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Duo de flamenco pour démarrer l’année

Fuenteovejuna d’Antonio Gades, par la compagnie Antonio Gades, au Palais des Congrès (mercredi 2 janvier 2013).


La Pepa
de Sara Baras, par le Sara Baras Ballet Flamenco, au Théâtre des Champs-Elysées (jeudi 3 janvier 2013).
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Les vacances se sont un peu éternisées par-ici. Et ce n’est pourtant pas faute d’un début d’année rempli niveau spectacle. 2013 a ainsi commencé par deux beaux moments de flamenco, très différents dans la forme mais qui finalement se retrouvaient sur le fond : le flamenco, cette danse qui vient du peuple, est peut-être le meilleur moyen pour crier sa révolte.
Décédé il y a quelques années, le danseur Antonio Gades a laissé derrière lui plusieurs ballets de flamenco et une troupe plus vivante que jamais, sillonnant le monde pour montrer son oeuvre. Ici, le flamenco y est dansé dans toute sa tradition et son folklore, sans le sens péjoratif. La compagnie fait revivre une Espagne qui n’existe plus, non pas par nostalgie, mais par un certain respect. C’est de là d’où vient la danse d’aujourd’hui.

Fuenteovejuna 
est l’histoire d’un village qui se révolte. Opprimé par un tyran pendant des années, le peuple se soulève après le viol d’une jeune fille et prend son destin en main. Au fur et à mesure du ballet, le flamenco est d’abord chargé de douleurs, de peines, puis de haine et enfin d’espérance. La trame est aussi l’occasion d’évoquer la vie d’un village à travers ses danses populaires, ses danses de fête et de mariage. Les parties folkloriques sont ainsi extrêmement bien remontées, dans une grande pureté sans tomber dans quelque chose de muséal. On  est plus que jamais dans l’évocation de souvenirs.
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Pour faire comprendre l’histoire au plus grand nombre, Antonio Gades avait agrémenté les danses de passages plus théâtralisés, un peu à la façon d’une comédie musicale si l’on doit faire une grossière comparaison. Mais qui malheureusement n’ont pas la finesse et la subtilité des chorégraphies. Le tyran du village est ainsi toujours affublé d’une musique inquiétante et de pas militaires. Vous voyez le sketch de Gad Elmaleh sur les comédies musicales, les Méchants qui arrivent sur des musiques de Méchants ? Voilà, c’est exactement ça. On oubliera donc ces passages un peu maladroits pour se concentrer sur la danse, ce flamenco dansé par une troupe hors-pair.
Les passages de groupes insufflent la révolte, les souliers grondent comme le tonnerre de la Révolution, la musique tonne. Cela fait son effet incontestablement, même si la troupe n’est peut-être qu’à son meilleur dans l’intimité. Un homme prend une guitare, un autre entonne une ancienne chanson espagnole qui semble venir du fond des âges, quatre autres marquent le rythme assis sur des chaises, et un couple se met à danser. Antonio Gades cherchait à faire du grand spectacle, mais c’est sûrement dans la simplicité que son flamenco touche droit au coeur.
Si Sara Baras se sert du même matériaux, le résultat en est absolument différent. La chorégraphe fait ce que l’on appelle du “flamenco contemporain”. Le fond n’a pas changé, les pas et le rythme sont là, cette aspiration qui vient tripes, mais la forme se veut moderne. Les danseurs et danseuses sont alignés, les costumes mélangent habilement tradition et nouveautés. Les danses folkloriques sont transformées pour en faire quelque chose de plus stylisé, quittant les décors d’un village pour un effet scénique, comme ces femmes dansant avec des châles. La performance technique est là, mis en avant sans pudeur, et à couper le souffle.
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La Pepa
est aussi une histoire de révolte. La Pepa est la première constitution espagnole, qui fête cette année ces 200 ans. Sara Baras lui rend hommage dans ce spectacle plus abstrait que narratif. La révolte gronde dans le sol, et c’est une véritable bourrasque qui secoue le public. Les ondes de choc des mains et des pieds martelant le rythme se propagent à la salle, c’est une vraie claque. Ce flamenco est devenu un spectacle, mais c’est toujours une danse qui vient du peuple. Il y a toujours, profondément, cette énergie, cette passion, presque cette folie.

La Pepa
est représentée par une femme, paradoxe alors que cette Constitution ne leur donnait pas le droit de vote (Marianne n’est donc pas seule). C’est elle qui clôt le spectacle en victorieuse, menant la troupe comme un peuple, derrière elle. Ses pieds deviennent un véritable instrument de musique. Je suis une novice du flamenco, mes propos paraîtront donc peut-être un peu naïfs, mais quelle fascination de découvrir la richesse de frappes de pied, l’immense variété de sons et de nuances qu’elles peuvent produire. La Pepa secoue et enthousiasme, une révélation.
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Au final, voir ces deux spectacles dans cet ordre fut une bonne idée. Fuenteovejuna fait découvrir le flamenco dans toute sa tradition, sans en faire quelque chose de poussiéreux. La Pepa se sert de ce folklore pour en faire un spectacle plus moderne, en se libérant de certains codes tout en gardant l’essentiel. Deux visions qui se complètent bien.
La compagnie Antonio Gades, jusqu’en juin 2013 en tournée en France.

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