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Les Ballets de Monte-Carlo – Jean Christophe Maillot/Sidi Larbi Cherkaoui

Après la reprise du hit du répertoire Roméo et Juliette avec de nouvelles distributions, les Ballets de Monte-Carlo continuent leur belle rentrée avec la création Back on Track 61 de Jean-Christophe Maillot. Le chorégraphe s’est lancé dans le célébrissime Concerto en Sol de Maurice Ravel pour une composition chorégraphique d’une virtuosité virevoltante, faisant écho à celle de la pianiste argentine Martha Argerich. Une oeuvre de groupe, pour laquelle le chorégraphe a rappelé deux figures historiques de la compagnie, Bernice Coppieters et Asier Uriagereka, qui interprètent un pas de deux bouleversant. In Memoriam de Sidi Larbi Cherkaoui, créé pour les Ballets de Monte-Carlo en 2004, complète cette soirée pour offrir un  superbe diptyque.

Back on Track 61 de Jean-Christophe Maillot – Ballets de Monte-Carlo

Les Ballets de Monte-Carlo n’ont jamais vraiment cessé de danser malgré la pandémie. Certes, il y eut le premier confinement qui claquemura tous les artistes, mais offrit une vidéo tout en humour des danseuses et danseurs emprisonnés chez eux. Pour le reste, la compagnie a pu très vite reprendre les cours, les répétitions et même les spectacles à domicile, seules les tournées en France et à l’étranger ont été impactées. Il y a donc moins qu’ailleurs cette discontinuité qui a parfois nui à la qualité des compagnies, on ne cesse pas impunément de danser durant plusieurs mois. Rien de tel avec les Ballets de Monte-Carlo qui, après la pause d’été, ont retrouvé un public fervent et avide de découvrir cette nouvelle saison.

Jean-Christophe Maillot a 61 ans et il le fait savoir crânement dans cette création Back on Track 61, comme pour dire que l’âge n’émousse en rien les vertus créatrices et encore moins l’audace. Chorégraphier un ballet sur le Concerto en Sol de Maurice Ravel, chef-d’œuvre du répertoire, relève du défi si ce n’est de l’inconscience ! Voilà une partition assez brève mais d’une richesse harmonique inouïe, avec des tempos qui ne cessent de varier à l’intérieur même des mouvements. Même George Balanchine, prudent, s’était contenté de La Valse dans le répertoire de Ravel ! Mais si on entre dubitatif dans la Salle Garnier de Monaco, on en ressort nimbé d’émotions fortes, tant le ballet de Jean-Christophe Maillot crée l’enthousiasme

Back on Track 61 de Jean-Christophe Maillot – Bernice Coppieters et Asier Uriagereka

La pièce s’ouvre sur un tableau à l’arrêt des 39 danseuses et des danseurs au sol, unique moment apaisé dans une œuvre à grande vitesse. Les costumes en noir et blanc évoquent aussi le mantra balanchinien : sobriété des costumes et de la scénographie. Et pour seul décor, la barre rituelle de la classe au fond de la scène où un couple de dos s’affale nonchalamment. Le premier mouvement du Concerto en Sol alterne à train d’enfer crescendos, diminuendos, variations infernales de tempo. Jean-Christophe Maillot nous donne à entendre tout cela dans sa chorégraphie : on suit les interprètes comme les doigts de Martha Argerich sur l’ivoire du clavier. Chaque note s’entend aussi sur scène dans les ensembles, les groupes féminins ou masculins dans un tournis incessant d’entrées et de sorties réglées comme un métronome. On pardonne plus que facilement les quelques retards ou dé-synchronisations qui font le sel des soirs de première, car ce torrent d’énergie est magnifiquement porté par la compagnie.

Cette dernière s’éclipse le temps du second mouvement. Le plateau se vide alors pour l’andante, musique d’un lyrisme absolu pour laquelle Jean-Christophe Maillot a inventé un pas de deux à la fois drôle et poignant. L’on y retrouve ce couple nonchalant du début, perché sur des tabourets hauts, les jambes sur la barre. Débute alors un dialogue d’une sensualité éperdue où les jambes se frôlent, se caressent, avant de descendre dans le studio pour s’apprivoiser. Le tout interprété par… Bernice Coppieters et Asier Uriagereka, interprètes mythiques des Ballets de Monte-Carlo qui ont créé ou presque tous les rôles du répertoire avant de devenir maîtres de ballets. Nul autre que ce couple ne porte dans ses veines le style de Jean-Christophe Maillot. On les retrouve sur scène tout aussi acérés, comme si le temps n’avait pas eu de prise sur eux. Leur musicalité est impeccable et leur technique infaillible. Mais c’est leur interprétation qui fait circuler presque palpables les émotions entre la scène et la salle. Duo de séduction, d’amour, d’admiration : tout est là en moins de dix minutes dont on ressort bouleversé. On se retient d’applaudir car arrive la tornade du troisième mouvement qui fait resurgir toute la compagnie.

Back on Track 61 de Jean-Christophe Maillot – Ballets de Monte-Carlo

Jean-Christophe Maillot a imaginé ce ballet en trois semaines. On aurait peine à le croire tant le travail est ciselé. Mais le chorégraphe a sans doute depuis très longtemps en tête une idée sur cette musique qu’il connaît par cœur. C’est avec son père quand il était enfant qu’il a appris à l’écouter et à l’entendre. Back on Track (ou “De retour et en chemin”, risquerons-nous en français) incarne ainsi la vitalité intacte du chorégraphe qui affiche fièrement ses 61 ans.

Il fallait une œuvre pour compléter la soirée et In Memoriam de Sidi Larbi Cherkaoui convient à merveille. En prélude, elle forme comme un diptyque cohérent et presque en miroir. Il y a dans ce ballet, créé pour la compagnie en 2004, cette même alternance entre pas de deux et ensembles, cette fois-ci sur la musique du groupe corse A Filetta. Le chorégraphe belge, qui signait là l’une de ses toutes premières chorégraphies pour une compagnie classique, avait trouvé un langage juste, utilisant les pointes et frayant avec la grammaire académique. C’est truffé d’humour, tels ces monologues à propos de la découverte du Japon, étape incontournable de tous les chorégraphes et compagnies de renom. Sur fond d’images de mangas, Sidi Larbi Cherkaoui parle avec In Memoriam du souvenir des morts et de la trace qu’ils laissent. Cela donne lieu à un premier pas de deux où Benjamin Stone attire Anna Blackwell presque comme un aimant. L’on repère aussi sur scène quelques nouvelles recrues qui promettent de belles soirées. Il faudrait citer tout le monde pour être juste, mais en toute subjectivité, Francesco Resch rayonne dans un solo qu’il a repris au pied levé. Et comment ne pas mentionner Portia Soleil Adams, droite sur ses pointes, sans trembler, qui emmène la compagnie dans un final qui nous terrasse de beauté.     

 In Memorian de Sidi Larbi Cherkaoui – Portia Soleil Blackwell

 

Programme Maillot/Cherkaoui par les Ballets de Monte-Carlo à la salle Garnier. Back on track 61 de Jean-Christophe Maillot, avec Bernice Coppieters et Asier Uriagereka, et toute la compagnie ; In Memoriam de Sidi Larbi Cjerkaoui, avec Chelsea Adomaitis, Anna Blackwell, Portia Soleil Adams, Mimoza Koike, Alvaro Prieto, Benjamin Stone, Jaeyong An, Adam Reist, Cristian Oliveri et Francesco Resch – Vendredi 29 octobre 2021.

 




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