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Don Quichotte de José Martinez par le Ballet de l’Opéra de Bordeaux – Diane Le Floc’h et Riku Ota

C’est par une belle entrée au répertoire que le Ballet de l’Opéra de Bordeaux a terminé sa saison : celle du Don Quichotte de José Martinez, montée pour la Compagnie Nationale de Danse d’Espagne en 2015. Une version avec une certaine simplicité bienvenue, restant fidèle à l’esprit de Marius Petipa, tout en donnant beaucoup de vie aux ensembles et aux personnages secondaires. La compagnie bordelaise n’avait plus dansé de ballets en trois actes depuis longtemps. C’est pourtant avec un grand naturel et beaucoup de qualités que cette production a pris place dans l’écrin Grand-Théâtre. Riku Ota y a étrenné son statut d’Étoile, danseur indéniablement brillant mais qui manquait encore d’aisance dans le jeu. Et c’est finalement Diane Le Floc’h qui a été la reine de la soirée. On la connaissait grande technicienne, on a découvert son potentiel comique et son talent d’actrice. Irrésistible Kitri, elle a porté la soirée, entraînant avec elle toute la compagnie pour une représentation brillante, comme on les aime.

Don Quichotte de José Martinez – Diane Le Floc’h

Le Ballet de l’Opéra de Bordeaux n’a pas forcément eu des années faciles après le départ mouvementé de Charles Jude. De 39/40 artistes, l’effectif est descendu à 35 – et la direction générale actuelle de l’institution n’a pas forcément de velléité de l’agrandir. Les ballets du répertoire se font moins présents chaque saison, un à la place de deux ou trois. Il a aussi fallu trouver d’autres productions, celles de Charles Jude ayant vécu. Les années Covid sont également passées par là, et aujourd’hui l’inflation met à mal la maison bordelaise, avec des levés de rideaux en moins la saison prochaine et un budget serré. Le niveau du Ballet de l’Opéra de Bordeaux n’a pourtant pas été entaché, porté par un renouvellement des générations et une programmation néo-classique attrayante. Et la volonté du Directeur de la Danse Éric Quilleré d’amener de belles et intelligentes nouvelles productions des grands ballets classiques. Après la Cendrillon de David Bintley, et avant une nouvelle Giselle la saison prochaine, place ainsi à une séduisante entrée au répertoire : le Don Quichotte de José Martinez, monté en 2015 pour la Compagnie Nationale de Danse d’Espagne, qu’il dirigeait à l’époque.

Et d’emblée, cette production séduit et trouve sa place, tout naturellement et dès la première, au Ballet de l’Opéra de Bordeaux. Il y a tout d’abord au premier acte une forme de simplicité qui attire. Décors et costumes ont l’importance de ce qu’on attend d’une grande production classique, mais il y règne une forme d’authenticité qui permet immédiatement de rentrer dans l’histoire. Et d’avoir l’envie de s’attabler à la table de Lorenzo, de prendre un verre, son éventail et d’aller parler potins avec les habitant-e-s du village. Alors, Kitri et Basilio, c’est toujours d’actualité ? Parce qu’entre un qui conte fleurette à tout ce qui porte une jupe à volants et l’autre qui lance des œillades aux pêcheurs, on ne sait plus vraiment. C’est un peu ce qui se passe en scène, où chaque artiste du corps de ballet a comme un petit rôle à jouer, sa personnalité, quelque chose à raconter. Avec seulement 35 artistes et une dizaine de surnuméraires, la compagnie n’a pas une grande marge de manœuvre face aux blessures. Les effectifs ont parfois dû être revus à la baisse, mais cela ne se sent jamais au cours de ce premier acte, où chacun et chacune trouve sa place en scène.

Don Quichotte de José Martinez – Ballet de l’Opéra de Bordeaux (3e acte)

C’est dans ce joli cadre que Diane Le Floc’h entre en scène en Kitri. L’on connaissait sa belle technicité – tout passe avec elle – sa façon naturelle de prendre la scène. On la découvre ici, et tout de suite, comique irrésistible et comédienne de talent. Elle joue, elle flirte, elle boude, elle mène son monde par le bout du nez et emporte tout sur son passage. Et nous fait rire ! Même attablée et sans danser, elle attire tous les regards, chamaillant et chahutant son père Lorenzo (joué par Jean-Baptiste Bouyé, un acteur et non un danseur, cela change tout). Le couple qu’elle forme avec Riku Ota est charmant et séduisant. Ils n’ont pas forcément souvent dansé ensemble, et n’étaient pas prévus à la base (Diane Le Floc’h remplace Mathilde Froustey). Mais leur entente est immédiate en scène, se poussant vers le haut mutuellement. Et ce n’est pas plus mal pour Riku Ota. Danseur toujours aussi brillant, il semble encore un peu à la peine dans son jeu, un peu timide. Les choses manquent encore de naturel. C’est donc sa partenaire qui devient la reine de ce premier acte, et Basilio un peu son suiveur. L’on retrouve ce déséquilibre chez Mercedes et Espada. Lucia Rios est une très belle ballerine mais elle manque encore de caractère pour ce type de rôle. À l’inverse, son partenaire Ashley Whittle s’empare avec panache du rôle d’Espada et donne une petite leçon de maniement de cape. Une véritable de torero, comme ses compagnons du corps de ballet, et cela fait la différence. L’on n’est pas dans l’idée de montrer ce que serait la “vraie” Espagne, comme Carlos Acosta a pu le faire, et pas forcément de façon très convaincante, dans sa version de Don Quichotte au Royal Ballet. L’on est indéniablement dans le ballet et un monde fantasmé de conte. Mais ces touches de véracité apportent une fraîcheur, une authenticité là encore qui font tout le charme de cette production. L’on retrouve cette idée au troisième acte, avec un boléro et un fandango chorégraphiés par Mayte Chico, spécialiste des danses espagnoles, interprété avec conviction par la troupe et qui donne beaucoup de relief à l’ensemble. 

L’un des points forts de ce Don Quichotte reste aussi le traitement des personnages de caractère, qui ont chacun des choses à raconter et danser. Guillaume Debut crée ainsi un Gamache à la fois absurde et ridicule, mais quelque part d’une vraie poésie. Au deuxième entracte, il arpente les couloirs pour inviter le public à son mariage, et l’on retrouve le goût de José Martinez de transformer la salle en scène, comme il l’avait fait dans Les Enfants du paradis. Alexandre Gontcharouk assure l’humour potache sans faillir en Sancho. Surtout Don Quichotte, souvent oublié, apparaît ici comme un vrai chevalier romantique. Attiré par Dulcinée – un personnage à part entière – il est le chevalier servant, en quête de panache, et toujours portant en lui une sorte de mélancolie, celle de la recherche de l’Amour inaccessible. Marc-Émmanuel Zanoli lui donne tout son caractère, sa certaine grandeur d’âme et une sensibilité le rendant très attachant. Et c’est bien lui qui, quelque part, tient le deuxième acte avec la scène de la Vision. Ici le décor souffre un peu de sa trop grande simplicité (un simple rideau noir aux points lumineux en fond de scène) et l’on sent un peu trop de fébrilité dans le corps de ballet. Diane Le Floc’h, à la technique toujours impeccable, manque d’un peu de lyrisme et reste plus en retrait. L’on ne quitte plus des yeux alors Cupidon, interprété avec beaucoup de finesse par Marina Guizien, et qui ici tient les rênes de la scène : Cupidon, Dieu de l’Amour, fait et défait les couples. Ahyun Shin est une très belle Dulcinée, véritable évocation de la ballerine. Et tout se termine par un pas de deux entre elle et Don Quichotte, point culminant de cette scène, véritable évocation du romantisme et pause de rêverie entre deux actes allant à toute vitesse. Un peu plus tôt, la scène des gitans fut savoureuse, emmenée par Neven Ritmanic qui met toute sa puissance et son charisme naturel au service du Chef des Gitans, donnant beaucoup de dynamique aux ensembles.

Don Quichotte de José Martinez – Ahyun Shin et Marc-Émmanuel Zanoli 

Le troisième acte retrouve Diane Le Floc’h plus à son aise, et Riku Ota semblant aussi trouver plus de liberté dans le jeu. Il ne suffirait de pas grand-chose pour qu’il y soit totalement à son aise, comme un peu d’expérience. C’est cependant bien dans le Grand Pas qu’il s’exprime le mieux. Avec sa partenaire, ils nous offrent un moment de grande classe, un magistral pas de deux académique, savoureux et brillant, qui termine sur une note exaltante une soirée brillante.

À la fin de la représentation, la Direction est montée sur scène pour officialiser la promotion de Danseur Étoile de Riku Ota et lui offrir une ovation méritée. La nomination avait été faite quelques semaines plus tôt par via de communiqué et ce geste était attendu. Cependant, au vu de la représentation dominée par Diane Le Floc’h, il flotta pendant quelques secondes l’idée que la présence des directeurs en scène était pour elle… Las, le budget ne permet que deux postes d’Étoiles. Il n’y avait pas d’arrière-pensée de la part de la Direction, mais cette attitude sonna indélicate, pour le moins, à l’égard de la ballerine.

Don Quichotte de José Martinez - Ahyun Shin et Marc-Émmanuel Zanoli 

Don Quichotte de José Martinez – Riku Ota

Don Quichotte de José Martinez par le Ballet de l’Opéra de Bordeaux. Avec Diane Le Floc’h (Kitri), Riku Ota (Basilio), Marc-Émmanuel Zanoli (Don Quichotte), Alexandre Gontcharouk (Sancho), Guillaume Debut (Gamache), Ashley Whittle (Espada), Lucia Rios (Mercedes), Neven Ritmanic (le Chef des Gitans), Ahyun Shin (Dulcinée) et Marina Guizien (Cupidon). Vendredi 30 juin 2023 au Grand-Théâtre de Bordeaux. 

 

 



Commentaires (1)

  • Garrido

    Cet article resumd exactement ce que j’ai vécu le 04/07. Diane est sublime. Le corps de ballet avec ces jeunes nous a agréablement surpris. Ils sont très enjoués et bons techniquement.
    Il y avait dans la salle un homme très content d’être là et de voir ce spectacle (ancien entraîneur du couple a priori) . Vu son engouement et le bouquet qu’il avait prévu j’ai eu l’envie d’une nomination. Vu ce que je viens d’apprendre dans l’article je comprends mieux alors qu’il n’y en ai pas eu. Dommage.
    Merci pour cet article

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