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[Circa] L’Absolu et le Red Haired Men, le vertige et l’absurde

Chaque année, le festival Circa réunit pendant une dizaine de jours, dans la petite ville d’Auch, tout ce qui fait le cirque en Europe. Nouveau cirque, spectacles plus traditionnels, têtes d’affiche, jeunes talents, expérience… Une journée à Circa, c’est faire des sauts dans des spectacles de tous styles et tous genres, et le plaisir de spectacteur-rice est justement là. Cette 31e édition ne fait pas exception, où DALP se pose pendant deux jours. Au programme de cette première journée : L’Absolu de Boris Gibé, spectacle étonnant visuellement et très marquant, qui vous transporte dans un autre monde, ou Red Haired Men d’Alexander Vantournhout, soit tout le surréalisme de la vague belge. 

Red Haired Men

S’assoir pour découvrir le spectacle L’Absolu de Boris Gibé, par la compagnie Les Choses de Rien, c’est déjà tout un cheminement. Le chapiteau est ici un haut silo de tôle ondulée. À l’intérieur, le public grimpe le long de deux escaliers en colimaçon le long des murs et s’installe sur des sièges faisant face au centre du silo. La lumière est faible, avant que le noir complet ne s’installe. Nous sommes déjà dans un autre monde. Et c’est justement le but du performeur Boris Gibé : nous faire partir très loin, dans une ambiance angoissante – parfois trop pour certain.e.s tellement les effets sont réussis – en tout cas dans quelque chose de fascinant et de totalement surprenant

Où sommes-nous d’ailleurs ? Cela change pendant une heure, grâce au formidable travail de lumières qui crée des ambiances différentes. Nous sommes parfois sous l’eau revisitant le mythe de Narcisse, parfois en Enfer. Ou tout simplement dans la tête du seul et unique personnage en scène, dans ses cauchemars, son inconscient, ses pensées troubles. La scène, c’est le silo, de haut en bas. Boris Gibé est parfois perché en haut, parfois acculé au sol, souvent entre les deux à défier la gravité. Il est un homme voulant entrer dans cet espace, puis voulant en partir, parfois voulant y survivre. En haut, une bâche installée au début joue de la lumière et de l’eau. En bas, un long entonnoir aspire des kilos de sables – et le personnage lui-même comme attiré par ses pensées sombres -, puis déverse de la brume, devient tangible ou imperméable. Le travail technique est ici fabuleux (et il ne se voit pas), fabriquant un monde mouvant et transformiste, captivant. Le personnage n’est ainsi pas celui qui crée ces univers, mais celui qui navigue dedans, souvent prisonnier, comme une bille naviguant au gré des éléments, avant de s’y faire. Et non pas de dominer cet environnement, mais en tout cas de s’y habituer et d’apprendre à s’y mouvoir de plein gré. 

L’Absolu

Une parole, parfois, se fait entendre. À vrai dire bien inutile (pour nous expliquer où nous sommes), parfois abscons (sommes-nous vraiment des êtres libres ? Vous avez deux heures). Comme si le comédien voulait être sûr de bien guider le public et qu’il sache où il se trouve. L’objet scénique est pourtant suffisamment fort pour chacun et chacune puisse décider de l’endroit où il.elle se trouve en fonction de son imagination. Cette superbe scénographie prend aussi – forcément – le pas sur le travail physique, contorsion et équilibre ici. Une meilleure balance serait peut-être à trouver. Mais au fond, c’est un peu pinailler. Car L’Absolu est un morceau de spectacle vivant totalement unique et étonnant, et qui remplit la mission première du cirque : nous emmener ailleurs. 

Red Haired Men

Autre monde aussi avec Red Haired Men d’Alexander Vantournhout. Mais dans un tout autre genre : bienvenu dans le surréalisme belge. Alexander Vantournhout est catégorisé “cirque”, il se case cependant sans mal dans la catégorie de la nouvelle vague de chorégraphes belges, misant sur l’absurde et la théâtralisation du geste (l’artiste est d’ailleurs passé durant sa formation par P.AR.T.S., l’école de danse contemporaine d’Anne Teresa de Keersmaeker). L’inspiration du spectacle est néanmoins russe, puisque basé sur les textes de Daniil Harms, poète de l’absurde de l’avant-garde soviétique des années 1920. Aficionados du Théâtre de la Ville, vous allez aimer ! Même si le début est un peu la caricature du genre. Tout est mêlé sans fond apparent : le théâtre, l’absurde, un homme nu (faussement puis vraiment), Dupont et Dupond récitant un poème, la contorsion. Du surréalisme, oui, en évitant le sans queue ni tête. Cela provoque en tout cas des réactions contrastées dans le public toujours savoureuses à observer, entre ceux et celles qui s’en vont en claquant leur siège, faisant bien comprendre qu’ils n’aiment pas qu’on se moque d’eux, et ceux et celles qui pleurent de rire face à ce qui se passe en scène.

La deuxième partie se catalyse cependant, quand commence à résonner les variations de Mozart sur Ah ! vous dirai-je, maman. Sans perdre le ton de l’absurde, le quatuor en scène se lance dans une chorégraphie mêlée d’acrobatie. Il y a le fou-lunaire, son pendant l’homme raisonné et les Dupont-Dupond. Et ces quatre-là s’entendent plutôt bien, arrivant finalement à apporter l’audience dans leur surréalisme. La veine belge dans la danse comme dans le cirque, on l’adore ou on la déteste, elle ne laisse en tout cas personne indifférent dans la salle. 

Red Haired Men

 

L’Absolu de et avec Boris Gibé par la compagnie Les Choses de Rien à la Caserne Espagne ; Red Haired Men d’Alexander Vantournhout à la Salle Bernard Turin, avec Alexander Vantournhout, Ruben Mardulier, Axel Guerin et Winston Reynolds. Lundi 22 octobre 2018 dans le cadre du Festival Circa. Circa continue jusqu’au 28 octobre.

L’Absolu par la compagnie Les Choses de Rien, à voir à la Biennale des arts du cirque de Marseille en janvier 2019, en tournée en en France de janvier à mai 2019, dont le Théâtre de la Cité à Paris en mai

Red Haired Men d’Alexander Vantournhout, à voir en tournée en France et en Belgique du 26 octobre 2018 au 15 mai 2019, aux Subsistances de Lyon le 22 mars

 

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