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Le Lac des cygnes, épisode 3

Je pensais me faire une bonne cure du Lac des Cygnes à la rentrée. Mais les hécatombes des distributions – apparemment, on dénombre 50 blessé-e-s sur un effectif de 154 -, ont réduit de force mes envies.

J’ai tout de même voulu assister à la représentation du 4 janvier, qui rassemblait Laëtitia Pujol, Mathias Heymann et Benjamin Pech Stéphane Phavorin (une hécatombe, je vous dis). 

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J’avoue qu’il fallait être motivée pour poireauter plusieurs heures dans le hall glacé de Bastille, mais j’étais vraiment curieuse de voir ce que pouvait donner Mathias Heymann dans le rôle de Siegfried. Le jeune fougueux bondissant, comme je le surnomme, a une danse incroyable et une présence enthousiasmante sur scène. Mais ce n’est pas forcément un interprète d’une folle maturité. Pour les rôles de jeune homme tout feu tout fou, il est parfait. Assurer la stature d’un prince, je n’en étais pas vraiment convaincue.

Et je trouve que le jeune étoile a pris ce rôle avec beaucoup d’intelligence. Il n’a pas (encore) l’incroyable dimension dramatique d’un Nicolas Le Riche, la poésie d’un José Martinez ou la profondeur d’un Karl Paquette. Inutile donc de jouer au Prince régnant et torturé. Le voila plutôt dans la peau d’un jeune homme primesautier, encore un peu naïf à qui la vie n’a pas encore joué de tour, et qui va subir de plein fouet ce coup du sort.

Acte 1. Il parait que, la fin d’une longue série oblige, le corps de ballet était un peu cafouilleux. J’avoue n’avoir pas fait vraiment attention. Placée tout devant à gauche, j’étais juste en face du trône, et j’en ai profité pour observer de près le jeu d’acteur entre Stéphane Phavorin et Mathias Heymann. Ce dernier est transpirant de stress. La faute sûrement à sa première apparemment ratée, il est complètement crispé, et assez contagieux sur le public. Je souffre pour lui et m’attends un peu au pire.

Heureusement, il n’a pas grand chose à faire sur ce premier acte, et se calme avec la musique. Grâce peut-être à Stéphane Phavorin, entièrement dans son jeu et très investi. Siegfried est ici un tout jeune prince, peut-être encore un adolescent.  Le poids du royaume, les obligations, il n’a pas vraiment envie d’y goûter. Alors les filles (ou les garçons d’ailleurs), n’en parlons pas, il préfère ses amis. Pourtant, il n’a pas un mauvais fond. Il écoute son précepteur, il veut faire plaisir à sa mère, même si l’idée de se marier ne le fait pas rêver. Mais il suffit d’un beau cadeau, une arbalète, pour lui faire tout oublier.

La différence d’âge avec Stéphane Phavorin est très marqué, et rend le duo très intéressant. Le danseur joue un Wolfgang dominateur, et un poil malsain. Si Siegfried n’a pas encore songé aux choses de la vie, son précepteur, lui, y a parfaitement réfléchi, et zyeute sans vergogne sur son élève en écartant toute jolie jeune fille un peu trop empressante. La dernière variation du prince est poétique, le danseur semble prendre de l’assurance. Le pas de deux avec Wolfgang, même s’il y a eu quelques petits cafouillages, reste bien étrange. C’est une vraie initiation sexuelle pour le coup.

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PS acte 1 : Myriam Ould-Braham, so sublime dans le pas de trois. Quel gâchis… Marc Moreau assure, et saute décidément très bien. Ceci dit, quelqu’un pourrait lui dire que, sauter en même temps que ses deux partenaires, c’est encore mieux ?

Acte 2. Encore une fois, j’aime me répéter, mais chapeau aux 32 cygnes qui ont assuré. La magie de ce deuxième acte tient beaucoup à ce décor vivant et mouvant. Alignements impeccables, émotion… Juste prenant. Laëtitia Pujol n’a pas été d’une folle originalité, faisant ce qu’on attendait d’une Odette, un mélange de douceur et de désespoir avec de longs mouvements de bras. C’était à deux doigts d’être sans saveur, mais elle m’a fait croire de bout à bout à son histoire et à son personnage, donc rien à dire.

Siegfried est plus hypnotisé que véritablement transi d’amour. Jurer un amour éternel, pourquoi pas si cela peut aider cette étrange créature, il le ferait de bon cœur. Leur pas de deux est plus la découverte de quelque chose (de la créature ? d’une émotion ?) qu’une véritable grande et belle déclaration d’amour. Mais encore une fois,  j’ai trouvé ce parti-pris intéressant, surtout que je doute un peu des aptitudes de ce couples à jouer à l’amour fou.

Et miracle de la nouvelle année, le violon solo a joué juste et beau, et les quatre petits cygnes étaient en place, ça aide pour rendre toute la magie de ce second acte. Bravo aux quatre grands, encore une fois impériaux.

Acte 3. j’ai, pour le coup, trouvé les danses de caractère un peu poussives, passons vite dessus. Laëtitia Pujol est un cygne noir très intéressant, avec une technique brillante et un vrai jeu de regard avec le diabolique Stéphane Phavorin . Mathias Heymann prend de plus en plus d’ampleur, et il a l’air de se sentir enfin complètement à l’aise. Sa variation est bouillonnante, il nous emporte avec lui à chacun de ses sauts. Un sourire de soulagement apparait sur son visage lorsqu’il salut, un poids semble avoir quitté ses épaules. La coda fut splendide, les trois danseur-se-s furent impériaux-les.

Mais la vérité éclate. Le Prince est terrifié parce qu’il a fait, il a appuyé sur le bouton rouge.

Acte 4. Et c’est là que le bât blesse. Le parti pris était de ne pas jouer le grand amour, mais plutôt l’hypnose et l’étrangeté. ça marche pour l’acte 2, ça marche pour l’acte 3, mais pour l’acte 4, aïe, aïe, aïe.  C’est censé être un pas de deux désespéré, mais les deux étoiles n’ont décidément rien à se dire. On sombrerait dans l’ennui si ce n’était pas Le Lac des Cygnes. Mais c’est Le Lac, il y a la longue et lente procession mélancolique des 32 cygnes, toujours aussi superbes, un Stéphane Phavorin dominateur et une musique qui emporte. Cela suffit à sauver la fin.

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Au final, si ce troisième épisode du Lac ne m’a pas transporté l’émotion, j’ai trouvé cette soirée très agréable, et vraiment intéressante.  Quel dommage que Mathias Heymann n’est pas eu plus de représentations pour se faire à ce rôle, sa progression rien que sur une soirée était encourageante. Et j’ai eu vraiment plaisir à voir chez lui, par moment, de vrais moments d’interprètes, où il ne se contentait pas d’être porté par ses facilité, mais était vraiment son personnage. La question est plutôt de savoir si l’associer avec Laëtitia Pujol était une judicieuse idée, mais au vu des défections, qui aurait pu assurer ce rôle ? (Message subliminal : Myriaaaaaaaaaaaaaaaaaaaam !).

Cette soirée a été également l’occasion de rencontres, avec Artifact Suite à l’entracte et Bella Figura. Ma conversation avec cette dernière aurait pu durer bien plus longtemps si le froid ne m’avait pas poussé dans le métro. A une prochaine fois avec plaisir.

© Photos : Anne Deniau / Opéra national de Paris
Je n’avais pas mon appareil photo, et aucune prise pour l’instant du côté du service presse de Mathias Heymann, ou Laëtitia Pujol et Stéphane Phavorin avec le/la bon-ne partenaire. On se “contentera” des merveilleux ensembles d’Anne Deniau.

Commentaires (5)

  • lulu

    Effectivement, les 4 Grands Cygnes ont été parfaits durant toutes ces représentations où ils ont fait honneur au corps de ballet et au style français ONP. C’est très juste de le faire remarquer. Leur diversité dans l’harmonie était poignante et telle que Noureev souhaitait que vivent les interprètes.  Je suis impressionnée par la maturité de Héloïse Bourdon qui est prodigieusement belle et offre une très grande classe à ce rôle de cygne, vraiment poignante par moments, tout comme Sabrina Mallem particulièrement investie, juste et impériale ou Sara Dayanova très extraordinaire et sensible aussi. “3 oiseaux” à suivre de près avant l’envol final, qui ne devrait pas se faire trop attendre !!!!!

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  • Merci pour ce compte rendu qui me console un peu de n’avoir assisté à aucune représentation ; les blessures n’ont pas touchées que les Etoiles (sourire triste)
    C’est agréable de vivre ainsi des spectacles par des articles bien écrits, dans un style simple et agréable.

    Pour Lulu :
    Mlle Héloïse Bourdon aura l’occasion de briller notamment en duo au gala donné à Saint-Maur le 23 janvier prochain… De nombreux danseurs de l’Opéra de Paris y seront emmenés par Karl Paquette…
    Un extrait du Lac est au programme d’ailleurs…

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  • lulu

    Merci Fée Dragée pour votre information. J’ai aussitôt pris contact avec le théâtre de St Maur. L’occasion est trop belle !!.Il y a encore quelques billets pour le 23, en se déplaçant aux guichets. Effectivement Raymonda , la Belle, Giselle, la Sylphide, Roméo et Juliette avec la toute gracieuse Marion Barbeau et Fabien Revillon qui est un danseur absolument superbe et enfin…mais oui !! Karl Paquette et Héloïse Bourdon dans le Lac et Esmeralda . Donc, je suis déjà sur place !!!! Je n’y crois pas.
    Karl Paquette est un Danseur tellement surprenant, avec des qualités artistiques inouïes. Son dernier Rothbart était splendide, parfaitement maitrisé et juste. Depuis sa nomination, il s’est prodigieusement affirmé et confirmé . Il s’est positionné comme tout à fait incontournable pour interpréter des rôles majeurs du Répertoire. Je suis persuadée qu’avec Héloïse Bourdon comme partenaire, on va vivre de très jolis et émouvants moments de DANSE. Personnellement ,c’est ce que j’attends d’un Spectacle. Pas forcément cette technique qui doit être carrément acrobatique pour plaire. J’aime ce qui relève de l’indescriptible et j’essaie de capter l’instant magique ou l’interprétation va me faire frémir et rêver. Pour moi, c’est ce que j’attendsd’un Ballet et d’un Danseur dans un Ballet, que la chorégraphie soit contemporaine ou classique et que je trouve très souvent dans les prestations de la toute jeune Héloïse Bourdon et chez Karl Paquette, bien sûr. En fait, ils ne sont pas meilleurs que les autres, ils sont différents et c’est cette subtile différence, ce petit plus, que j’apprécie notamment chez Héloïse Bourdon qui m’émeut pour ces raisons à chacune de ses apparitions sur scène, que ce soit dans Joyaux, la Bayadère ou le Lac. Merci encore Fée Dragée pour cette belle soirée en perspective.

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  • @Ravie que vous ayez pu trouver une place encore !

    Pour ce que vous dites de la façon d’apprécier la danse, je suis parfaitement d’accord… D’autant que je suis aveugle et que la force expressive compte énormément même si je perçois la virtuosité par ailleurs…

    A bientôt !lulu :

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  • @lulu:C’est vrai que la programmation est assez alléchante, et que ce genre de spectacle reste l’occasion idéale pour découvrir les jeunes talents. Je ne te rejoins pas par contre sur Karl Paquette. Même si j’apprécie ses qualités artistiques, je le trouve assez en méforme depuis son titre,  comme si sa nomination lui pesait plus qu’elle ne lui rendait service. 

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