TOP

[Arte Flamenco 2021] – Manuela Carrasco et Farruquito sous le ciel étoilé de Mont-de-Marsan

Après l’annulation de l’édition 2020, le beau festival Arte Flamenco a pu avoir lieu cette année à Mont-de-Marsan avec une configuration inédite. Pour le respect des règles sanitaires, les Arènes du Plumaçon ont remplacé le Café Cantante, bodega éphémère installée traditionnellement sous les halles du  marché Saint Roch. Si l’on pouvait craindre que la grande scène installée dans le ruedo nuise à la proximité nécessaire à la transmission des émotions, la magie a opéré à ciel ouvert dans une atmosphère empreinte de la ferveur des retrouvailles. Une nouvelle fois, la langue magnifique du flamenco a été le trait d’union entre le public et les artistes. De grandes personnalités du flamenco et habituées du festival, telles que Manuela Carrasco ou Farruquito que DALP a pu voir, étaient à l’affiche de cette 32e édition très attendue par les nombreux aficionados.

Aires de Mujer – Arte Flamenco

À la tombée de la nuit, quand les cordes de la guitare flamenca commencent à vibrer, bien fort est celui qui pourrait dire où il se trouve. En effet, le temps s’arrête à Mont-de-Marsan, cette commune des Landes qui chaque année depuis plus de trente ans, vibre au rythme du flamenco au commencement de l’été. Un peu déroutés de se retrouver dans le lieu inhabituel des Arènes du Plumaçon, crise sanitaire oblige, les spectateurs et spectatrices sont vite replongées dans l’ambiance qui leur est chère. Ce soir, ils ont rendez-vous avec une habituée du festival : Manuela Carrasco, surnommée dès l’âge de 18 ans, la Diosa del Baile, la déesse de la danse. Après cinquante ans de carrière, la dame revendique sa volonté de continuer à créer et à avancer. Et à transmettre aussi, comme en témoigne la présence à ses côtés lors de cette soirée de l’une de ses filles, la chanteuse Samara Carrasco.

Pour ce Aires de mujer concocté avec Sandrine Rabassa, la directrice artistique du festival, Manuela Carrasco a réuni autour d’elle un trio de cantaoras puissantes dont l’immense Esperanza Fernándes dont la voix envoûtante vous transporte très loin. Leur premier face-à-face donne le ton de la soirée. Entre duo et duel, les deux femmes accordent leur art avec une si belle complicité qu’on en frissonne d’entrée de jeu. Mains tranchantes, menton levé, elles imposent leur présence et on ne sait laquelle regarder. À 67 ans, la baialora n’a rien perdu de sa superbe, quoi qu’en ait pensé un confrère prompt à persifler sur les années de la dame. “On a frôlé la correctionnelle“, s’est-il exclamé le lendemain de manière bien peu élégante. Navrée de le contredire… La fougue est là, inaltérée. À peine est-elle en scène depuis quelques minutes qu’un coup de tête enflammé fait voler la fleur qu’elle avait accrochée à sa chevelure.

Ce qui est beau c’est que Manuela Carrasco emmène dans son sillage toute une histoire du flamenco, la sienne, gitane du quartier de Triana à Séville, celle de sa famille et celle des artistes dont elle a croisé la route. On peut lire à livre ouvert toutes ces histoires dans sa façon de se mouvoir, dans cette fragilité qui a légèrement raidi le buste mais laissé intacte la vélocité du jeu de jambes percussif. On aime voir défiler toutes ces vies condensées dans ce corps de femme dansant, y compris les stigmates que la pratique de cet art peut laisser sur ses plus fervents disciples. Ne pas le déplorer, l’accepter, tel est le respect dû aux icônes. Il suffit d’un geste à la danseuse pour imposer son rythme, d’une œillade aux musiciens pour se faire comprendre. Elle est maîtresse de ce combat titanesque auquel se livrent ces lionnes. Fierté, beauté, sororité s’impose comme la devise de la soirée.

Le moment le plus touchant est sans doute l’hommage à Encarnación Amador Santiago dite la Susi décédée en octobre 2020, passée elle aussi à Arte Flamenco. Seule en scène, face à une chaise vide, devant un immense portrait de la cantaora, Manuela Carrasco, vêtue de blanc comme les Reines portant le deuil, déploie une danse du recueillement. La voix enregistrée de la chanteuse résonne dans les Arènes. Le temps semble comme suspendu.

Aires de Mujer – Arte Flamenco

À cette soirée féminine, succède le jour suivant Voces, un trio masculin, lui aussi de haut vol, dont l’association était promesse d’étincelles. Le chanteur Manuel Moreno Maya dit El Pele, une référence de la musique flamenca, partage la scène avec Jesús Méndez, héritier de la dynastie gitane de la famille de la Paquera de Jerez et figure du cante actuel. Ce dernier a remplacé au pied levé le chanteur Pedro El Granaíno testé positif à la Covid-19. Ainsi est faite la grande famille du flamenco, capable de se serrer les coudes dans l’adversité. Costume sombre et béret à l’envers, El Pele se transforme quand il commence à chanter. La voix écorchée frôle le sublime. Son chant très physique et très incarné vient nous chercher au plus profond de notre être.

Le bailaor associé à ce duo n’est autre que Farruquito, lui-aussi habitué de Arte Flamenco depuis ses plus jeunes années où il accompagnait sa mère La Farruca. Héritier de son mythique grand-père Farruco, le presque quadragénaire, barbe de mousquetaire et veste chamarrée, a une façon d’investir le baile, élégante, nerveuse, limite intrigante. Il captive dès le premier regard, sans avoir besoin d’être d’emblée dans la démonstration. Il traverse le plateau, main sur le cœur. Les débuts sont plutôt minimalistes. Le calme avant la tempête… Où se situent la part d’écriture et celle d’improvisation ? La question rend l’instant unique parce qu’on a l’impression de ne pas assister à une partition mille fois rabâchée mais à de l’inédit qui palpite.

À chacune de ses apparitions, intenses et magnétiques, Farruquito nous prend dans ses filets sans échappatoire possible. Y compris pour Jesús Méndez qui se lève de sa chaise et esquisse à son tour quelques pas de buleria. On ne saurait dire lequel des trois mène la danse, lequel des trois respecte plus son compagnon de route. Il se dégage en tous cas de chacun de leurs échanges une furieuse émotion de fouler de nouveau un plateau après ces longs mois de privation qui fait plaisir à voir. Le public ne s’y trompe pas.

Voces – Arte Flamenco

32e édition du festival Arte Flamenco à Mont-de-Marsan.

Aires de Mujer avec Manuela Carrasco, La Tana, Samara Carrasco. Artiste invitée : Esperanza Fernándes. Jeudi 1er juillet 2021 aux Arènes de Plumaçon.

Voces avec El Pele et Jesús Méndez. Artiste invité : Farruquito. Vendredi 2 juillet 2021 aux Arènes de Plumaçon.

 



Poster un commentaire