Isabelle Ciaravola, les adieux d’une Étoile
Ecrit par : Amélie Bertrand
Une lettre qui se déchire. Un geste impérial intimant l'ordre de partir. Un homme qui s'enfuit. Une femme au regard éperdu qui tombe à genoux de désespoir. Une seconde de silence. Et 30 minutes d'ovation, debout, des étoiles dorées scintillant dans les cintres. Le 28 février, après un dernier Onéguine, Isabelle Ciaravola a fait ses adieux à la scène.
Et cette soirée lui a ressemblé. D'abord une superbe représentation, de celle qui fait monter les larmes aux yeux, en osmose avec son partenaire. Puis des saluts extrêmement chaleureux, simples quelque part, montrant si bien l'attachement qu'avait le public pour cette Étoile à part. Isabelle Ciaravola a longuement salué avec Hervé Moreau, a remercié la troupe, a ramassé les multitudes de bouquets qui tombaient sur scène, beaucoup composés de roses blanches, ses fleurs préférées. Elle a pris dans ses bras Karl Paquette et a fait venir sur scène Mathieu Ganio, ses deux autres grands partenaires. Elle a salué Brigitte Lefèvre, Pierre Lacotte ou Ghislaine Thesmar.
Les lumières se sont rallumées, mais le public a continué d'applaudir. C'était les pleins feux, dans la salle et sur scène. D'un côté, le public debout. De l'autre, une Étoile un bouquet de fleurs dans les bras, couverte de paillettes dorées, regardant intensément le public. 5, 10 30 minutes ? Une heure ? Cela aurait pu durer indéfiniment, chacun savourant l'instant, la danseuse comme les spectateurs et spectatrices. Chacun se remerciant mutuellement. L'envie d'applaudir, encore et encore, pour dire bravo à cette prestation et cette carrière. Et ne pas s'arrêter, parce qu'une fois le rideau tombé, ce sera terminé.
Isabelle Ciaravola a eu une carrière d'Étoile courte, mais elle avait une place toute particulière dans le coeur du public. Peut-être parce qu'elle dansait des rôles un peu différents des autres. Peut-être parce qu'elle a toujours gardé cette certaine proximité et accessibilité avec le public. Aujourd'hui, certaines Étoiles ne font pas forcément l'unanimité. Isabelle Ciaravola a été nommée tardivement, elle ne dansait pas tous les rôles classiques, elle n'avait pas une technique infaillible. Pourtant, personne, pas une seule fois, n'a contesté cette nomination qui arrivait comme une évidence. "Je suis toujours montée sur scène en étant Étoile dans ma tête", racontait Isabelle Ciaravola. C'est peut-être ça. Elle fait partie de ces artistes qui ont une aura particulière, qui ont ce rayonnement, ce soleil en scène. Et malgré ce parcours atypique, elle restait l'Étoile de Paris la plus brillante (et sûrement la plus reconnue) à l'étranger, avec Mathias Heymann ou Mathieu Ganio.
Tatiana, Manon, Marguerite, Juliette, Giselle... Isabelle Ciaravola brillait dans les rôles dramatiques. Pendant son court étoilât, elle a eu l'intelligence de choisir ses rôles, de dire non à certaines choses pour se concentrer sur les ballets qui lui allaient vraiment. Elle a cette justesse d'interprétation, ce sens de la tragédie, du partenariat, de savoir raconter une histoire. Son départ laisse un vide, d'abord parce qu'elle est une artiste à part, mais aussi parce qu'aujourd'hui, on ne voit pas très bien qui pourrait prendre sa relève. L'Histoire de Manon est repris la saison prochaine et le fossé semble déjà se dessiner entre ce qu'elle a donné dans ce ballet, et ce que va faire la jeune génération. Il n'y avait qu'elle pour danser ce genre de répertoire, qui compte beaucoup aujourd'hui à l'Opéra de Paris. Aux plus jeunes, maintenant, de se révéler.
Après la représentation, place aux discours. Dans le Grand Foyer, Isabelle Ciaravola s'est fait remettre la Légion d'honneur par Brigitte Lefèvre visiblement émue. L'Étoile était vêtue d'une magnifique robe de bal, dont le rouge de la décoration brillait particulièrement sur le bustier noir. Ce qui n'a pas empêché la danseuse de garder toute sa spontanéité. Dans un discours improvisé sur l'instant, Isabelle Ciaravola a remercié ses parents "de coeur" (Elisabeth Platel et Éric Vu-An) et ses "parents de sang", José Martinez pour Les Enfants du Paradis, beaucoup d'autres. Tout en plaisantant, entre deux remerciements, sur ses chaussures à talons auxquelles elle n'était pas habituée. Toute la compagnie était là, la saluant chaleureusement. Isabelle Ciaravola s'est ensuite pliée de bonne grâce aux photos et dédicace, jusqu'à plus de minuit. Le Palais Garnier, vide, résonnait encore des applaudissements.
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