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Soirée Anne Teresa De Keersmaeker, Bartok/ Beethoven/ Schönberg, par le Ballet de l’Opéra de Paris

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27 octobre 2015

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Nouvelle entrée au répertoire du Ballet de l'Opéra de Paris pour Anne Teresa De Keersmaeker. Après Rain, créé en 2001 sur une musique de Steve Reich, le programme Bartok/ Beethoven/ Schönberg composé de trois pièces datant de 1986 à 1995, illustre encore une fois le goût de cette chorégraphe majeure pour les œuvres musicales complexes, et son talent pour s'en emparer. Trois pièces réjouissantes que les virtuoses interprètes du Ballet de l'Opéra de Paris dansent avec brio, sans toutefois réussir à les incarner.

Quatuor n°4 d'Anne Teresa De Keersmaeker par le Ballet de l'Opéra de Paris

Quatuor n°4 d'Anne Teresa De Keersmaeker par le Ballet de l'Opéra de Paris

Dans le Quator n°4 de Bartok, pièce de jeunesse d'Anne Teresa De Keersmaeker, quatre danseuses partagent le plateau avec les musiciens. Avec leurs godillots, leurs robes noires s'ouvrant en corole dans de multiples déboulés, leurs culottes blanches à maintes reprises dévoilées, elles ressemblent à des collégiennes effrontées, insolentes. Elles tapent des pieds, font mine de marcher sur des talons, jouent à séduire les violonistes, provoquent le public. Les changements d'axes, de centres de gravité, d'ancrages dans le sol et de directions sont incessants, et toutes jouent leur partition à l'unisson ou en canon. Si les quatre danseuses s'emparent du vocabulaire d'Anne Teresa De Keersmaeker sans difficulté, seule Laura Bachman parvient à l'incarner. Elle joue son rôle avec un bonheur palpable, plante ses yeux dans ceux du public, et fascine. Sae Eun Park, au contraire, peu aguerrie aux rôles contemporains, ne parvient pas à se défaire d'une certaine raideur et d'une joliesse qui rendent sa prestation quelque peu maniérée.

Pour la deuxième pièce de cette soirée, Die grosse Fuge, qui s'empare de l'œuvre visionnaire de Beethoven, la volonté d'Anne Teresa De Keersmaeker était de créer "un vocabulaire masculin, non classique et sexué". Sept danseurs et une danseuse, tous vêtus de sobres costumes noirs, sont là encore en scène avec le quatuor à cordes. La musicalité et la maîtrise du contrepoint de la chorégraphe y explosent en une suite de sauts et tombés au sol vertigineux. Dans cette construction complexe, chaque interprète semble être un instrument qui donne à voir la musique. Tous offrent une prestation virtuose, d'une grande homogénéité, qui paradoxalement souffre de son élégance. Leur façon de tomber comme sur coussinets avec tant de maîtrise, notamment, enlève de l'énergie, de la force au geste. Si les personnalités d'Adrien Couvez et Karl Paquette émergent de cet ensemble, seule Alice Renavand, belle ambassadrice du style contemporain au Ballet de l'Opéra de Paris, parvient à se défaire de toute affectation.

Die Grosse Fuge (La Grande Fugue) d'Anne Teresa De Keersmaeker par le Ballet de l'Opéra de Paris

Die Grosse Fuge (La Grande Fugue) d'Anne Teresa De Keersmaeker par le Ballet de l'Opéra de Paris

Enfin, c'est après l'entracte sur Verklärte Nacht (La Nuit transfigurée) de Schönberg que se clôt la soirée. Œuvre de jeunesse au romantisme tardif, elle est inspirée du poème éponyme de Richard Dehmel, dans lequel une jeune femme, lors d'une promenade crépusculaire dans la forêt, avoue à celui qu'elle aime qu'elle porte l'enfant d'un autre. La nouvelle est accueillie avec amour et bienveillance par l'intéressé. Plutôt que de faire sienne cette trame narrative, Anne Teresa De Keersmaeker choisit de la diffracter en plusieurs pas de deux tendres ou sensuels, dont les étreintes lui sont notamment inspirés par Rodin. Dans un superbe décor de troncs d'arbres et feuilles mortes au clair de lune, six hommes vêtus de costumes noirs, tantôt distants et mystérieux, tantôt bienveillants, sont accompagnés de huit femmes, dont les élégantes robes colorées et les cheveux lâchés évoquent Pina Bausch. C'est chez ces dernières que semblent se concentrer toutes les passions, qu'elles roulent au sol ou se jettent dans les bras de leurs partenaires.

En ouverture, Marie-Agnès Gillot danse beau et grand le désespoir. Pieds gracieusement pointés, bras en parfaite couronne mais dos volontairement vouté, l'expression de son visage est ouvertement tragique. Emilie Cozette, lorsqu'elle entre en scène pour lui faire écho, choisit au contraire la retenue et la sobriété. Et c'est l'intériorité et le naturel de son interprétation qui touchent enfin assurément. Là aussi, et plus encore que dans les deux premières pièces, l'ensemble est superbe et parfaitement dansé, mais malheureusement peu incarné. La contemplation du beau, qui provoque finalement un certain ennui, l'emporte sur le ressenti des passions. La joliesse marque le pas sur l'expressivité.

Marie-Agnès Gillot dans Verklärte Nacht (La Nuit transfigurée) d'Anne Teresa De Keersmaeker par le Ballet de l'Opéra de Paris

Marie-Agnès Gillot dans Verklärte Nacht (La Nuit transfigurée) d'Anne Teresa De Keersmaeker par le Ballet de l'Opéra de Paris

Anne Teresa De Keersmaeker dit "Je danse comme je marche." Ses compositions scéniques ciselées, géométriques, ses phrases chorégraphiques répétées à l'envie dans de multiples variations, ne sont là que pour mieux révéler les personnalités de chaque interprète, et différents affects. Trouver cette décontraction, ce naturel, ce lâcher prise même, n'est pas chose aisée pour des danseurs et danseuses élevés dans la perfection du geste et la légendaire élégance de la danse française. Comme il n'est pas aisé de laisser émerger dans le mouvement sa personnalité, quand on s'est fondu tout jeune dans un corps de ballet.

Quatuor n°4 d'Anne Teresa De Keersmaeker par le Ballet de l'Opéra de Paris

Quatuor n°4 d'Anne Teresa De Keersmaeker par le Ballet de l'Opéra de Paris

 

Soirée Anne Teresa de Keersmaeker, Bartok/ Beetoven/ Schönberg par le Ballet de l'Opéra de Paris au Palais Garnier. Quator n°4 de Béla Bartok, avec Sae Eun Park, Juliette Hilaire, Charlotte Ranson et Laura Bachman ; Die Grosse Fuge (La Grande Fugue) de Ludwig Van Beethoven avec Alice Renavand, Stéphane Bullion, Karl Paquette, Vincent Chaillet, Florian Magnenet, Nicolas Paul, Adrien Couvez et Alexandre Gasse ; Verklärte Nacht (La Nuit transfigurée) d'Arnold Schönberg, avec Emilie Cozette, Marie-Agnès Gillot, Léonaure Baulac, Séverine Westermann, Letizia Galloni, Emilie Hasbourn, Alice Catonnet, Katherine Higgins, Stéphane Bullion, Karl Paquette, Florian Magnenet, Nicolas Paul, Alexandre Gasse et Takeru Coste. Samedi 24 octobre 2015.

 

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