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Retour sur les Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis

Les Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis se sont déroulées du 11 mai au 18 juin dans de nombreux théâtres et lieux artistiques de Seine-Saint-Denis. Héritier du Concours de Bagnolet, ce festival majeur a de nouveau démontré la vitalité de la création en danse contemporaine. Retour en quelques spectacles sur une édition passionnante.

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Meyoucycle d’Eleanor Bauer et Chris Peck – Réinventer le musical autour des nouvelles technologies

Les Rencontres se sont ouvertes sur une étrange pièce de la chorégraphe Eleanor Bauer et du musicien Chris Peck, Meyoucycle (on peut y entendre une déformation de musical). Sur une scène sombre qu’éclaire froidement une gigantesque lune, quatre interprètes, à la fois chanteur.se.s, comédien.ne.s et danseur.se.s, réinventent la comédie musicale pour en faire un lieu de réflexion politique sur les nouvelles technologies, le capitalisme, la démocratie et les moyens de subversion ou de résistance. Le spectacle débute par le long monologue d’un jeune homme racontant son addiction à Facebook. S’enchaînent alors chansons entêtantes aux paroles intelligentes (dont l’ensorcelant “All go into the dark“) et chorégraphies révoltées.

Le fantastique se mêle à l’humour, et l’on retrouve cette ambiance propre à la science-fiction, entre passé indéterminé et futurisme, entre inquiétudes et promesses. Le tout est porté par le formidable ensemble de musiciens Ictus, et les compositions rock et électro de Chris Peck. A la fin du spectacle, un karaoké s’allume ironiquement sur la gigantesque lune, et le public peut entonner : “and it’s like there is no escape … except in the shows“. Un spectacle d’une grande actualité, qui donne envie d’être revu tant sa richesse est stimulante, intellectuellement et émotionnellement.

Meyoucycle - Eleanor Bauer et Chris Peck

Meyoucycle – Eleanor Bauer et Chris Peck

Elementen I de Cindy van Acker – Une danse froidement géométrique

Les Rencontres Chorégraphiques Internationales sont souvent l’occasion de très longues soirées de danseMeyoucycle était ainsi suivi de deux pièces créées pour le CCN-Ballet de Lorraine : Elementen I-Room de Cindy van Acker, et Le Surréalisme au service de la Révolution de Marcos Morau. Deux pièces presque aux antipodes l’une de l’autre.

Elementen I-Room est la première création d’une série en devenir autour des Elements du géométricien grec Euclide. Au milieu de la scène, un gigantesque tube en néons grésille rythmiquement sur la composition sonore d’Alvin Lucier, I am sitting in a room. Cette composition minimaliste est constituée de la répétition par Alvin Lucier de cette unique phrase, “I am sitting in a room“, de plus en plus grave et lente, jusqu’à la dissolution des mots en fréquences. Les danseur.se.s, en justaucorps noirs ou blancs à la Enki Bilal, évoluent selon des lois géométriques aussi rigoureuses que celles régissant la musique ou l’éclairage. Corps androgynes ou transgressant les genres, militaires ou acrobates, les voici qui déroulent une chorégraphie étonnante mais à la froideur extrêmeElementen I captive visuellement, mais instaure une distance infranchissable entre le public et la scène.

Elementen I de Cindy van Acker, par le CCN-Ballet de Lorraine

Elementen I de Cindy van Acker, par le CCN-Ballet de Lorraine

Le Surréalisme au service de la Révolution de Marcos Morau – Transgressions de l’inconscient

Le contraste est grand avec l’intensité émotionnelle de la pièce suivante – qui démontre elle aussi l’excellence des danseur.se.s du CCN-Ballet de Lorraine. Le titre donné par Marcos Morau, Le Surréalisme au service de la Révolution, intrigue par son ambition. Quand le rideau s’ouvre sur une femme suspendue à une corde, récitant de surréalistes béatitudes, il semble qu’on doive s’attendre à un débordement transgressif d’images et de paroles. Mais la pièce se révèle relativement sobre, presque éthérée. Toujours en blanc, parfois même fardé.e.s de blanc, les danseur.se.s ont des allures de créatures oniriques. Ils évoluent comme en apesanteur, derrière un voile de tulle ou au milieu de nappes de fumée. Comme dans la pièce précédente, il y a très peu de soli et le rôle principal échoit au corps de ballet.

Quand les danseuses apparaissent en tutu, on se croirait dans un ballet classique déformé par les vapeurs du rêve. Mais la douceur fait place au frisson inquiet au dernier tableau, lorsque tou.te.s les danseur.se.s reviennent vêtu.e.s de costumes blancs de pénitents – impossible aujourd’hui que cela n’évoque pas le Ku Klux Klan. Ils frappent sur de gigantesques tambours (hommage au cinéaste surréaliste Luis Buñuel), emplissant la salle de sons graves et bourdonnants. Si la cohérence de la pièce reste mystérieuse – mais peut-être cela va-t-il avec ses tissages oniriques, guidés par une logique qui se voudrait celle de l’inconscient ?-, elle n’en est pas moins pleine d’éclats visuels qui résonnent encore longuement après le tomber du rideau.

Le Surréalisme au service de la Révolution de Marcos Morau, par le CCN-Ballet de Lorraine

Le Surréalisme au service de la Révolution de Marcos Morau, par le CCN-Ballet de Lorraine

(To) Come and See de Simone Truong (et al.) – Parler enfin du désir féminin

A Montreuil toujours, c’est dans un lieu menacé que s’est déroulé (To) Come and See. La Parole errante est un lieu autogéré artistique et politique, qui doit fermer ses portes à la fin de l’été pour être remplacé par une institution officielle. En venant voir les très belles pièces accueillies par la Parole errante lors des Rencontres Chorégraphiques Internationales, on se trouve donc dans un espace en lutte.

(To) Come and See est une pièce autour du désir féminin – ce qui est suffisamment rare pour être souligné. Les cinq interprètes, Simone Truong, Eilit Marom, Anna Massoni, Elpida Orfanidou et Anida Secretan, interpellent tour à tour le public : “si je devais coucher avec quelqu’un, ce serait… toi“. Dans un jeu constant avec les spectateur.rice.s, elles jouent, écrivent des textes, dansent sensuellement et s’apostrophent, font des actions incongrues comme baver, porter un masque transparent… Le tout, largement improvisé, nous fait pénétrer dans une intimité jouée dont on sort très joyeux, comme d’une belle et impromptue rencontre.

(To) Come and See de Simone Truong, Eilit Marom, Anna Massoni, Elpida Orfanidou et Adina Secretan

(To) Come and See de Simone Truong, Eilit Marom, Anna Massoni, Elpida Orfanidou et Adina Secretan

Madri e figli_Padri e figli de Virgilio Sieni – Danses de tendresse

Ma pièce préférée des Rencontres Chorégraphiques Internationales fut également dansée à la Parole errante. Virgilio Sieni, directeur de la Biennale de danse de Venise, aime travailler avec des amateur.rice.s. Pour Madri e figli_Padri e figli, il a travaillé avec des habitants de la région, autour des gestes reliant les parents à leurs enfants (et inversement).

Dans le gigantesque hangar de la Parole errante, les interprètes sont disposé.e.s par couples dans de petits carrés entre lesquels le public est libre de circuler. Les enfants ont tout âge, de la petite enfance à l’âge adulte. Une femme danse même seule, happant à elle des gestes jamais oubliés. Ces danses de tendresse, largement improvisées sans doute à même le sol en béton, émeuvent profondément.

Aussi riches qu’intenses, les Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis ont cette année décidément bien porté leur beau nom de “Rencontres”.

Madri e figli_Padri e figli - Virgilio Sieni

Madri e figli_Padri e figli – Virgilio Sieni

Meyoucycle d’Eleanor Bauer et Chris Peck, au Nouveau théâtre de Montreuil. Jeudi 12 mai 2016.

Elementen I-Room de Cindy van Acker, par le CCN-Ballet de Lorraine, au Nouveau théâtre de Montreuil. Jeudi 12 mai 2016.

Le Surréalisme au service de la Révolution de Marcos Morau, par le CCN-Ballet de Lorraine, au Nouveau théâtre de Montreuil. Jeudi 12 mai 2016.

Madri e figli_Padri e figli de Virgilio Sieni, à la Parole errante de Montreuil. Dimanche 22 mai 2016.

(To) Come and See, de et par Simone Truong, Eilit Marom, Anna Massoni, Elpida Orfanidou et Adina Secretan, à la Parole errante de Montreuil. Samedi 11 juin 2016.

 

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