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[Biennale de la Danse 2023] Art.13 de Phia Ménard

C’était un des événements de cette très riche Biennale de la Danse de Lyon : Phia Ménard choisissant le très classique et superbe Théâtre des Célestins pour sa nouvelle création Art.13. Poursuivant son travail de recherche et de déconstruction radicale du patriarcat, Phia Ménard inaugure une nouvelle étape avec ce Cycle des Jardins et des Ruines. Pour ce premier volet, elle  nous emmène dans un jardin à la française dans lequel se débat durant une heure et demie un être vivant à l’identité floue, incarné par Marion Blondeau. Combat redoutable qui voit l’effondrement de cet environnement si policé. Servie par une scénographie sublime, Phia Ménard nous confronte à des images puissantes et vertigineuses mais échoue à nous capter dans un récit qui fuit et s’étiole.       

 

Art.13 de Phia Ménard

 

Dans ce nouvel opus, monté pour la Biennale de la Danse de Lyon, Phia Ménard introduit la nature dans sa forme la plus domestiquée : un jardin à la française magnifiquement dessiné et reproduit. Il est l’élément central du spectacle, presque son acteur principal, tout à la fois imposant et dérangeant. Son titre Art.13 pourrait sembler énigmatique. Mais la clef nous est donnée dans la feuille de salle : c’est une référence explicite à l’article 13 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 stipulant que “toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un État. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays… “. On ne peut qu’adhérer à ce précepte humaniste en y voyant instantanément les limites pratiques dans un monde où les frontières sont parfois de plus en plus hermétiques.

Mais il faudrait ne pas avoir lu la longue, trop longue, note d’intention rédigée par la philosophe Camille Louis, qui signe la dramaturgie d’Art.13, insérée dans la feuille de salle déjà riche d’une interview de Phia Ménard. Car voilà le spectateur ou la spectatrice enserrée dans un piège dont il ne peut pas parvenir à se sortir. On lui impose une lecture unique et univoque, on bride son imaginaire, on le somme de se conformer à un diktat idéologique. Le spectacle est ainsi déjà élucidé avant même le lever de rideau et le public n’a plus qu’à valider la proposition sans avoir le temps de divaguer ou de faire un pas de côté.

 

Art.13 de Phia Ménard

 

Phia Ménard affirme à juste titre que nous avons “oublié la relation aux autres êtres humains, au vivant et au non-humain Pour s’extraire de la virulence de cette société, je crois qu’il faut lutter contre cette matérialité en revenant à l’imaginaire… “.  On peut entendre cela et y souscrire mais il faudrait aussi que chacune et chacun puisse à loisir rêver comme bon lui semble. Or Art.13 ne nous laisse que rarement cette liberté. Dans ce projet salutaire de lutte contre le patriarcat, Phia Ménard a démontré dans le passé une superbe inspiration dont est hélas dépourvu Art.13. Il faut se contenter d’une vision sans envergure où il suffit littéralement de déboulonner les statues. C’est toutefois la première image saisissante du spectacle : Marion Blondeau émergeant du fin fond de la terre tel un gnome rampant, se traîne, puise au plus profond de ses forces pour venir à bout de cette statue, parvenant à en abattre le socle et à la réduire en morceaux. Elle bouge en malaxant son corps pour le tordre tant et plus. Tout cela est fort bien fait mais on espérait une métaphore plus riche pour illustrer cette profession de foi. S’y substitue une statue géante dont on ne verra que les pieds alors que Marion Blondeau s’attaque cette fois au socle qui la soutient dans une des scènes les plus réussies du spectacle, où l’on retrouve les fulgurances de l’écriture de Phia Ménard.

Malgré ces limites, Art.13 fascine grâce à une scénographie époustouflante, qui en dit davantage que la note d’intention. Phia Ménard, appuyée par Clarisse Delile et Éric Soyer, opère une nouvelle fois un tour de force. Dès le lever de rideau, on est aspiré dans ce jardin à la française alors que menacent les bruits des tronçonneuses qui pourraient bien éradiquer cette nature trop bien ordonnée. La seconde séquence est tout aussi éloquente : la  mise à mal du socle de la statue géante instille l’humour qui jusque-là faisait défaut. Et on est subjugué par un final qui emporte tout, efface le décor, transforme Marion Blondeau en torche lumineuse et clignotante. À ce moment-là, on a presque tout oublié de ce que l’on voulait nous dire. On retrouve de manière subreptice un bonheur naïf de spectateur. On est émerveillé par cette beauté d’une force incroyable qui nous secoue et nous happe. Et pour ces quelques sublimes minutes de rêve, on pardonne aisément les pesanteurs du spectacle.

 

Art.13 de Phia Ménard

 

Art.13 de Phia Ménard par la Compagnie Non Nova, dans le cadre de la Biennale de la Danse de Lyon. Avec Marion Blondeau. Mise en scène : Phia Ménard. Scénographie : Phia Ménard, Clarisse Delile et Éric Soyer. Dimanche 17 septembre 2023 au Théâtre des Célestins. À voir en tournée toute cette saison

La Biennale de la Danse de Lyon continue jusqu’au 30 septembre.

 



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