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La Belle de Jean-Christophe Maillot – Les Ballets de Monte-Carlo

La Belle au bois dormant est un ballet qui n’a pas fini de surprendre. Notamment quand il est relu par Jean-Christophe Maillot qui se replonge dans les racines du conte. Dans son monde, Carabosse est une ogresse et maman castratrice du Prince. La Belle est dans sa bulle mais prend son destin en main. Les deux jeunes innocents se cherchent et se découvrent comme deux jeunes adolescent.e.s. Cette Belle a le goût de personnages modernes, plus sombre et grinçant que rose-bonbon, tout en assumant le merveilleux du conte de fées et la légèreté du divertissement. Les Ballets de Monte-Carlo se replongent avec délice dans ce ballet créé il y a 15 ans, portés par les deux Étoiles du Bolchoï venues pour l’occasion : Olga Smirnova et Semyon Chudin. Lui est encore timide avec cette nouvelle gestuelle, ce qui en fait un Prince tout en retenue touchante. Elle irradie de mille feux, redonnant vie à ce personnage créé par Bernice Coppieters. 

La Belle de Jean-Chistophe Maillot – Olga Smirnova

Retrouver du sens à La Belle au bois dormant, redonner de la chair à ces personnages et en dégager toutes les couches de sucre qui s’y sont déposées est décidément dans l’air du temps. Alexeï Ratmansky ou Jean-Guillaume Bart l’on plutôt fait par la danse et la chorégraphie. Jean-Christophe Maillot s’attelle plutôt à retrouver toute la noirceur du conte (après tout, un conte de fées doit aussi faire peur) et sa dimension psychanalytique. Sauf qu’il n’y a pas pour le Prince de père à tuer, plutôt une mère castratrice à neutraliser, Carabosse. Quant à la Belle (qui perd d’ailleurs son adjectif d’au bois dormant), son chemin est de se frotter au monde réel, ses dangers et sa violence, et de s’en sortir par soi-même sans se contenter d’attendre son Prince. La dimension du divertissement, assumé, passe par une narration lisible, une production soignée et fastueuse, et des personnages sortant profondément de l’ordinaire. Interprètes, chorégraphie, décors, costumes ou musique forment un tout pour un vrai moment de spectacle. 

Le ballet suit la trajectoire de deux personnages, tous deux plongés dans deux mondes très différents au premier acte, quelque part aussi inquiétants l’un que l’autre. Le monde du Prince est noir et gris, sa mère a de longues griffes, les habits sont comme de longues cages étouffantes. Celui de la Belle est tout en rondeurs, dégoulinant de pastels et de femmes enceintes, toujours dans une joie hystérique, allégorie d’un monde fermé sur soi et son bien-être qui fait, par certains côtés, tout aussi peur que l’univers du Prince. Le seul personnage à interagir entre les deux est la Fée Lilas, délicate, rieuse et rayonnante April Ball, guérissant la stérilité de la Reine et dévoilant son destin au Prince dans une boule de cristal, allégorie de la bulle géante où est enfermée la Belle pour la protéger du monde extérieur. L’histoire est dense, mais toujours claire par des personnages caractérisés. Le point gênant de ce premier acte se situe plus dans le grand déséquilibre de créativité chorégraphique entre les deux mondes. Celui du Prince est porté par la danse de bout en bout qui se met au service des personnages, construit dans ses moindres recoins. Celui de la Belle ne fonctionne que sur la posture, sous-travaillé au niveau de la danse même, devenant pénible assez rapidement. L’inspiration n’est décidément pas une chose linéaire.

La Belle de Jean-Chistophe Maillot – La Fée Lilas et Carabosse

Le monde de La Belle trouve un meilleur équilibre lorsque le personnage apparaît. La bulle symbolisant la grossesse de sa mère a grossi ; la Belle a grandi à l’intérieur, surprotégée du monde extérieur. L’apparition d’Olga Smirnova, irradiante, à la fois si naïve et si lumineuse dans sa boule de plastique transparent est une vision merveilleuse. Jean-Christophe Maillot a en partie repris cette Belle pour elle, et l’on comprend pourquoi. La gestuelle néo-classique du chorégraphe est plutôt étrangère à l’Étoile russe : moins de pure virtuosité, beaucoup de jeu d’actrice. L’Étoile du Bolchoï s’y glisse néanmoins comme s’il s’agissait de sa langue maternelle, donnant une vérité et une puissance à chaque geste, une grande modernité aussi. L’adage à la rose est fascinant. Les prétendants entourent la Belle dans sa bulle comme une déesse inaccessible. Mais une fois qu’elle sort de sa protection, la voilà une proie facile. Les hommes deviennent plus insistants, plus agressifs, rappelant le harcèlement envers les femmes de plus en plus dénoncé aujourd’hui. 

Conte ou réalité ? La rencontre, suivie du long baiser entre la Belle et le Prince joue aussi sur l’ambivalence. Elle est une princesse-née, touchée par la grâce des héroïnes qui font rêver. Mais elle a aussi la témérité des filles d’aujourd’hui, n’attendant pas que son Prince l’embrasse et prenant les choses en main. Lui, cherchant encore son aise avec le langage de Jean-Christophe Maillot, garde une pudeur dans sa danse, presque une gaucherie. Mais loin d’être gênant, ce manque d’aisance donne au Prince un aspect infiniment touchant de l’adolescent tétanisé par les vagues de sentiments provoquées par son premier amour. Voilà un pas de deux aussi merveilleux que moderne

La Belle de Jean-Chistophe Maillot – Olga Smirnova et Semyon Chudin

L’acte trois joue aussi sur ce mélange, plongeant dans la partie ignorée du conte. Pas de Petit chaperon rouge ou de mariage fastueux. La Mère a dévoré son mari. Le Prince, devenu donc roi à son tour, part à la guerre, laissant sa Belle et ses deux enfants aux mains de l’ogresse. Le puits de serpent dans laquelle Carabosse veut plonger sa belle-fille se transforme en scène de viol, les prétendants devenant agresseurs ayant tous les droits (dans une gestuelle qui n’est pas sans rappeler celle des Jets et Sharks de West Side Story). Au sol, abattue, il ne manque plus que le retour du Prince pour la sauver. Mais cette Belle est d’une autre trempe. À terre, elle relève la tête, se défend, attaque, prend une fois de plus son destin en main et s’occupe personnellement du cas de la Reine-mère jusqu’ici toute-puissante. Princesse de contes, mais jeune fille d’aujourd’hui à qui l’on apprend de plus en plus à ne plus baisser les yeux dans la rue. 

 

La Belle de Jean-Christophe Maillot par les Ballets de Monte-Carlo au Grimaldi Forum. Avec Olga Smirnova (La Belle), Semyon Chudin (le Prince), April Ball (la Fée Lilas), Stephan Bourgond (Carabosse), Christian Tworzyanski (le Roi, père du prince), Marianna Barabas (la Reine) et Alvaro Prieto (le Roi, père de la Belle). Mardi 3 janvier 2016.

 

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