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Aperçus du Festival d’Aurillac 2015

Du 19 au 22 août 2015, c’est sous un lumineux soleil que le Festival d’arts de la rue d’Aurillac a fêté ses trente ans d’existence. Tapissée de centaines d’affiches colorées, la ville se transforme chaque année pour quelques jours en une scène géante. A chaque coin de rue, acrobates, jongleur-se-s, musicien-ne-s, danseur-se-s, acteur-rice-s, marionnettistes et clowns déploient leur talent et leur fantaisie dans une ambiance festive, qui brasse les genres artistiques, les générations et les milieux sociaux.

Festival d'Aurillac 2015

Festival d’Aurillac 2015

Le centre-ville, où déambulent le jour d’étranges personnages tout en échasses et déguisements fabuleux, danse la nuit au son des batucadas [orchestres de percussions originaires du Brésil]. Aux alentours, des collectifs installent chapiteaux éphémères et buvettes sur de grands terrains herbeux, avec à l’horizon les collines du Cantal. Entre deux spectacles, les artistes discutent avec le public de leur vie, souvent précaire, animée par la certitude que l’art est crucial, qu’il nourrit et transforme l’existence, qu’il joue un rôle politique – et a besoin de soutien. Les idées fusent, l’espace partout investi devient vraiment public, et les frontières entre l’art et la vie s’effacent de mille manières. Plus de 600 compagnies étaient cette année présentes à Aurillac : retour en quelques spectacles de danse et de cirque sur une trentième édition enthousiasmante.

 

Kwaïdan (compagnie MAN’OK et Cie) : Butô pour une contrebasse

Le centre chorégraphique de La Manufacture accueillait de nombreuses compagnies amatrices et professionnelles. Parmi elles, MAN’OK et Cie présentait un extrait de son spectacle Kwaïdan, conçu pour être donné tant en salle qu’en plein air. La danseuse de butô Sayoko Onishi est bouleversante dans son incarnation fébrile et désarticulée du fantôme d’une femme qui a aimé à la folie, et ne peut s’arracher à la vie. Elle danse sur les accords dissonnants, parfois électroniques, d’une contrebasse dont joue avec virtuosité Robert Toussaint. Les corps s’enlacent en une étrange et sensuelle hybridation, de l’homme et de la femme, de la mort et de la vie, de l’humain et de l’objet : troublantes transgressions. Ces deux artistes transforment et mêlent les traditions, faisant surgir de nouvelles formes pour mieux évoquer des fantasmes viscéraux, peut-être atemporels. Une réelle force se dégage de ce spectacle, et donne envie de suivre cette petite compagnie talentueuse.

Kwaidan, Compagnie MAN'OK et Cie (Sayoko Onishi et Robert Toussaint)

Kwaidan, Compagnie MAN’OK et Cie (archive)

Les impromptus chorégraphiques (compagnie Frichti Concept) : La danse partout, tout le temps

Sur le parvis de l’hôtel de ville, la compagnie Frichti Concept donnait chaque jour les deux volets de son spectacle Impromptus chorégraphiques. Trois interprètes tout de bleu vêtu-e-s dansent avec beaucoup de grâce au milieu du public, mimant déclarations d’amour et élans fougueux. La chorégraphie se mêle à l’improvisation pour s’adapter aux espaces de la rue. Et quel plaisir quand un danseur élabore ses gestes à quelques centimètres de vous, le regard droit dans vos yeux !

Les impromptus chorégraphiques, compagnie Frichti Concept

Les impromptus chorégraphiques, compagnie Frichti Concept (archive)

Mon problème avec la danse contemporaine (compagnie irOnie du cOrps) : Les clichés pris à bras le corps

Julia Leredde est très drôle dans Mon problème avec la danse contemporaine, variation intelligente sur les clichés de la danse contemporaine – côté danseur-se-s et côté spectateur-rice-s, chacun-e en prend pour son grade. Sous une citerne décorée de grafs, elle effectue en survêtement et baskets des gestes entre danse et clown, sur fond de dialogue intérieur et sons urbains. C’est à même le corps que surgit l’ironie et qu’émergent les questions : pourquoi la danse contemporaine aujourd’hui ? Pas de réponse donnée, au spectateur ou à la spectatrice de s’interroger à son tour !

Les amants du ciel (compagnie Mattatoio Sospeso) : Du burlesque de haute voltige

Pourquoi se marier à l’église, quand on peut le faire dans le ciel ? Voici un des bonheurs du festival d’Aurillac : passer devant un arbre, et y découvrir une trapéziste ; traverser une rue, et y rester une demi-heure parce que des acrobates voltigent le long d’une tour de plusieurs mètres ! Marco Mannucci et Alessandra Laciotti font rire et rêver au son d’un accordéon dans Les amants du ciel, spectacle de danse verticale d’une grande beauté.

Les amants du ciel, Marco Mannucci et Alessandra Lanciotti

Les amants du ciel, Marco Mannucci et Alessandra Lanciotti (archive)

Protocole #27 (collectif Protocole) : Envolée de massues sur rythmes électros

Jongleur-se-s de massues et danseur-se-s, les artistes du collectif Protocole sont de merveilleux-ses improvisteur-ice-s. Les interprètes, toujours décalé-e-s dans leurs élégants smokings noirs, élaborent des “protocoles” pleins d’humour. Par exemple, improviser sur une musique qu’ils et elles découvrent en même temps que le public. Pour le Protocole #27, dansé à la nuit tombée, deux musiciens jouent de la batterie et de la guitare électrique. A certains moments, le malaise surgit quand il devient incertain si on a encore affaire à du jeu ou à une sorte de transe. Le collectif Protocole crée de ces spectacles qui déstabilisent le public et donnent une autre consistance au “quatrième mur”.

Collectif Protocole

Collectif Protocole (archive)

Entre le zist et le geste (Cirque Content Pour Peu) : Joyeuse déconstruction d’un duo acrobatique

Le grand chapiteau installé par le collectif de la Clenche résonne de rires devant le duo plein de fantaisie du Cirque Content Pour Peu. Hugo Marchand et Loïse Manuel voudraient nous présenter un spectacle virtuose, mais font mine de ne pas y arriver. S’enchaînent alors gestes cocasses, faussement maladroits, et figures impressionnantes : pour le public, rires et frissons.

Entre le zist et le geste, Cirque Content Pour Peu (Hugo Marchand et Loïse Manuel)

Entre le zist et le geste, Cirque Content Pour Peu (Hugo Marchand et Loïse Manuel) (archive)

Le rêve d’Erica (compagnie Bivouac) : Relecture onirique d’un conte initiatique

La compagnie bivouac propose une relecture presque fantastique du conte d’Andersen Les chaussons rouges, en s’inspirant également du film de Michael Powell. Une chanteuse lyrique, un musicien et d’excellent-e-s acrobates et danseur-se-s classiques racontent dans une machinerie de carrousel l’éveil sensuel d’une jeune fille. Cirque, danse et voltige équestre se mêlent pour un enchantement visuel et sonore.

Le rêve d'Erica, Compagnie Bivouac

Le rêve d’Erica, Compagnie Bivouac

A l’ombre de Coré (compagnie Bakhus) : Hip hop sous les étoiles

La compagnie de hip hop Bakhus présentait deux pièces cette année : une création, Glaucos, et un spectacle de 2011, A l’ombre de Coré. Sous un ciel étoilé, les deux magnifiques danseurs Mickaël Six et Sami Loviat-Tapie jouent d’ombres et de projections sur leur corps parfois torse-nu, parfois tout entier couvert, tête comprise, de blanc ou de noir. Le chorégraphe Mickaël Six rend hommage à la virilité des danseurs hip hop, notamment dans les battles, avec ce qu’il faut de décalage : dans ce spectacle, à chaque lumière son ombre. Quand Sami Loviat-Tapie fait émerger un geste doux et gigantesque à l’aide d’une lampe torche lentement promenée le long de son corps, cela atteint à quelque chose de sublime.

Des dizaines de spectacles seraient encore à évoquer… Débordant d’inventivité et d’énergie, le festival d’Aurillac laisse chaque année des souvenirs plein la tête, des éclats plein les yeux, et donne une confiance folle dans le spectacle vivant. Vladimir Jankélévitch écrivait qu’ “on peut, après tout, vivre sans le je-ne-sais-quoi, comme on peut vivre sans philosophie, sans musique, sans joie et sans amour. Mais pas si bien“. Sans danse, sans cirque, sans théâtre non plus. Rendez-vous l’an prochain !

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