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Ballet de l’Opéra-Théâtre de Metz – La Princesse de Clèves de Julien Guérin

Julien Guérin offre au Ballet de l’Opéra-Théâtre de l’Eurométropole de Metz sa dernière création, La Princesse de Clèves, d’après le roman éponyme de Madame de La Fayette et sur des musiques d’Antonio Vivaldi. Le chorégraphe français renoue ainsi avec une fibre narrative, en écrivant lui-même le livret de sa création. Il bâtit une oeuvre magnifiquement ciselée en mettant à profit le vocabulaire académique. Les 14 danseuses et danseurs de la compagnie relèvent ce défi avec brio et éclat, nous faisant naviguer dans les méandres psychologiques d’un des plus grands personnages romanesques. La troupe affiche de merveilleuses qualités d’interprètes et montre que ce langage classique au service d’une narration n’a rien perdu de sa modernité.

La Princesse de Clèves – Julien Guérin

Un ancien président de la République avait eu des mots aussi malencontreux que saugrenus à propos du chef-d’oeuvre de Madame de La Fayette dont il ne percevait pas l’utilité. C’était à la fois faire preuve de mépris pour la littérature et d’ignorance, tant La Princesse de Clèves est une oeuvre-clef dans l’histoire littéraire française. Premier roman psychologique, il suscite jusqu’à aujourd’hui l’admiration autant pour ses qualités stylistiques que pour sa construction. Sans compter que ce roman écrit par une femme – Madame de La Fayette, amie de Madame de Sévigné – aborde des thèmes profondément féministes avant l’heure en mettant les femmes au centre de l’histoire et en montrant un personnage libre de ses choix. Julien Guérin est revenu à ce roman qu’il avait abordé lors de ses études, convaincu qu’il y trouverait matière à raconter une histoire bouleversante, celle d’une femme écartelée entre la fidélité pour un homme et sa passion pour un autre.

La Princesse de Clèves est truffée de personnages complexes. Ce qui fait tout l’intérêt – et le danger – de l’adapter pour en faire un ballet. Mais Julien Guérin fait mouche. Sa Princesse de Clèves est un petit bijou, comme une magnifique miniature d’un grand ballet narratif. Avec les 14 danseuses et danseurs du Ballet de Metz, il parvient en deux heures à raconter une histoire qui nous bouleverse sans abdiquer aucune difficulté. Ils sont 14 sur scène mais on croirait qu’ils sont dix fois plus tant l’espace est occupé avec intelligence. Le tout est conforté par une superbe scénographie d’Antoine Fontaine, composée de lourds panneaux amovibles qui dessinent différents espaces et sont habilement manipulés par la compagnie. Les costumes signés Julie Lance sont somptueux, évoquant dans leur style le XVIIe siècle sans s’y appesantir. On se sent ainsi confortablement installé dans cet univers.

Julien Guérin nous guide dans le roman et l’histoire en mettant sur scène la narratrice, Madame de La Fayette, interprétée magnifiquement par la comédienne Claire Cahen, dans une langue un peu simplifiée pour passer la rampe de l’époque et de l’oral. Celles et ceux qui n’auraient pas eu le temps de lire le synopsis détaillé ne sont ainsi pas perdus. Et c’est dans le répertoire de Vivaldi que Julien Guérin est allé habilement piocher pour construire la partition.

La Princesse de Clèves – Julien Guérin,

14 interprètes ! Toutes et tous sont évidemment mobilisés quasiment en permanence sur scène pour offrir des tableaux d’une intense richesse. Tout le monde a de quoi danser dans la chorégraphie de Julien Guérin. L’ancien danseur des Ballets de Monte-Carlo a appris de Jean-Christophe Maillot un travail soigné et délicat du bas de jambe qu’il a su transmettre aux  interprètes de Metz. Il y adjoint une utilisation originale des bras qui deviennent ici le moteur du dialogue sans avoir besoin de pantomime.

Entre Covid et blessures, tout fut complexe dans le processus de création, mais rien ne transparaît sur scène. On est bluffé par la qualité des interprètes et par leur engagement. Dans le rôle-titre, Johanne Sauzade a toute la délicatesse du personnage tout comme sa forte personnalité. Sa technique impeccable et un sens de la nuance lui font porter son personnage de l’ingénue du début à la personnalité tourmentée de la coda. Aurélien Magnan (Le Prince de Clèves) et Graham Erhardt-Kotowich (Le Duc de Nemours) lui livrent une réplique sans bavure. On trouve aussi un Bouffon introduit par Julien Guérin dans le livret, personnage central qui sert de fil rouge entre les scènes, joué et dansé avec espièglerie par Paul Bougnotteau.

La Princesse de Clèves – Julien Guérin

Aucun rôle n’est laissé en jachère. Et c’est la grande réussite de ce ballet qui en met plein les yeux. Julien Guérin nous rappelle ainsi que la grammaire classique reste un véhicule inégalé pour raconter des histoires et leur offrir la profondeur de champ nécessaire. L’Opéra-Théâtre de l’Eurométropole de Metz a eu la riche idée de confier au chorégraphe la réalisation d’une pièce ambitieuse dont on espère qu’elle sera reprise. On peut aussi souhaiter que les ballets français n’abandonnent pas le ballet narratif. Pour de fort mauvaises raisons, il n’a pas bonne presse en France où la danse contemporaine, bonne ou mauvaise, cannibalise la programmation. C’est une erreur qu’il conviendrait de réparer pour ne pas laisser filer un savoir-faire unique.

 

La Princesse de Clèves de Julien Guérin par le Ballet de l’Opéra-Théâtre de Metz. Avec Johanne Sauzade (La Princesse de Clèves), Aurélien Magnan (Le Prince de Clèves), Graham Erhardt-Kotowich (Le Duc de Nemours), Kim Maï Do Danh (Marie Stuart), Valérian Antoine (Le Roi Henri II),  Charlotte Cox (Catherine de Médicis), Élisa Lons (Diane de Poitiers), Rémy Isenmann (Le Vidame de Chartres), Paul Bougnotteau (Le Bouffon), Camille Cason (Madame de Chartres), Lore Jehin, Victoria Pesce et Anik Román de Miguel (Trois Courtisanes), Eliot Chevalme, Clément Malczuck et Lucas Schneider  Trois Courtisans). Samedi 5 mars 2002 à l’Opéra-Théâtre de l’Eurométropole de Metz.

 



Commentaires (1)

  • Loïc

    J’ai eu la chance de voir ce ballet deux soirs d’affilée et en effet la poésie séduit à chaque représentation. Bravo Julien!

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