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José Montalvo démultiplie Carmen(s)

Après sa création chez lui, à la Maison des Arts de Créteil, José Montalvo est revenu dans son ancienne demeure au Théâtre de Chaillot pour présenter sa dernière pièce Carmen(s), inspirée du personnage mythique de Prosper Mérimée. La nouvelle n’aurait sans doute pas eu un tel retentissement sans l’opéra de Georges Bizet qui a rendu Carmen si populaire et mondialement connue. Elle inspire toujours de nouvelles mises en scène et a depuis longtemps investi le champ de la danse. A son tour, José Montalvo propose sa vision d’une Carmen multiple et universelle.

Carmen(s) de José Montalvo

Il faut une bonne dose de culot pour se confronter à cette œuvre qui a déjà produit quelques chefs-d’œuvre. Roland Petit créa sa Carmen en 1949 et elle a été à ce jour dansée plus de 5000 fois. En 1957, c’est le cubain Alberto Alonso qui fit scandale à Moscou avec son ballet commandé par Maïa Plissetskaïa, sans doute la plus grande Carmen de l’histoire de la danse. Sa version est toujours au répertoire du Bolchoï et du Mariinsky. Enfin en 1998, le suédois Mats Ek propulse sa muse Ana Laguna dans une Carmen explosive qui fume le cigare sur scène. Trois versions et trois chefs-d’œuvre qui laissent un héritage lourd à porter pour les chorégraphes qui veulent s’emparer à leur tour la gitane de Séville. A-t-on encore besoin de revisiter Carmen?

La réponse est oui ! Et José Montalvo a fort intelligemment surmonté l’obstacle en décalant le propos. Là où toutes les chorégraphies respectaient le livret et la fin tragique, José Montalvo ne s’intéresse qu’au personnage et à la femme moderne qu’elle représente. Pas de crime ni de sang mais une palette d’incarnations de Carmen. Elle sont neuf au total à jouer et danser Carmen, toutes de rouge vêtus mais avec des robes aux coupes différentes. Elles investissent la scène toutes ensemble dans un tableau d’ouverture percutant où s’entremêlent toutes sortes de danse.

José Montalvo est un orfèvre lorsqu’il s’agit de faire cohabiter avec élégance différents styles. Quatre Carmen sont sur pointes. D’autres ont l’allure flamenco. Multitude de Carmen et de nationalités pour montrer l’universalité du personnage : françaises, espagnoles, japonaise, coréennes, elles endossent toutes avec panache et sensualité le personnage. La scénographie articulée autour du rideau de fond de scène qui sert d’écran vidéo est superbement ciselée. Tableaux figés de couleur grise et sable qui tout à coup s’animent et où défilent la troupe dans un dialogue permanent entre l’écran et le plateau.

Carmen(s) de José Montalvo

Pas de Don Jose ou d’Escamillo dans la version Montalvo, ou pas vraiment. Les six danseurs s’imposent comme des virtuoses du hip-hop et virevoltent à toute allure autour des Carmen. S’il lui importe peu de raconter l’histoire que tout le monde connaît, José Montalvo reprend la musique de Bizet et les air composés par les librettistes Meilhac et Halévy en version originale ou traduites. Quelle vitalité dans ce spectacle magistralement chorégraphié servi par des interprètes de haut vol. De la danse contemporaine au flamenco le plus pur, tout est magnifiquement dansé. Cela donne une Carmen vibrante, extravertie, dominatrice, séductrice… Chacune et chacun y verra ce que bon lui semble.

Spectacle presque parfait jusqu’au moment où José Montalvo ne semble plus faire confiance à sa chorégraphie ou au public. Dans une trop longue séquence, les 15 interprètes parlent à l’écran de leur vision propre de Carmen comme si la danse ne se suffisait pas à elle-même. Cela rend tout à coup le propos trivial et irritant : le public n’aime pas qu’on lui dicte ce qu’il doit penser. Et comme pour raccrocher une actualité douloureuse surgit au débotté le drame des migrants avec une foule qui apparaît à l’image assise sur le sable. Il y a là une rupture de sens qui affaiblit le propos. Heureusement, la danse reprend ses droits pour un final qui reproduit la brio de l’ouverture du spectacle à coup de cavalcades, de sauts périlleux dans une joie collective qui se transmet au public. Bref ! Tout est bien qui finit bien….

 

Carmen(s) de José Montalvo au Théâtre de Chaillot. Avec Karim Ahansal dit Pépito, Rachid Aziki dit ZK Flash, Eléonore Dugué, Serge Dupont, Tsakap, Samuel Florimond dit Magnum, Elisabeth Gahl, Rocio Garcia, Florent Gosserez dit Acrow, Rosa Herrador, Chika Nakayama, Ji-eun Park, Kee-ryang Park, Lidia Reyes, Beatriz Santiago, Saeid Shanbehzadeh et Denis Sithadé Ros dit Sitha. Mardi 6 février 2018. À voir jusqu’au 23 février puis en tournée en France.

 

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