 1977 sa propre version de Roméo et Juliette, que l’on pourra voir à l’Opéra Bastille du 19 mars au 16 avril 2016. En s’inspirant de Kenneth MacMillan, pour mieux s’en détacher.

Le style Kenneth MacMillan

Avec son premier ballet narratif en trois actes, Kenneth MacMillan a d’emblée créé un chef-d’oeuvre. À son habitude, il commença par chorégraphier les pas de deux, puis les soli et petits ensembles, et enfin les grands ensembles. Et si l’intensité de Roméo et Juliette culmine dans ses pas de deux, le travail de mise en scène du corps de ballet est impressionnant : le plateau foisonne de saynètes aux tonalités variées, qui incorporent des danses de tous styles – dans la lignée de Marius Petipa, qui voulait faire du ballet classique un creuset de toutes les danses. Le Royal Ballet sait parfaitement rendre vivantes ces scènes de groupe.

C’est dans les pas de deux cependant que le style de Kenneth MacMillan est le plus visible. Il y en a quatre principaux dans Roméo et Juliette, qui explorent, entre naturalisme et symbolisme, la force extatique d’une passion amoureuse au destin tragique. Comme dans L’Histoire de Manon, le chorégraphe met l’héroïne au centre de son ballet, et donc la danseuse au centre des pas de deux. Dans une superbe série de photographies, Max Waldman rend toute l’intensité de ces pas de deux, interprétés par Ivan Nagy et Gelsey Kirkland.

Romeo and Juliet de Kenneth MacMillan - Ivan Nagy et Gelsey Kirkland (1976)

Roméo et Juliette de Kenneth MacMillan – Ivan Nagy et Gelsey Kirkland (1976)

Avec les 50 ans de Roméo et Juliette, le Royal Ballet fête aussi l’un des plus grands chorégraphes de son répertoire, et toute une partie de l’histoire du ballet au XXe siècle. Qu’appelle-t-on un classique en danse, cet art éphémère par excellence ? Peut-être une oeuvre à l’esthétique innovante, ne pouvant être immortalisée que sous forme de traces (photographiques, filmiques, écrites…), mais qui perdure par les danseur-se-s et chorégraphe qu’elle continue à inspirer. Et qui nous permet d’investiguer notre imaginaire artistique, nos mythes contemporains.

Romeo and Juliet de Kenneth MacMillan par le Royal Ballet (2015)

Roméo et Juliette de Kenneth MacMillan par le Royal Ballet (2015)

Pour aller plus loin

Le site du Royal Opera House a mis en ligne pour l’occasion de nombreux articles sur Roméo et Juliette : l’histoire de sa création, les costumes, l’explication de certaines variations, des captations de répétitions…

Le Guardian a publié une belle série de photos sur les interprètes légendaires de Romeo and Juliet.

Le site officiel de Kenneth MacMillan est une mine d’informations sur ses ballets, leur histoire et leur esthétique.

Dans Histoires de gestes, Christine Roquet livre une très belle analyse des portés de Romeo and Juliet.

 

 

Commentaires (1)

  • GUILLOUARD PATRICK

    Remarquable synthèse.Comme de coutume.

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