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Théâtre de Nîmes – Les chefs-d’oeuvre de Trisha Brown en cadeau avant fermeture

Si  tout cela n’était pas arrivé, si la vie d’avant avait continué, la Trisha Brown Dance Company poursuivrait ces jours-ci sa tournée en France pour célébrer avec le public le 50ème anniversaire de la fondation de la troupe par la chorégraphe américaine, disparue en 2017, figure emblématique de ce qu’on appelle la post-modern dance. Mais le Théâtre de Nîmes fut la seule et unique étape de cette tournée, alors que le rideau s’est abaissé dans les théâtres du monde entier et que personne aujourd’hui ne sait quand ils pourront rouvrir. Reste le souvenir d’une soirée grandiose et d’autant plus émouvante que chacun.e pressentait déjà que ce serait la dernière avant longtemps.

Foray Foret – Trisha Brown Dance Company

Il y avait sur Nîmes ce mercredi 11 mars une délicieuse douceur printanière, comme une avant-garde des beaux jours et leurs promesses de terrasses paresseuses. Pourtant, on perçoit dans l’air une inquiétude qui flotte : le train qui file de Paris vers Nîmes est presque vide, la gare semble désertée et on y croise quelques voyageurs à la recherche d’un train avant que le monde ne soit sous cloche. Au bar de la salle Bernadette Lafont, on se rassemble avant le spectacle. Le directeur François Noël affiche une fausse sérénité : la salle contient moins de 1.000 places et l’on est sauvé pour cette fois. Mais chacun pressent que quelque chose de terrible et d’inédit pour le monde du spectacle se profile. Le président de la République doit parler le lendemain à la télévision et les nouvelles de l’Italie voisine ne sont pas bonnes. Autour d’un verre, on échange les dernières informations et on tente de se rassurer. Pour l’heure, il est encore temps de se délecter de ce cadeau du ciel : une mini anthologie à trois pièces de Trisha Brown, présentées de la plus récente à la plus ancienne. Cette vision à rebours démontre l’intégrité artistique de la chorégraphe américaine qui suit le sillon qu’elle a creusé en cherchant toujours de nouvelles pistes, affichant une constante fidélité à ses collaborateurs fétiches dont le peintre Robert Rauschenberg.

C’est lui qui a créé la scénographie et les costumes de Foray Foret (1990), pièce pour neuf interprètes. Cette oeuvre tardive de la chorégraphe est d’une finesse inouïe. On identifie immédiatement le vocabulaire de Trisha Brown avec les bras tendus en arabesque penchées, les départs en canon refusant radicalement toute symétrie au profit d’un désordre parfaitement  organisé. Si les costumes débordent de motifs, la musique semble absente jusqu’au moment où l’on perçoit au loin les échos d’une fanfare qui ne cessera de bouger. Où est-elle, cette musique qui nous parvient au lointain ? En coulisses, dans les couloirs du théâtre, côté cour ou jardin ? Elle semble tourner tout autour de nous quand sur scène, les neuf danseuses et danseurs lui sont comme indifférents. Dans chaque théâtre et dans chaque pays un nouveau groupe musical. François Noël avait choisi la Peña Camargua, musiciens de la régions nîmoise qui sait enflammer les ferias et qui a enchanté la danse de Trisha Brown, jouant de ce décalage entre geste et musique.

Working Title – Trisha Brown Dance Company

Dans cette machine à remonter le temps dans l’oeuvre brownienne,Working Title (1985 ) est une pièce  autobiographique sur la musique de Peter Zummo, dans laquelle la chorégraphe s’est souvenue de son enfance lorsqu’elle “courait à travers la forêt sur de la mousse et de la boue et du bois dur et du bois pourri. Si vous allez vite, il vous suffit de choisir où vous pouvez placez vos pieds”. La pièce pour huit danseuses et danseurs transfère cette idée sur le plateau, avec encore les bras qui assurent l’équilibre quand les pieds se soulèvent, glissent et trouvent leurs points d’appui. Les costumes acidulés d’Elisabeth Cannon ajoutent encore à la gaieté empreinte de nostalgie qui émane de Working Title.

Dernière escale de ce parcours en 1983 avec Set and Reset, chef-d’oeuvre de Trisha Brown qui réunit autour d’elle le plasticien Robert Rauschenberg et la musicienne Laurie Anderson. C’est la pièce la plus complexe et totalement envoûtante de la chorégraphe. En surplomb, un parallélépipède jouxté de deux pyramides qui servent d’écran pour la projection d’images en noir et blanc. Des trains, des avions, des voitures ou des paysages industriels y défilent alors que le groupe de sept danseuses et danseurs occupent l’espace en dessinant des duos ou des trios, où simplicité et fluidité sont les consignes. Leurs costumes ont le même grain que les images projetées fondant une unité sur scène. Trisha Brown à son sommet.

Tout le monde se retrouve danseurs, danseuses, musiciens et musiciennes, public, autour d’un verre au Bar du Théâtre. On félicite, on congratule. On salue François Noël qui a lié avec la compagnie de Trisha Brown des liens étroits  et qui participe à cet hommage en la programmant régulièrement. Carolyn Lucas, qui défend l’oeuvre de Trisha Brown et veille à son héritage artistique, sourit même si on y perçoit l’inquiétude. On veut y croire mais on pressent  déjà que la longue nuit de l’isolement et de l’ennui menace le monde. On se dit que l’on se verra au Théâtre de Chaillot sans vraiment y croire. Le lendemain, le rideau se referme à Nîmes et partout en France pour de longues semaines. Ce cadeau posthume de Trisha Brown nous aidera à tenir.

Set and Reset – Trisha Brown Dance Company

Les 50 ans de la Trisha Brown Dance Company au Théâtre de Nîmes. Foray Foret, Working Title, Set and Reset de Trisha Brown par Cecily Campbell, Kimberly Fulmer, Leah Ives, Amanda Kmett’Pendry, Kylie Marshall, Patrick McGrath, Jamie Scott, Stuart Shugg et Jacob Storer. Mercredi 11 mars 2020. 

La pièce Foray Forêt est à revoir jusqu’au 7 avril en ligne, parmi une programmation de spectacles en streaming du Théâtre de Nîmes.

Merci au Théâtre de Nîmes  d’avoir rendu ce voyage possible.

 



 

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