Une Giselle à visage humain par le Ballet National de Cuba
Ecrit par : Jade Larine
Au lieu de "réintégrer les dieux" dans l'humanité, avec sa Giselle, le Ballet National de Cuba insuffle de l'humain dans le divin, à rebours des interprétations européennes. Créée par Alicia Alonso, cette version fait merveille par l'intelligence de sa pantomime, riche et expressive, et l'ingéniosité de sa chorégraphie, sensible et narrative. Le soir de la première lors de la tournée parisienne de la troupe, Anette Delgado, valeur sûre de la compagnie dans ce qu'elle a de plus latin, et Dani Hernandez, jeune danseur noble, ont présenté à Paris une Giselle à coeur ouvert et à visage humain sur la scène de la Salle Pleyel. Seule ombre, de taille, au tableau : une production désuète qui rompt la magie onirique de l'acte blanc.

Giselle - Ballet national de Cuba
La distribution de la première se distingue d'abord par le respect de la notion "d'emploi". Anette Delgado a le style hispanique chevillé au corps et elle sait incarner le mythe de la campesina joviale et insouciante malgré un décor de carton-pâte au style profondément naïf (niais ?) qui se déploie derrière elle. Dani Hernandez parait d'emblée venir d'une autre planète, d'un autre monde social, avec son teint d'albâtre, sa silhouette longiligne et sa danse veloutée. Giselle et Albrecht n'ont ni le même physique ni le même habitus ; leur idylle est manifestement fragile. Hilarion (Ernesto Diaz) est parfait en homme du peuple, barbu et bourru, amoureux contrarié et primitif qui contraste avec la retenue aristocratique de son rival Albrecht.
Étrange Myrtha que Ginett Moncho, danseuse robuste aux intonations sèches, qui rappelle le Bolchoï dans sa dimension soviétique et guerrière, celle qui coexiste avec le raffinement importé de Saint-Pétersbourg. Cet emploi rappelle que les Wilis ne sont pas, au fond, que des sylphides éthérées mais de féroces âmes vengeresses. Ce choix artistique a le mérite de bouleverser le regard d'un public parisien par trop habitué à la splendeur esthétique froide de la Giselle de l'Opéra de Paris. La version du Ballet de Cuba privilégie la théâtralité et l'authenticité mais l'acte blanc se retrouve dénué de ce qui fait sa plus grande beauté : l'immatérialité lunaire d'un romantisme très XIXe.

Giselle par le Ballet National de Cuba - Dani Hernandez
Abstraction faite de ce parti pris déroutant, exacerbé par une scénographie rudimentaire, Giselle prend aux tripes par la générosité de sa pantomime. Le flirt champêtre, la prophétie de Berthe, la scène de la folie sont autant d'épisodes bien connus du ballet qu'il nous est offert de redécouvrir de manière intelligible. Autre point notable : il n'y a pas de démonstration de virtuosité gratuite dans cette Giselle ; pas de pirouette endiablée ou de saut vertigineux qui sont une des marques de fabrique de la compagnie.
On peut trouver surprenant que la compagnie nationale de Cuba ait choisi la fine fleur du romantisme européen comme étendard bien que Giselle soit le grand ballet d'Alicia Alonso, directrice et mère de la compagnie. Plus intuitif, Don Quichotte prendra le relais à partir du 15 juillet : une autre tradition vivante à savourer.

Giselle par le Ballet National de Cuba - Anette Delgado et Dani Hernandez
Giselle d'Alicia Alonso par le Ballet National de Cuba à la Salle Pleyel. Avec Anette Delgado (Giselle), Dani Hernandez (Albrecht), Ernesto Diaz (Hilarion) et Ginett Moncho (Myrtha). Vendredi 7 juillet 2017. À voir jusqu'au 12 juillet, puis Don Quichotte du 15 au 20 juillet.
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