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[Chronique] Désordres de Samuel Murez

Désordres de Samuel Murez, au Théâtre André Malraux de Rueil-Malmaison, par le groupe 3e Étage. Avec Samuel Murez, Ludmila Pagliero, François Alu, Niccolo Balossini, Matthieu Botto, Léonore Baulac, Takeru Coste, Leïla Dilhac, Laura Hecquet, Jérémy-Loup Quer, Fabien Révillion, Lydie Vareilhes et Hugo Vigliotti. Lundi 10 juin 2013. 

Desordres

 

En allant découvrir le groupe 3e Étage, composé de jeunes solistes de l’Opéra de Paris et mené par Samuel Murez, je m’attendais certes à passer une bonne soirée. Un chorégraphe au travail séduisant et plein d’idées, et des danseurs et danseuses talentueux, forment en général un bon ensemble. Je ne prévoyais pas, par contre, de voir un spectacle aussi abouti, pour ce qui fut finalement l’une des soirées coup de coeur de cette saison, rien que ça. Il y avait en fait tout ce que j’aime dans ce spectacle : des idées (à foison), du rythme, des surprises, des moments drôles, d’autres plus étranges, de la virtuosité et – presque surtout – des artistes libérés aussi bien techniquement qu’artistiquement.

Désordres est formé d’une dizaine de pièces, certaines créées il y a sept ans, d’autres il y a sept mois. L’effet échantillon en gala est estompé par des transitions théâtrales, menées par un personnage à la gestuelle traînante et malicieuse, sorte de joker aux multiples facettes. Et c’est bien un tout qui est présenté sur scène, d’une très grande cohérence, où danse, musique et lumières (particulièrement travaillées et un personnage à part entière de l’histoire) ont autant d’importance. Impressionnant, entre parenthèses, de voir un spectacle si abouti, où tout a été visiblement très travaillé, alors qu’il ne s’agit pas d’un projet à plein temps ni pour les danseur-se-s, ni pour le chorégraphe.

À travers ses pièces, Samuel Murez montre trois styles qu’il aime travailler : le classique virtuose (mais jamais tel quel, la cinquième position peut encore se réinventer), le contemporain inspiration hip hop assez théâtralisé, et le néo énergiquo-technico-souple. C’est sûrement dans ce dernier que le chorégraphe marque le moins. Dans le genre, personne ne fait mieux que Forsythe. Samuel Murez se sert de la forme pour y mettre son originalité (oh, un beau tutu d’Agnès Letestu). Processes of intricacy, qui ouvre la deuxième partie, se fait ainsi avec micros ouverts et les “top” audibles des éclairagistes. Si le procédé surprend les 30 premières secondes, il a toutefois du mal à soutenir l’attention pendant tout le pas de deux, malgré la qualité des deux danseur-se-s (Takeru Coste et Ludmila Pagliero) qui sont si bien dans cette énergie.

Concentrons-nous donc plutôt sur les deux autres options, le classique virtuose et le contemporain hiphopesque, proposant un terrain de jeu au chorégraphe qui semble sans limite. Samuel Murez est Quadrille à l’Opéra, ce n’est pas le plus technique, ni le plus virtuose. Tout ce qu’il ne sait pas faire, il le laisse donc à ses danseurs, qui s’en donnent à coeur joie. La Valse infernale, qui ouvre le spectacle, est ainsi un concentré de virtuosité comme elle est depuis longtemps interdite sur le plateau du Palais Garnier. Les danseurs semblent y trouver une nouvelle liberté, malgré la difficulté des pas. François Alu s’envole au-dessus des autres, mais tous captent la lumière. C’est cette dernière justement qui fait toute l’originalité de la pièce. Véritable sixième artiste sur scène, les éclairages créent le rythme, de nouvelles perspectives, et presque une histoire.

La virtuosité fait son retour au deuxième acte, avec Quatre, l’humour en plus. Dans les ballets pastiches, ce sont souvent les ballerines et leur crêpage de chignon qui sont raillés. Ici, place aux garçons, tout aussi drôles quand il s’agit de gagner les faveurs du public (lancer un moonwalk, faire un concours de tours en l’air ou draguer la jolie blonde du troisième rang sont autorisés). C’est infiniment drôle car tout en finesse, et non dénué d’une certaine tendresse. Cette pièce n’est pas une moquerie de la danse classique. Ce sont plutôt quatre danseurs de ballet, les deux pieds dans le XXIe siècle, qui aiment ce qu’ils font, mais qui ont assez de recul pour savoir aussi en rire.

Troisième facette enfin, plus contemporaine, aussi plus narrative et théâtrale. Dans La danse des livres ou Me2, pour ne citer que ces pièces, la chorégraphie est composée de pair avec la musique. Elles se confondent pour raconter une histoire, définir des personnages, tout en laissant assez de liberté au public pour qu’il y voit ce qu’il a envie de voir. On est là dans une véritable originalité de fond, une vraie recherche du geste et de comment trouver de nouvelles pistes chorégraphiques. La souplesse des danseurs et danseuses donne une grande poésie à cette gestuelle saccadée et rythmée, la théâtralité se fond dans la danse. Si là encore tous font preuve d’une grande originalité, Hugo Vigliotti et Takeru Coste se démarquent par un sens inné du spectacle et de l’art de raconter quelque chose. C’est parfois drôle, parfois émouvant, ou juste surprenant.

Désordres, grand pièce qui clôt le spectacle, est une sorte de melting-pot de tout ce qu’il y a eu avant. Un éclair de pure virtuosité (François Alu en solo, c’est quelque chose), les personnages de Me2 qui se multiplient, la lumière qui se met à devenir actrice, voilà un joyeux Désordre extrêmement organisé, où la plus grande rigueur est masquée par un bonheur de danser qui semble insubmersible. Le Rêveur, dansé en bis, promet déjà un autre voyage aux notes plus Broadway-esque. Vivement la suite.

Premier-cauchemar_2

 

À la fin de ce spectacle, quelques questions se posent cependant. Il y avait sur scène un chorégraphe inspiré, nouveau (très personnellement, c’est la première fois que, face à un travail chorégraphique, j’ai vraiment l’impression de voir quelque chose qui est totalement de ma génération). Il y avait aussi douze danseurs et danseuses passionnants, brillants, originaux. À l’Opéra, pourtant, les soirées honnêtes (comme je les appelle – bien sur le moment mais que l’on oublie vite) se multiplient. Mais comment peut-on passer autant de “soirées honnêtes” quand la troupe compte  – au moins – treize aussi formidables artistes… Est-ce le propre d’une grosse compagnie, où l’on doit suivre certaines règles, qui empêche de s’épanouir entièrement en tant qu’artiste ? Ou est-ce  l’Opéra de Paris qui, dans son fonctionnement aujourd’hui, ne permet pas cet épanouissement ? Je n’ai pas la réponse, la question fait au moins réfléchir.

Commentaires (3)

  • Joelle

    bien d’accord avec toi ! Ce spectacle a été l’une des meilleures soirées que nous ayons passé ! Bon, aller à Rueil, c’est un peu loin pour des intra-muros 🙂 mais le spectacle valait le déplacement : inventif, marrant, très pro et dansé par des danseurs qui s’amusaient en même temps. C’est certainement moins compassé que l’atmosphère de l’Opéra, et comme l’a dit l’un des danseurs : c’est d’abord l’histoire d’une bande de potes !!!

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  • georges

    Merci pour ce retour.
    Je les ai vu (enfin certains) l’année dernière dans un spectacle plus court et j’avais adoré.
    Je n’hésiterai pas à les revoir de nouveau.

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  • Anna

    T’es en grande une sur hellocton ! 🙂

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